Le style des dessins, noir et blanc cette fois, est reconnaissable entre mille. Celui des bulles et des dialogues qui s’y accrochent l’est tout autant. La nouvelle BD de Joann Sfar, titrée « Nous vivrons »(1), comme en écho à l’illustration poignante qu’il avait diffusée dans la foulée du 7 octobre 2023, est une sorte de manuel de survie.
Survie pour l’auteur qui trempe sa plume (ou plutôt ses feutres de combattant de la paix) dans les pleurs d’une communauté meurtrie là-bas, comme dans ceux des Juifs de la diaspora qui ont vécu avec distance géographique, mais sans aucune distance émotionnelle, ce qui se passait d’atroce et d’irrespirable au sud d’Israël un certain chabbat qui suivait Simha Torah…
Cœur de cible
Comme le dit l’argumentaire du livre, après le 7 octobre des millions de Juifs dans le monde se sont réveillés d’un cauchemar avec une terreur qui se prolongeait. Une terreur qu’on croyait à jamais dissoute avec la Shoah. Tous se sont rapidement rendu compte qu’ils portaient à leur tour une cible dans le dos après avoir vu 1 200 des leurs subir les atrocités du Hamas puis les soldats entrer dans Gaza, parfois (trop souvent) sans retour.
Et comme l’indique l’argumentaire du livre de Sfar, même les plus éloignés de la tradition ou d’Israël ont été rattrapés par l’onde de choc, le traumatisme des pogroms millénaires et de l’extermination des juifs d’Europe qui soudain refaisait surface…
Que faire avec cette peur, avec ce tremblement de terre du 7 octobre et ses répliques à distance qui, loin de se calmer, se sont multipliées et sans cesse aggravées, au point d’exploser tous les compteurs d’actes antisémites recensés en occident depuis la première intifada, et même de la seconde ?
La réponse de Joann Sfar tient dans ce gros livre de près de 450 pages à la couverture bleue, paru aux éditions des Arènes BD. Un livre épais donc qui laisse apparaitre sur ladite couverture des visages éplorés ou effrayés, dont celui de Sfar lui-même, et un Chaï qui matérialise l’appel à la vie face à la mort, celui de la paix et de la liberté face au chaos engendré par le Hamas là-bas, par ses alliés ici…
Quête et enquête
A la clé, un recueil d’impressions vues, de rencontres, de dialogues (certains possibles, d’autres moins), d’enquêtes aussi au plus près de la douleur et mêlant, dans la grande tradition du judaïsme et de Sfar lui-même rires et larmes. Et cette impression permanente et entêtante tout au long de la lecture de « Nous vivrons » sous-titré « Enquête sur l’avenir des Juifs », d’être en phase avec lui, de partager ses colères et ses doutes, ses questions qui affluent par centaines et n’appellent pas toutes des réponses. L’impression omniprésente de passer par toutes les couleurs d’un arc-en-ciel émotionnel qui nous empêche, depuis octobre 2023, de respirer comme avant, de penser comme avant, d’aimer comme avant…
Le livre commence par ces mots : « L’ennemi, ce n’est pas le Palestinien ou l’Israélien, ou le musulman ou le Juif. L’ennemi, c’est celui qui décide que les enfants ou les civils sont des cibles. On reste assis et on subit les massacres. Les assassins de tous les camps sont des alliés objectifs ».
Le livre s’achève par ces mots : « … Je n’ai rien fait d’autre depuis le 7 octobre. Prendre son dessin très au sérieux même pour 500 pages en 80 jours. Comment on fait ? On ne on ne dort guère et on fait de son mieux. Cette contrainte pour le meilleur et pour le pire m’amène dans des violences physiques où l’on va rarement en dessin. Je ne crois pas qu’on se casse la figure en progressant ainsi. Vous me direz si ça marche« .
Oui Joann, ça marche ! Ça touche et je crois que cela nous rend redevables. En tous cas reconnaissants pour votre engagement, pour la force de vos dessins et celle de vos mots.
Le 13 mai dernier, Joann Sfar est venu en soirée à l’ECUJE, dans le cadre du programme « BD à l’ECUJE ». Il était interrogé par Haïm Musicant. Voici ici le lien pour accéder au replay de cette conférence à guichets fermés (plus de 300 personnes, un record !) qui fut vraiment, de l’avis général, un grand moment :
Auparavant, il s’était « produit » au Mahj et il participera le 21 mai prochain à un déjeuner solidaire aux Salons Hoche, sous l’égide du FSJU.
Que faire ?
Il faut l’entendre cet homme. Il faut comprendre qu’il est un des rares à être capable de parler bien au-delà de la communauté, acquise dans son immense majorité au sort d’Israël et, au-delà à tous les Juifs meurtris en orient comme en occident.
Il faut dire encore qu’on l’admire pour son engagement et ses prises de parole fortes et régulières sur les réseaux sociaux. Et puis bien sûr il faut acheter et lire cet ouvrage, bouleversant de talent et d’humanité. On en avait besoin. On en a tellement besoin…
Merci Joann Sfar !
© Gérard Kleczewski
- « Nous vivrons. Enquête sur l’avenir des juifs », éditions Les Arènes BD. 450 pages. 35€.
Merci à Joann Sfar pour ses magnifiques ouvrages.
Je le suis depuis longtemps , le chat du Rabbin et autres.
Merci pour son engagement.
Pour justifier son positionnement actuel et faire dans la dentelle afin de se préserver des affres, Johann Sfar est fier d’annoncer qu’il y a 20 ans il était un pro palestinien. Si aujourd’hui, il n’est point capable de reconnaitre à quel point il s’est fourvoyé, où est l’intelligence? Il y a 20 ans, on était au sortir de la seconde Intiufada qui avait prouvé qu’être pro palos avait été la plus vaste stupidité en s’engouffrant dans un traquenard mortel.
J’aime beaucoup Joann Sfar pour ses prises de paroles fortes, ses émotions, ses colères,tout en étant d’un calme absolu. J’ai adoré ses bd « le chat du rabbin », pleines d’humour et de réflexions sur les religions. Quant au roman graphique « nous vivrons », tellement poignant, on passe par toutes les émotions et on n’en sort pas indemne.