Le sinistre palimpseste de l’accusation de génocide. Par Renée Fregosi

Depuis le début de novembre 2023, Israël fait l’objet de façon insistante, d’une accusation de génocide dans la bande de Gaza. Des universitaires[1], puis Hala Abou Hassira[2], « ambassadrice de Palestine » et Francesca Albanese[3], rapporteur spécial des Nations unies pour « les territoires palestiniens occupés » ont accusé les Israéliens de perpétrer un génocide sur le peuple palestinien, et en décembre, l’Afrique du Sud portait une requête auprès de la Cour internationale de justice accusant Israël de se livrer à des « actes de génocide contre le peuple palestinien à Gaza [4]». Bien que la CIJ ne se soit pas prononcé sur la question de savoir si Israël commet un génocide à Gaza, la mobilisation « antisioniste » sur ce thème continue d’enfler notamment sur les campus des pays occidentaux.

L’inversion des rôles 

L’inversion des rôles est classique chez les génocidaires. Massacrant en masse les Arméniens pendant la guerre de 14-18 pour bâtir une nouvelle nation unitaire, les Turcs les accusaient d’être des agents de l’ennemi[5]. Les nazis exterminant les Juifs d’Europe, dénonçaient leur visée dominatrice, leur influence mondiale et les désignaient comme les fauteurs de guerre et les corrupteurs de la « race aryenne », justifiant la « solution finale »[6]. Les tueurs hutus présentaient les Tutsis comme des dominateurs et des expropriateurs de la terre hutue et les déshumanisaient en les qualifiant de cafards à exterminer systématiquement[7]. Les Khmers rouges présentaient leurs victimes (adultes et enfants des deux sexes de tous âges) comme des dangers mortels pour l’Angkar, des corps étrangers, destructeurs occidentalisés de la nation originelle, à déporter en masse pour les éradiquer jusqu’au dernier.

L’accusation de génocide lancée contre Israël dans sa lutte contre le Hamas n’a donc rien de surprenant. Si volonté génocidaire il y a dans le conflit israélo-arabe, c’est bien plutôt en effet du côté des massacres du Hamas qu’il faut dénoncer la visée génocidaire. Caractère génocidaire qui se lit notamment dans « la façon dont le Hamas a usé de la violence sexuelle comme arme »[8]. Et au-delà du viol et de l’acharnement sur le ventre et le sexe des femmes, la volonté de profaner les corps qui s’est manifesté également par les blessures au visage notamment, les mutilations, les dépeçages, les crémations pratiqués ante et post mortem sur les femmes comme sur les hommes (dont certains ont été violés d’ailleurs), signe le projet de déshumanisation et d’extermination de tout un peuple.

L’accusation ne date pas d’hier

Or, cette injurieuse imposture ne date pas d’hier. Dans les années 70 déjà, Edward Saïd, l’un des promoteurs intellectuels du propalestinisme[9], qui estimait que les Palestiniens constituent « peut-être un peuple exceptionnel[10] » retournait ainsi la notion de peuple élu pour la transférer à un peuple construit sur le mythe de la nakba[11]. Car c’est bien d’une référence en miroir à la « Shoah » qu’il s’agit, puisque le mot « nakba » a un sens similaire à celui de « grande catastrophe » en hébreu[12]. Les Palestiniens seraient donc victimes d’un génocide depuis 1948. C’est en tous les cas ce que prône par exemple l’historien nord-américain Martin Shaw[13] depuis plusieurs années. 

Puis « l’accusation connaît une nouvelle flambée lors de la guerre du Liban, en 1982. Alors qu’Israël est entré chez son voisin pour mettre fin aux tirs de roquettes sur son sol, et défaire la menace que fait peser l’OLP de Yasser Arafat, retranché à Beyrouth, Le Monde publie un « placard » : une pleine page achetée par ses auteurs, affirmant que le « sionisme » serait un « racisme » légitimé par « l’argument de l’Holocauste », et Israël, un État « colonial » et « terroriste ». Il a été rédigé par Roger Garaudy, philosophe. (…) Les massacres de Sabra et Chatila, perpétrés par les phalangistes chrétiens de Bachir Gemayel alliés aux Israéliens, ont suscité une vive émotion internationale. Garaudy en profite pour accuser Israël d’être le seul et véritable coupable des massacres. Notamment, écrit-il, parce que le génocide est inscrit dans les textes sacrés du judaïsme »[14].

La suprême imposture de l’accusation actuelle

Mais si la tactique est ancienne, la nouvelle accusation de génocide lancée après le 7 octobre est sans doute encore plus odieuse que les précédentes. D’une part, les Israéliens n’ont jamais eu la volonté d’exterminer les Arabes de Palestine comme en témoigne clairement leur démographie. Étrange génocide en effet sur une population qui depuis 1990 est passée de 2 à 5 millions et connait un taux de croissance démographique annuelle de 2,5%[15]. D’autre part, l’offensive menée à Gaza est conduite de la façon la plus raisonnable possible : elle ne relève en aucune façon de la vengeance mais de la nécessité de détruire les infrastructures du Hamas et de capturer ses chefs qui ont juré de « recommencer le 7 octobre encore et encore[16] », et par ailleurs, Tsahal fait en sorte de faire le moins de victimes civiles possibles (alors que l’horrible ratio est généralement de 9 à 10 civils tués pour 1 combattant[17], il serait de 3 à 2 pour 1[18]). Enfin, on se trouve là au summum de l’usurpation d’identité dans la concurrence victimaire : on fantasme que les Israéliens font subir aux Gazaouis ce qu’ils ont quant à eux réellement subi et que l’on dénie.  

Le 7 octobre est ainsi d’autant plus traumatisant pour ceux qui en sont touchés (Juifs et non Juifs a qui les larmes montent aux yeux à la simple évocation des personnes torturées et tuées et de celles vivantes ou mortes prises en otage) que d’autres y sont totalement indifférents voire ont effacé (« annulé » selon la pratique de la cancel culture) l’évènement en le recouvrant du prétendu génocide de Gaza, comme un sinistre palimpseste. Le propalestinisme assassin ou complice des assassins réécrit l’histoire sur les corps martyrisés des Juifs. Le négationnisme est ici poussé à son comble : l’effacement du 7 octobre renforce le narratif mensonger du « malheur palestinien » dont les Juifs seraient responsables.

© Renée Fregosi
Philosophe et politologue. Présidente du CECIEC. Dernier ouvrage paru : Cinquante nuances de dictature. Tentations et emprises autoritaires en France et ailleurs. Éditions de l’Aube 2023 

Notes


[1] « Des universitaires mettent en garde contre un potentiel génocide à Gaza », Contretemps, 8 novembre 2023, https://www.contretemps.eu/universitaires-potentiel-genocide-gaza/

[2] L’Humanité, 7 décembre 2023, https://www.humanite.fr/monde/bande-de-gaza/guerre-israel-hamas-le-mot-genocide-nest-pas-demesure-cest-la-realite-de-gaza-qui-lest

[3] Zeina Kovacs, « Á Gaza, le risque de génocide se matérialise de plus en plus », Médiapart, 28 décembre 2023, https://www.mediapart.fr/journal/international/281223/gaza-le-risque-de-genocide-se-materialise-de-plus-en-plus

[4] La Tribune, 29 décembre 2023, https://www.latribune.fr/economie/international/l-afrique-du-sud-accuse-israel-de-se-livrer-a-des-actes-de-genocide-contre-le-peuple-palestinien-a-gaza-986914.html

[5] Voir notamment Bernard Bruneteau, Un siècle de génocides. Éditions Armand Colin, 2016

[6] Voir notamment Raul Hilberg, La destruction des Juifs d’Europe. Éditions Folio Histoire, 2006

[7] Voir notamment Jean Hatzfeld, Une saison de machettes. Éditions Point, 2003

[8] New York Times, 28 décembre 2023, « ‘Screams Without Words’: How Hamas Weaponized Sexual Violence on Oct. 7, https://www.nytimes.com/2023/12/28/world/middleeast/oct-7-attacks-hamas-israel-sexual-violence.html

[9] Le terme « propalestinisme » qui désigne une idéologie structurée instrumentalisant la situation de fait des Arabes de Palestine et de leurs descendants pour en faire une arme contre Israël et les Juifs, est préféré ici à celui de « positionnement propalestinien » qui peut se référer davantage à une défense compassionnelle, moins politique, des Arabes de Palestine et de leurs descendants, passion propalestinienne elle-même utilisée par le propalestinisme promoteur du « malheur palestinien ».

[10] Edward Saïd, La question de la Palestine (p.42) Éditions Sinbad/Acte Sud, Paris 2010

[11][11] Nom donné par les Arabes à l’exode de populations de Palestine lors de la guerre d’indépendance menée par les Juifs en 1948. 

[12] Écouter Shmuel Trigano interviewé par Yana Grinspun : « La déconstruction du mythe de la Naqba », Youtube 11 janvier 2024, https://www.youtube.com/watch?v=4C5BbI5cGGw

[13] Martin Shaw, « Palestine in an International Historical Perspective on Genocide », Holy Land Studies, May 2010, vo. 9, No. 1 (pp. 1-24) 

[14] Michaël Prazan et Gaston Crémieux, « Guerre à Gaza – « Génocide », l’accusation rituelle », Franc-Tireur, N°120, 28 février 2024 

[15] https://www.donneesmondiales.com/asie/palestine/croissance-population.php

[16] « Le porte-parole du Hamas : ”Ce que nous avons fait le 7 octobre était justifié et nous sommes prêts à le refaire encore et encore” », LPH Info, 1er novembre 2023, https://lphinfo.com/le-porte-parole-du-hamas-ce-que-nous-avons-fait-le-7-octobre-etait-justifie-et-nous-sommes-prets-a-le-refaire-encore-et-encore/

[17] « Les civils sont aujourd’hui les premières victimes des conflits dans le monde. Ça n’a pas toujours été le cas », Care, 15 novembre 2019, https://www.carefrance.org/actualites/conflit-civils-guerre-yemen-victimes/

[18] « IDF officials: 2 civilian deaths for every 1 Hamas fighter killed in Gaza » Times of Israel, 5 décembre 2023, https://www.timesofisrael.com/idf-officials-2-civilian-deaths-for-every-1-hamas-fighter-killed-in-gaza/


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4 Comments

  1. Merci , Madame ! Vous pouvez traduire, comprendre et écrire ce que je peux pas, et qui, à mon avis est le plus difficile à vivre pour les juifs et les israéliens en ce moment : Ce n’est pas la guerre , les meurtres, les tortures immondes, qui nous minent…parce que cela ,.la colère nous donne la
    force de résister, de lutter. Ce qui mine… C’est l’indifférence, la non prise en compte de ce que subissent Israël et les juifs… Le discours qui par une avalanche de mensonges diffusées sur toute la planete, font que nous nous sentons seuls devant ce que nous vivons, une injustice insupportable….

    Merci infiniment pour cet article

  2. “L’inversion des rôles est classique chez les génocidaires”
    Forcément, quand Israël se défend contre l’ ennemi mortel qui ne se cache pas de vouloir l’exterminer, qui a ouvert les hostilités – c’est le moins qu’on puisse dire – en procédant au massacre d’une population de la plus terrifiante, inimaginable cruauté, d’un sadisme indigne d’un être humain mentalement sain, et à une prise d’otages, l’accuser de génocide, c’est signé de la part des génocideurs qui suivent les bonnes habitudes initiées par leurs maîtres, les nazis et s’étonnent, n’appréciant pas que leur proie ose résister et se défendre . Eux seuls s’arrogent le droit de tuer. Lâches et imbéciles décérébrés suivent le mouvement, parachevant la dégénérescence morale et mentale d’un l’occident en voie de décomposition.

  3. Mme Fregosi nous gratifie regulierement de ses analyses pertinentes , sa presence aux cotés du peuple juif est bien reconfortante en ces temps de disette .

  4. Bonjour, je vous livre une étude intéressante: Renaud Girard est correspondant de guerre au Figaro depuis ,1984, il tient tous les mardis la chronique internationale. En 2014, il a reçu le Grand Prix de la presse internationale pour l’ensemble de sa carrière. Dans la revue Des Deux Mondes de décembre 23 il publie un article « Israel-Palestine la spirale infernale ». Il écrit : « Dans l’histoire des guerres asymétriques contemporaines, la stratégie du Hamas n’a rien de vraiment nouveau. Le mouvement islamiste palestinien applique la théorie de la guerre révolutionnaire… telle que l’ont analysée les officiers français Lacheroy, Trinquier et Galula sur le terrain des guerres d’Indochine et d’Algérie ». D’abord, écrit-il, la guerre révolutionnaire est que son combattant doit être comme un poisson dans l’eau au sein de la population qu’il prétend vouloir libérer. C’est le cas des combattants du Hamas et de leurs familles, que rien ne permet de distinguer des autres foyers palestiniens. Des missiles peuvent être tirés un soir par le Hamas depuis des mosquées ou des écoles qui, le lendemain, seront fréquentées par des familles tout à fait pacifiques. Puis, la guerre révolutionnaire est de porter la violence à son paroxysme, afin de provoquer une polarisation extrême au sein des sociétés qu’on cherche à séparer de manière étanche. C’est ce qu’ont fait, dans l’Alger de 1956-1957, les leaders du Front de libération nationale (FLN) Yacef Saadi et Ben M’ Hidi. Les attentats terroristes sanglants plongent la ville d’Alger, alors majoritairement peuplée d’Européens, dans la terreur, la colère et la haine. La foule, révoltée par l’horreur du spectacle de femmes et d’enfants déchiquetés par les bombes, réclame une vengeance immédiate, aveugle. Le cycle infernal attentats-répression est lancé. La répression, féroce, s’appellera la bataille d’Alger des paras du général Massu, à qui à le gouvernement de gauche a donné les pleins pouvoirs. Arrestations, tortures, disparitions. À grande échelle. Plus de 4000 suspects disparaissent corps et biens, provoquant la démission du secrétaire général de la préfecture en charge de la police. Les attentats s’arrêtent à Alger, le FLN y est décapité. Il a perdu tactiquement, mais il a gagné stratégiquement. La bataille ayant été très médiatisée, le FLN devient célèbre dans le monde entier.
    Donc en matière de tuerie à contenu ethnoreligieux, l’islamique Hamas n’a rien inventé. En massacrant, de manière atroce, plus d’un millier de civils israéliens innocents dans son attaque du 7 octobre 2023, le Hamas savait très bien qu’il allait attirer le feu de la guerre sur la bande de Gaza. Il savait que Tsahal allait bombarder massivement, que les victimes collatérales se compteraient par milliers, et qu’il atteindrait ainsi la polarisation recherchée. Dans la guerre révolutionnaire, la condition et le sort des victimes n’ont pas la moindre importance aux yeux des combattants. La grande majorité des victimes du 7 octobre, habitant des kibboutz frontaliers ou participant à une fête de musique en plein air, étaient des Israéliens de gauche, souhaitant donner leurs droits aux Palestiniens. Peu importe. L’important aux yeux du Hamas, pour qui la fin justifie toujours les moyens, est que son objectif stratégique soit atteint. Il l’a été. Grâce à ce paroxysme de violence, la cause palestinienne est revenue sur le devant de la scène géopolitique mondiale. Les images télévisées succèdent aux images télévisées. Les suppliciés israéliens sont progressivement remplacés par les victimes palestiniennes des bombardements de Tsahal. Les musulmans du monde entier se ressoudent contre l’État juif, et très peu osent condamner le Hamas…

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