Liliane Messika. Pas de Palme d’or du documentaire 2024 pour Gaza !

“La Belle de Gaza”, portrait de “guerrières” de la transidentité réfugiées à Tel Aviv.
Le documentaire prend pied dans un décor unique, une rue de Tel Aviv, où, au milieu des restaurants branchés et de graffitis, les prostituées trans palestiniennes, attendent le client

Depuis MeToo, les jurés de Cannes ne couronnent plus des films, mais des idéologies.

« La Belle de Gaza » avait donc toutes ses chances plus une. Oui, mais non.

Pas vu, pas dé-primé

On avait parié que La Belle de Gaza raflerait haut-la-main la palme du documentaire 2024, mais on s’était profondément planté. 

Pourtant depuis que notre monde a viré idéologique, Cannes est toujours en avance d’un conformisme, aussi était-il est difficile d’imaginer qu’un « documentaire délicat sur les femmes trans d’origine palestinienne » comme l’a décrit Le Point[1], ne remporterait pas l’Œil d’or. 

Le Monde avait jugé que ce film « se penche sur les destins souvent tragiques des femmes transgenres en Israël.[2] » Le crépusculaire ne s’est pas rendu compte qu’à céder à son réflexe antisioniste, il sciait la branche du Gaza magique sur laquelle était assise la publicité du documentaire.

Ce que les journalistes ont projeté… sur le film de Yolande Zauberman constitue l’aspect méta-cinématographique de l’œuvre, aussi intéressant que le scénario. 

N’en déplaise au quotidien de déférence wokiste, en Israël, les femmes transgenres ont un destin. Il n’est tragique que de l’autre côté de la Ligne verte, où l’homosexualité est punie de mort. Ainsi, en 2022, un jeune palestinien de 25 ans, qui avait obtenu le statut de réfugié sexuel en Israël, a été kidnappé par sa famille, ramené en Cisjordanie et décapité. Même France Info[3] en a parlé !

C’est pourquoi La Belle de Gaza n’a pas été tournée à Gaza mais à Tel Aviv, capitale mondiale des gay prides. 

La réalisatrice du documentaire se dit « obsédée par les frontières et les couples d’ennemis, je me suis dit : elle porte tout en elle. Homme, femme, Palestiniens, Israéliens, musulmans, juifs… »

Elle a raison : voici résumées les problématiques identitaires à partir desquelles se détruit notre société. L’Homme, le Juif et Israël sont les archétypes de tout ce qui est négatif, alors qu’en la femme, les musulmans et les Palestiniens se résume le bien universel.

Zauberman en fait la synthèse, non pas dans un couple mixte (dans tous les sens du terme, fleurant mal le privilège blanc hétéronormé), mais en un seul être. Une solution à deux êtres en un seul, qui ressemble beaucoup à la solution à deux États-où-il-n’en-reste-qu’un : un qui a pour vocation de détruire l’autre, à qui on impose de se suicider pour être idéologiquement acceptable. 

Le cinéma invente des histoires. Ce documentaire a inventé un titre gagnant

Le film aurait pu/dû s’intituler « les trans échappées de Gaza pour survivre », mais le nom de l’enclave Hamastique ne se conçoit que dans un champ syntaxique positif et compassionnel. 

Dans la réalité, les trans interviewées n’ont pu se vivre comme telles que sur le sol israélien. L’héroïne du film a intéressé la cinéaste en ce qu’elle aurait accompli le trajet de Gaza à Tel Aviv à pied. Cela ne représente un exploit que dans l’imaginaire français, car la distance, elle, est inférieure à celle qui sépare Mantes-la-Jolie de Notre-Dame de Paris (71 km[4]).

Le problème pour les progressistes français, dont le credo implique une coexistence entre LGBT et palestinisme, c’est qu’à Gaza, l’homosexualité est punie de mort et le changement de sexe est un impensé. 

En témoigne la vidéo d’un imam de Gaza, demandant à ses fidèles : « Accepteriez-vous la présence d’un seul homosexuel à Jérusalem ou en Palestine ?[5] » sur un ton qui ne laisse aucun doute quant au sort qui attend les partisans du « oui ».

Quelle analyse pour ce film par les Queer4Palestine ?

Cela n’empêche pas les militants intersectionnels, qui vivent dans un autre espace-temps que le Moyen-Orient terrien du XXIe siècle (et qui s’informent du réel de leur planète dans Le Monde), de clamer que « Les homosexuels palestiniens ont toujours été les leaders de leur propre résistance contre l’apartheid israélien, et les personnes LGBTQIA+ non palestiniennes du monde entier soutiennent l’appel à mettre fin à l’occupation israélienne de la Palestine depuis des décennies.[6] » Au risque de mourir jeté du toit d’un immeuble, cela va sans dire. Donc on ne le dit pas.

Les mêmes militants expliquent le succès des Gay Prides telaviviennes par la rouerie ontologique des Israéliens : à travers la « stratégie appelée “pinkwashing”, Israël se présente comme une utopie gay et une destination touristique et tente de coopter l’homosexualité en tant qu’outil de propagande. »

Parmi les trans présentées dans le documentaire, il y a deux israéliennes, une juive et une Arabe chrétienne. Elles témoignent de l’apartheid israélien. 

L’Arabe, Tallin Abu Hanna, chanteuse et artiste, a été élue Miss Trans Israël en 2016 et s’est classée première finaliste au concours de Miss Star International. Elle n’était pas la première célébrité israélienne de son… genre : en 1998, le pays au drapeau bleu et blanc avait remporté l’Eurovision grâce à Dana International, née homme, qui avait terminé sa transition cinq ans auparavant. À cette époque, l’État juif ne pratiquait pas encore le transwashing car la notion de trans était quasi inconnue du grand public.

Dana International chantait en hébreu et en arabe. Interdite en Égypte du fait de sa nationalité, ses albums s’y vendaient par millions sous le manteau[7]. Mais c’est Israël qui pratique l’apartheid.

L’autre Israélienne du film de Zauberman est une juive orthodoxe, car il est indispensable, si l’on critique quoique ce soit en Palestine, qu’on montre aussitôt qu’il se passe bien pire en Israël. Le mariage de cette trans avec un rabbin a duré trois ans. Il ne s’est jamais aperçu qu’elle n’était pas née de la côte d’Adam. Quand elle a voulu le quitter, elle a fait son coming out en laissant traîner des papiers compromettants. Elle a été sévèrement punie : il lui a aussitôt accordé le divorce. 

Nuit sensuelle, nuit mortelle, nuit d’amour

En Yolande Zauberman dans le texte, « la nuit, c’est sensuel. J’aime magnifier les gens. Ces femmes trans, dans les temps anciens, on les voyait comme des demi-déesses. Je voulais leur restituer cette place.[8] »

Comme si, dans notre société, les trans n’étaient pas déjà déifiés à médias que veux-tu !

© Liliane Messika


Notes

[1] www.lepoint.fr/culture/cannes-2024-la-belle-de-gaza-un-documentaire-delicat-sur-des-femmes-trans-d-origine-palestinienne-18-05-2024-2560505_3.php

[2] www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2024/05/17/en-israel-talleen-abu-hanna-la-jeune-espoir-des-femmes-transgenres_6233875_4500055.html

[3] www.francetvinfo.fr/societe/lgbt/israel-persecute-pour-son-homosexualite-un-homme-de-25ans-retrouve-decapite-en-cisjordanie_5402836.html

[4] https://fr.mappy.com/itineraire#/voiture/Paris%2075001-75116/Mantes-la-Jolie%2078200/car/3

[5] Sous-titrée en anglais : https://x.com/MEMRIReports/status/1544212390459441152

[6] www.prismreports.org/2024/02/05/queer-people-organizing-solidarity-palestine/

[7] www.chartsinfrance.net/Dana-International/news-72661.html

[8] Le Point op.cit.


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1 Comment

  1. Réfugiés politiques, réfugiés économiques, réfugiés religieux, réfugiés climatiques et maintenant réfugiés sexuels. N’importe qui, pour avoir des papiers, peut dire qu’il est homo. Les agents de l’administration ne lui demanderont pas d’en faire la démonstration,

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