Tribune Juive

Emmanuelle Berdugo. Nous pensions le chaos derrière nous, définitivement, irrémédiablement

Mère de 4 enfants, Emmanuelle Berdugo est avocate en Israël. L’écriture est sa passion. Depuis quelques années Elle écrit des posts en mode « tranches de vie israélienne » sur Facebook

Enfant, je vivais dans un monde de certitudes inébranlables et douces comme l’insouciance que je pensais éternelle ici-bas. Aimée et choyée, je lisais les romans de la comtesse de Ségur et faisais le tour du monde avec Jules Verne,  assise sur un lit dont les draps avaient été repassés et amidonnés le matin même et à la tête duquel mes vêtements étaient posés propres et pliés sans que ma personne n’ai été mise à contribution d’aucune manière et sous aucune latitude. Je prenais des cours de violoncelle que mon papa m’avait offert un beau matin alors que je m’apprêtais à aller à l’école, provoquant ainsi chez moi  une exclamation de surprise absolue dont j’entends encore  l’écho juvénile jusqu’à ce jour, comme une réminiscence sonore du bonheur de l’enfance.

Comme dans les films à l’eau de rose, ma vie était une suite de clichés extraordinaires, ponctuée de sorties en famille au parc d’acclimatation le dimanche, de tours  en vélos dans les rues de ma banlieue parisienne,devancée de très loin par mon père qui de temps a autre se retournait pour s’assurer que je n’avais pas été renversée par un camion à son insu, et de vacances à l’ile de Re, en Espagne, ou à Vichy, vêtue de tenues dont la seule chose que je pourrais en dire est que leur contemplation à travers les photos déjà jaunies  arrachent à l’heure actuelle  des larmes de fous rires à mes enfants .

Oui, j’étais d’un bonheur à me foutre des claques ; mais en vérité, je crois que l’époque était d’un bonheur à lui foutre des claques.  Nous pensions le chaos derrière nous, définitivement, irrémédiablement. Ces photos en noir et blanc que nous avons découvertes en grandissant, et qui nous ont levé le voile sur le degré d’absolu que peut atteindre la cruauté humaine, elles nous horrifiaient, bien sûr, et nous en faisions des cauchemars nocturnes ; mais alors, nous nous éveillions en sueur au beau milieu de la nuit, nous apercevions le rai de lumière à travers la porte, le bureau sur lequel nous avions laissé ouverts nos livres scolaires, le tableau de danseuse en pointes  qui faisait face à notre lit, et progressivement notre rythme cardiaque ralentissait, nous étions chez nous, dans notre jolie maisons de banlieue, dans notre chambre aux murs tendus de papier peint de couleur verte Leroy Merlin, sous notre édredon de coton qui sentait bon la lessive au parfum d’Eglantines achetée en promotion chez Carrefour,  et alors nous soupirions d’aise et de soulagement, après nous être réapproprié les lieux, l’époque, et simplement la vie, heureuse et insouciante, qui était la nôtre. Rassurés, nous nous rendormions sur le champ. 

Près de 30 ans ont passé. 

Mes certitudes inébranlables ont toutes volé en éclats. Aujourd’hui, je vis dans un océan d’incertitudes vertigineuses dont je n’aperçois ni le début ni la fin, je ne me réveille évidemment plus dans un lit dont les draps amidonnés ont été repassés par autrui et ma personne est mise à contribution de toutes les manières et sous toutes les latitudes, à défaut de quoi les vêtements restent gentiment posés par terre par les tierces personnes avec lesquelles je vis et pour lesquelles je m ’inquiète au-delà de ce qu’une mère normale dans un monde normal a le droit de s’inquiéter.

L’inquiétude maternelle est un gouffre dont on n’aperçoit jamais le fond et le 7 octobre en a fait exploser les contours

J’ai découvert que l’inquiétude maternelle est un gouffre dont on n’aperçoit jamais le fond et que le 7 octobre en a fait exploser les contours ; l’inquiétude est devenue l’horizon, la base, la fondation, les murs, l’histoire de ma vie, l’englobant dans toutes ses dimensions et ses actes du quotidien. Je vis, nous vivons tous, dans un monde qui nous réveille le matin le cœur battant ; un monde qui nous endort le soir le cœur serré. Un monde au sein duquel les psaumes du Roi David sont lus sans interruption comme si leur lecture était une opération à cœur ouvert dont chaque geste est capital pour assurer le fonctionnement de la chaine et la survie de l’âme ; un monde dans lequel notre âme individuelle et notre âme collective pleurent ensemble, penchées comme deux sœurs jumelles sur les tombes de nos disparus. Un monde dans lequel la foi en D… est paradoxalement plus forte que jamais ; plus encore que les miracles, les histoires de survie, les témoignages sur les ombres de défunts grands sages juifs  aperçues par les terroristes à l’entrée d’une ville israélienne , plus encore que l’élan mystique du peuple, le courage de nos soldats et les victoires surnaturelles, c’est la haine elle-même qui renforce notre foi, car comment ne pas croire du plus profond de son cœur qu’une haine aussi irrationnelle, dénuée de toute logique, dépourvue de tout sens, dirigée depuis toujours contre la même petite nation, le même petit pays, une haine qui rejaillit dans le monde entier sur des gens qui ont comme caractéristique commun d’avoir un nom de famille identifiable,  un linteau de porte surmonté d’un parchemin, ou une tête  vêtue d’ un petit chapeau le vendredi soir, comment ne pas croire que cette haine-là ne soit pas fortuite mais bel et bien inscrite dans un processus historique intrinsèquement divin , un processus qui échappe à toute rationalité humaine ?

Plus de 30 ans ont passé.

Mes enfants ne connaissent pas le goût des sorties à vélo le dimanche après-midi dans les rues de banlieue parisienne. Au lieu de cela, l’un est soldat combattant dans Tsahal depuis presque trois ans.  L’autre vit depuis un an à Shlomit, cette petite localité juive située à quelques kilomètres seulement de la bande de Gaza, évacuée pendant plusieurs mois apres le 7 octobre, et dont quatre hommes ont été tués après avoir courageusement secouru la localité voisine, Pri-Gan, prise elle aussi d’assaut par des terroristes maudits. La troisième est monitrice à Ezra, mouvement de jeunesse sioniste qui prône les valeurs d’entraide, de tolérance, d’amour du pays et du peuple. Elle et ses amies ont repeint au début de la guerre les murs des locaux qui accueillent les activités hebdomadaires du mouvement, en écrivant une phrase écrite par un jeune soldat tombé pendant la guerre. Je ne me souviens plus de la phrase, mais j’en sais le contenu. C’est une phrase qui parle de l’amour envers chacun des membres du peuple. Ou qui parle du travail des midot (les valeurs juives). Ou qui parle du rapport à D…. Ou bien une phrase qui parle de son amour de la terre d’Israël. Comment je le sais ? C’est parce que tous les soldats ont des petits carnets sur lesquels ils écrivent des phrases, et toutes ces phrases se ressemblent. Toutes, elles transpirent d’amour, d’altruisme, de courage, de grandeur, de surpassement de soi. Toutes, elles portent le secret de l’éternité d’Israël. Ce secret envié par tant de nations du monde, Ce secret si simple, et si complexe. Arrête de parler, fais. Agis. Répare le monde. 

Pauvres nations, je vous plains

Je vous sens si tiraillées. D’une part, vous vous sentez le devoir moral de condamner fermement l’antisémitisme. C’est bien, de condamner l’antisémitisme, et puis ça permet de faire de belles phrases, joliment écrites, avec de belles citations, de beaux discours officiels qui vous font penser que, pardieu, vous êtes inattaquables sur le sujet de l’antisémitisme. Brillants, en tête de classe, même. Vous en faites beaucoup, certains diront: « trop », mais enfin que diable, personne ne vous fera le reproche d’être antisémite.  Les attaques du 7 octobre, vous en avez dénoncé l’ignominie, plus d’une fois, sur toutes les tribunes qu’on vous a présentées.

L’ennui, c’est que d’autre part, vous avez du mal avec le concept de défense dès lors qu’il s’applique aux juifs. Alors vous attaquez notre défense. Se défendre, oui, mais pas trop, pas jusqu’au bout, et puis sans pertes « civiles » s’il vous plait, et qu’importe qu’aucun pays au monde n’ait à ce jour  trouvé le secret pour faire la guerre sans pertes civiles, qu’importe qu’ Israël soit le seul pays au monde à prévenir les populations civiles d’évacuer avant qu’il attaque, qu’importent les convois humanitaires, les couloirs humanitaires, les médicaments humanitaires, qu’importe le sort de nos otages et leur abandon par toutes les pseudos associations des droits de l’homme pas juif,  de toutes façons, Israël ne sera jamais assez humanitaire pour le monde, et on en attendra toujours plus, en terme d’ humanitaire, d’un pays plus humain que tout le reste de la planète. 

Pauvre France, je te plains

J’ai aimé tes dimanches, tes écoles, tes dissertations, tes stylos bille de toutes les couleurs, ta rigueur, ton solfège, tes conservatoires, tes professeurs tirés à quatre épingles, ton égalité des chances, ta poésie, tes parcs, tes promenades, tes lacs, tes rêveries, tes auteurs, et encore tant et tant de choses que j’ai chéries en toi. Je t’ai tellement aimée qu’il serait trop long de dresser la liste de nos bonheurs ensemble. 

Aujourd’hui tu sembles êtres à l’agonie. Il faut l’être, pour oser comparer le dirigeant d’Israël, la seule démocratie du Proche Orient, au dirigeant du Hamas, dont il n’est guère besoin de préciser la nature ignoble éminemment terroriste, et les poursuivre tous deux dans un même mandat indigne. Le tien arrive à terme. Alors, pour tenter de te réanimer, permets-nous pour une fois d’inverser les rôles, et de jouer celui de donneur de leçon.  Je vais te chuchoter, sur ton lit de moribond, le secret simple et complexe de l’éternité d’Israël, ce secret écrit dans toutes les langues et sous toutes les formes par les valeureux soldat d’Israël : « Arrête de parler, fais. Agis. Répare le monde ». 

Enfant, je vivais dans un monde de certitudes inébranlables et douces comme l’insouciance, et aujourd’hui, je vis dans un océan d’incertitudes vertigineuses dont je n’aperçois ni le début ni la fin. 

30 ans ont passé et aujourd’hui, il me reste une seule certitude: la pérennité du monde dépend de la pérennité du peuple juif qui dépends de la pérennité d’Israël.

 Am Israel Hai Ve Kayam, le peuple d’Israël vit et existe: c’est la seule véritable aide humanitaire qui existe aujourdhui pour sauver le monde de son déclin inexorable.

© Emmanuelle Berdugo
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