« Toute ma vie, je l’ai passée sur la route, avec ma famille, mes frères et mes sœurs. On n’était pas des voleurs, nous ne faisions que jouer de la musique et dire la bonne aventure. Nous ne possédions aucun bien, hormis un cheval et notre roulotte. Nous vivions au jour le jour. La forêt ennoblit l’homme. Celui qui passe sa vie dans la forêt, apprend à apprécier la liberté. Nous voyagions de village en village, les mains nues. Nous serrions nos enfants dans nos bras, nous mangions le pain des mendiants. Impossible d’oublier cette vie. Il y a des souvenirs qu’on ne saurait arracher à son cœur. Je n’oublierai jamais mes voyages, mon campement. J’en suis fière. Ne dites pas que je pleure parce que ces souvenirs me font de la peine. Non. Je suis très heureuse. » Papusza
Les nazis sont embarrassés. Le champion de boxe allemand est juif, Erich Seelig. Ils finissent par le priver de son titre en mars 1938. Johann Trollmann postule au titre qu’il remporte face à un « aryen », Adolf Witt. Il est sinti et son nom de boxeur est « Zigeuner ». Huit jours plus tard, on le prive à son tour de son titre. En 1939, il est intégré à la Wehrmacht (alors que ses trois frères sont déportés) et se bat sur le front de l’Est. En 1942, il est déporté au camp de Neuengamme. Le 9 février 1943, il est abattu par les SS, car tsigane.
Dans l’Est polonais, la majorité des Tsiganes semble avoir été assassinée hors des camps. Dans le Sud polonais ainsi que dans d’autres parties du pays, ceux qui ont échappé aux camps d’extermination sont assassinés à partir de l’automne 1941 dans leurs propres villages. Lodz est au centre du système d’extermination des Roms où un espace leur est réservé à l’intérieur du ghetto juif. La déportation des Roms d’Europe vers la Pologne (Lodz) commence par l’Autriche avec mêlés à eux des Sintis (soit des Roms allemands). Le premier groupe de Roms déporté à Auschwitz II (Birkenau) arrive le 16 décembre 1942 en provenance de Belgrade. Le Zigeunerfamilienlager.
Le 14 août 1941, Himmler décide de détruire les Juifs d’U.R.S.S., une destruction qu’il étend aux Roms. Dans la seconde moitié d’août 1941, cette décision devient opérationnelle. Assassinat systématique des Roms en Ukraine, Lettonie, Estonie et Lituanie où les nazis trouvent de nombreux collaborateurs locaux. On s’en prend d’abord aux Roms qui nomadisent puis aux Roms sédentaires.
Deux pays ont pris la défense des Roms et des Juifs, le Danemark et la Bulgarie. En mars 1941, la Bulgarie devient formellement alliée des nazis qui lui accordent en remerciement les territoires qu’elle convoite, soit la Macédoine yougoslave et la Thrace grecque. La Bulgarie évite l’occupation allemande suite à une série de manœuvres politiques par ailleurs contradictoires. L’absence de troupes allemandes sur son territoire explique en grande partie que Juifs et Roms de Bulgarie aient échappé aux KZ et à l’extermination. Une juridiction est mise en place à leur encontre. Le travail forcé leur est imposé (notamment des travaux de terrassement et des travaux de voirie) mais ce travail n’a aucune visée exterminatrice et permet de donner le change aux Allemands qui se font de plus en plus pressants, notamment sur la question juive. Les Bulgares traînent des pieds et ne se résolvent pas à livrer les Juifs et les Roms, du simple citoyen en passant par des intellectuels, des fonctionnaires à tous les niveaux, la hiérarchie de l’Église orthodoxe, le roi Boris III qui entretient de bonnes relations avec les responsables de la communauté juive du pays, soit environ cinquante mille individus. Des manifestations collectives obligent le ministre de l’Intérieur Petăr Dimitrov Gabrovski à faire marche arrière quant à ses projets de déportation. Mais si les Juifs et les Roms de Bulgarie même sont épargnés, ce n’est pas le cas de ceux des territoires attribués à la Bulgarie, soit la Macédoine yougoslave et la Thrace grecque où vivent environ quinze mille Juifs qui sont presque tous déportés et assassinés.
Si les Roms sont majoritairement chrétiens ou musulmans, il existe dans ce peuple une minorité de Roms juifs. Un petit groupe d’individus (soit un peu plus d’une centaine de familles) connus sous le nom de Zhutane Roma s’est constitué dans la capitale bulgare, Sofia, au cours de la Deuxième Guerre mondiale, soit des descendants de Juives généralement pauvres voire misérables mariées à des Roms. Ce petit groupe vivait dans la rue Sredna Gora. A la fin de la guerre, la plupart de ses membres émigreront en Israël.
Les Tsiganes ont diversement souffert, presque toujours et partout. Leurs plus grandes souffrances ont lieu au cours de la Deuxième Guerre mondiale, principalement dans les camps nazis de Pologne, des camps d’extermination, et un peu partout sur le territoire polonais avec les Einsatzgruppen, mais aussi dans l’État indépendant de Croatie (NDH), celui des Oustachis, d’Ante Pavelić et d’Andrija Artuković surnommé le « boucher des Balkans » ou le « Himmler croate ». L’État indépendant de Croatie va promptement résoudre la question tsigane et sans l’aide des Allemands, ou presque. Le recensement du 3 juillet 1941 sert de base à la déportation des Tsiganes vers des camps dont celui de Jasenovac où quarante mille des leurs périront. Jasenovac, un camp qui ne leur est pas spécialement réservé puisque les principales victimes y seront les Serbes.
La Bosnie-Herzégovine se trouve sous juridiction croate. Des associations musulmanes viennent au secours des musulmans qui y vivent. Le 30 août 1941, le ministre de l’Intérieur croate, annule l’arrestation générale dont il écarte les musulmans de Bosnie-Herzégovine (parmi lesquels des Roms) par crainte d’un affrontement avec celle-ci, ce qui n’empêche pas les Oustachis d’arrêter des Roms de Bosnie-Herzégovine dans d’autres États. Il y a des camps dans toute la Croatie, des camps indépendants des nazis.
La présence des Roms est attestée dans toute la littérature concentrationnaire, même si leur évocation se fait généralement en passant et reste en marge. Christian Bernadac a constitué un corpus à part de témoignages se rapportant aux Roms dans « L’holocauste oublié : le massacre des Tsiganes », des témoignages et des documents réunis et présentés par ce dernier. Les témoignages relatifs aux Tsiganes sont particulièrement nombreux pour le camp des femmes, Ravensbrück. Dans les persécutions dont ont été victimes les Roms figure le pire : les expériences médicales pratiquées par des médecins nazis, dont le plus connu, Joseph Mengele et son assistant Hans Münch. Les Roms n’ont pas été les seules victimes de ces expériences médicales, loin s’en faut, mais ils constituaient des pièces de choix pour ces médecins.
Les Roms et cette obsession des États : le vagabondage, une obsession déjà présente aux époques médiévales selon Bronisław Geremek. Aux époques plus récentes, il ne s’agit plus de sécurité, comme aux époques d’attaques de diligences, mais de volonté de contrôle total des populations, avec notamment le fichage des vagabonds. Voir le carnet anthropométrique et la loi du 16 juillet 1912 (abolie en 1969), loi qui permettra l’internement des Roms dès le 4 octobre 1940. Juste remarque de Claire Auzias : « Les Tsiganes sont effectivement un défi aux limites de l’ordre politique, conçu comme un privilège d’élus. Ils renvoient à l’étroitesse d’une pensée politique anthropométrée. »
Les historiens des camps tsiganes français sous Vichy, avec Jacques Sigot, auteur un ouvrage sur le camp de Montreuil-Bellay, « Ces barbelés oubliés par l’Histoire. Un camp de Tsiganes… et les autres, le camp de Montreuil-Bellay, 1940-1945 », et Marie-Christine Hubert pour l’ensemble des camps de Vichy pour Tsiganes français, « Les Tsiganes de France, 1939-1946 : assignation à résidence, internement, déportation ».
Lire l’écrivain rom Matéo Maximoff. Lire également le très beau livre de Jan Yoors, « La croisée des chemins, la guerre secrète des Tsiganes, 1940-1944 ».
Le nazisme a renforcé le clivage entre les Sinti et les Roms, un clivage très imprécis jusqu’à la fin du XIXème siècle où le terme Zigeuner désignait indistinctement tous les sous-groupes tsiganes. Les nazis ont mené une intense propagande afin de convaincre les Sinti qu’ils étaient des Aryens et qu’ils n’avaient rien à voir avec les Zigeuner et les Böhmer, et qu’en conséquence ils n’avaient rien à craindre. Cette inclinaison est déjà sensible chez Alfred Dillmann. Des Sinti ont intégré la Wehrmacht et se sont battus dans ses rangs avant d’en être radiés, déportés et pour presque tous exterminés.
Dans sa conclusion à « Samudaripen, le génocide des Tsiganes », Claire Auzias précise que les Roms ont, dans l’affirmation publique de leur Samudaripen, une question éthique de taille à affronter car leur mémoire n’est pas prescrite (comme elle l’est chez les Juifs qui sont par excellence le peuple de la mémoire écrite), que les morts sont jugés menaçants et que le passé recèle l’esprit des morts ; il convient donc de laisser le passé en paix, et les morts avec lui. Les Roms ne sont pas un peuple de l’écrit, du livre, contrairement aux Juifs, une particularité qui ne facilite pas nécessairement la préservation de la mémoire. Les Roms ont longtemps été illettrés, simplement parce que l’écrit n’entrait pas vraiment dans leur culture. La nouvelle génération lit et écrit plus volontiers, ce qui suscitera peut-être un nouveau rapport à la mémoire, à leur mémoire, une mémoire essentiellement portée par une tradition orale, une tradition d’une singulière richesse.
Ci-joint l’intégralité d’un texte anthropologique de Patrick Williams, un texte passionnant, « Nous, on n’en parle pas » :
https://books.openedition.org/editionsmsh/4865?lang=fr
Et un autre texte du même auteur, un texte non moins passionnant, « Mare mūle. Les morts parmi les vivants » :
https://books.openedition.org/editionsmsh/4866?lang=fr
Ces deux textes qui procèdent du livre de Patrick Williams, « Nous on n’en parle pas », sous-titré « Les vivants et les morts chez les Manouches », Éditions de la Maison des sciences de l’homme, collection « Ethnologie de la France » (2014).
Concernant la traduction française des poèmes de Papusza, Jean-Yves Potel précise : « Or, l’adaptation française de ses poèmes soulève un problème épineux. On en compte une quarantaine, ils ont été écrits en romani, puis traduits en polonais. Nous n’en connaissons qu’une quinzaine en version romani, publiée par Jerzy Ficowski en 1956. Il précise lui-même qu’il a dû « déchiffrer » les manuscrits qu’elle lui envoyait. En général, note-il dans une de ses préfaces : « C’est écrit d’un seul trait, d’un bout à l’autre de la feuille, parfois en signalant la fin de la phrase avec quelque chose qui ressemble à une parenthèse. C’est seulement quand elle lit, que l’on peut distinguer le vers, grâce au rythme… »
© Olivier Ypsilantis
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