Tribune Juive

« Au nom du Christ! » Par Hubert Heckmann. Texte refusé par La Croix

Je publie aujourd’hui une lettre adressée à la rédaction du journal La Croix par Hubert Heckmann, auteur de Cancel! et soutien inébranlable du peuple juif.  Le journal La Croix a refusé de publier cette lettre, écrite par Hubert Heckmann en réaction à la mise en scène d’un étudiant « catholique de gauche », membre des manifestations anti-juives à Sciences Po, qui légitimait ses actions par les « valeurs chrétiennes ». Hubert Heckmann m’a aimablement autorisée à reproduire son texte ici. Yana Grinshpun  

Madame, Monsieur,

La Croix a su faire un examen de conscience lucide et courageux au sujet de la période où il se proclamait « journal le plus anti-juif de France, celui qui porte le Christ, signe d’horreur aux Juifs » (août 1890). Comment expliquer alors qu’en mai 2024, La Croix mette à l’honneur sans vergogne un étudiant de Sciences-Po qui « justifie son militantisme [contre Israël] par ses valeurs chrétiennes »? (« Mobilisation à Sciences Po: un étudiant pro-Gaza au nom de l’abbé Pierre », 2 mai 2024)

La demande de cet étudiant de rompre au nom du Christ tout partenariat avec les universités israéliennes est proprement ignoble et devrait révolter tout chrétien sincère. Ce même étudiant est celui qui défendait le 28 avril dans plusieurs médias l’usage du symbole des mains rouges à Sciences Po, plaidant l’ignorance de sa signification d’appel au meurtre antisémite (https://www.lexpress.fr/idees-et-debats/mobilisation-pro-palestinienne-face-a-la-symbolique-des-mains-rouges-lignorance-a-bon-dos-LMTNW7E4FJETFP6GQAQZWOTCFY/). 

Quand l’ignorance revendiquée (« nous n’étions pas nés »!) devient la bannière de l’engagement d’étudiants, La Croix, gardant le silence sur cet épisode, salue « l’archétype de l’étudiant engagé de ce début de XXIe siècle » sensible « aux droits humains »…

Ce jeune porte-parole de l’ »humanisme chrétien » « catho de gauche » s’emploie dans les colonnes de La Croix à diffuser une nouvelle théologie de la substitution qui délégitime radicalement l’État d’Israël et déshumanise les Juifs: Israël ne serait-il donc que « le berceau de notre humanisme », où « des actes inhumains sont commis », comme cet étudiant ose le proclamer « en tant que chrétien »? Nous lui conseillons la lecture du récent ouvrage de la Conférence des évêques de France, Déconstruire l’antijudaïsme chrétien (Cerf, 2023), à moins qu’il ne préfère continuer à s’abriter derrière la bienheureuse ignorance.
L’abbé Pierre, dont l’étudiant « est capable de citer des formules entières », est présenté comme la référence et la caution de cet engagement prétendument « pour Gaza » qui met de l’huile sur le feu. L’admiration que nous avons tous pour l’action de l’abbé Pierre en faveur des plus pauvres ne doit pas nous conduire à occulter son indulgence coupable envers le terrorisme, le négationnisme, l’antisionisme, l’antisémitisme, profondément ancrée dans un antijudaïsme chrétien renouvelé par la théologie de la libération (cf. « Une outre neuve pour un vin ancien: la théologie de la libération et l’antijudaïsme » dans M. Dreyfus, Crise de la gauche: cancel culture, décolonialisme et universalisme, Hermann, 2022). 

Le soutien de l’abbé Pierre à Roger Garaudy n’est pas la bévue d’un vieillard mais l’aboutissement d’une pensée cohérente qui est une grave perversion de l’Évangile: https://www.liberation.fr/france-archive/1996/06/07/l-abbe-pierre-un-antijudaisme-qui-date_175116/

Avec l’abbé Pierre invoqué contre Israël rue Saint-Guillaume, il ne s’agit déjà plus d’un « enseignement du mépris », mais bien d’un enseignement de la haine, qui se joint aux appels à l’extermination (« du fleuve à la mer ») lancés par les soutiens du terrorisme, au nom des meilleures intentions. Mais ni la foi ni la morale ne confèrent à elles seules des compétences spéciales en matière de politique internationale: il est même arrivé qu’elles se fourvoient dans un aveuglement coupable au moment où les Juifs étaient le plus en danger. Aujourd’hui, les étudiants français d’origine ou de confession juive n’ont rien à voir avec une guerre dramatique dont l’instrumentalisation théologico-politique les met en danger jusque dans nos amphis (cf. votre article du 6 mai « Le risque de l’antisémitisme gagne les campus universitaires »)https://www.la-croix.com/france/le-risque-de-l-antisemitisme-gagne-les-campus-universitaires-20240505#:~:text=Explosion%20des%20actes%20antis%C3%A9mites%20depuis%20le%207%20octobre&text=C’est%20quatre%20fois%20plus,au%20cours%20du%20dernier%20trimestre.).

Notre compassion chrétienne pour toutes les victimes ne peut jamais nous amener à épouser le parti des violents. Je me permets donc de vous renvoyer la conclusion de la lettre adressée en 1886 par Mère Myriam au Père Picard au sujet de la recension de La France juive parue dans La Croix: « Avez-vous médité cette question devant Dieu? N’y a-t-il pas là une responsabilité aussi réelle que l’autre », à « prendre part à ce que ces excitations devront tôt ou tard faire germer de crimes »?

Sincèrement à vous,
Hubert Heckmann


Mobilisation à Sciences Po : Hubert Launois, étudiant pro-Gaza au nom de l’abbé Pierre

Portrait 

Jeudi 2 mai, Sciences Po organise un débat sur Gaza, face au mouvement de contestation qui agite ses campus. Parmi les étudiants, dont les profils sont très divers, Hubert Launois qui justifie son militantisme par ses valeurs chrétiennes.

Hubert Launois, étudiant à Sciences Po, s’est engagé très tôt.
Josselin Clair / Le Courrier de l’Ouest / MAXPPP

La voix posée, l’explication limpide, Hubert Launois est devenu ces jours-ci une figure médiatique. De plateaux télé en entretiens avec la presse, le jeune homme est devenu un des visages de la mobilisation étudiante pour Gaza. « Pourtant, je n’ai rien organisé, je ne fais même pas partie du comité Palestine de Sciences Po dont je suis encore moins le porte-parole », relativise cet élève en bachelor « humanités politiques » rue Saint-Guillaume. Son aisance face aux caméras l’a pourtant propulsé sur le devant de la scène : il défend régulièrement dans les médias un mouvement qui interroge et nourrit vite des soupçons d’antisémitisme. Emmanuelle Lucas.

À lire dans La Croix du 2 mai 2024


Hubert Heckmann est maître de conférences en littérature médiévale à l’Université de Rouen. Il est l’auteur de Cancel! De la culture de la censure à l’effacement de la culture (éditions Intervalles, 2022).


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