Daniel Sarfati. « Je me souviens qu’il m’avait raconté avoir opéré un enfant nommé Jihad »

Le langage des signes qu’utilisent les sourds profonds est d’une grande subtilité et très précis.

Il procède surtout des idéogrammes, un signe peut signifier une expression ou toute une phrase. Plus rarement, un signe peut signifier une lettre lorsqu’il faut épeler un mot.

Ce qui fait qu’un sourd français peut comprendre un sourd chinois en dehors de quelques mots ou expressions. C’est une sorte d’espéranto.

Les sourds sont très observateurs et très moqueurs. Ils vous donnent un nom qui est en fait une façon de vous décrire psychologiquement et physiquement.

Pour moi, par exemple, mon nom n’est pas Sarfati mais un signe qui décrit mes cheveux bouclés et mes grosses lunettes. Quand ils veulent se moquer, ils rajoutent mon regard myope.

Quand des sourds s’engueulent entre eux, il leur suffit de se tourner le dos pour mettre fin à la conversation.

Le langage des signes israélien est parlé par toute la communauté sourde en Israël, juifs, musulmans, chrétiens et druzes.

Ils parviennent tous à s’entendre.

Pour se comprendre je ne sais pas.

Les progrès de la médecine et en particulier l’avènement de l’implant cochléaire ( un chariot d’électrodes implanté au niveau de l’oreille interne ) permet aujourd’hui de faire entendre les sourds profonds de façon spectaculaire.

Le langage des signes finira par devenir caduque.

C’est d’ailleurs tout un débat de faire disparaître cette véritable culture sourde.

Le Dr Daniel Lévy זייל, chirurgien ORL à l’Hôpital Soroka, opérait des enfants sourds à qui il posait des implants cochléaires.

Y compris des enfants gazaouis.

Je me souviens qu’il m’avait raconté avoir opéré un enfant nommé Jihad.

Je lui ai demandé si ça ne l’avait pas gêné.

Il m’avait répondu :

« Ça n’est qu’un mot. Quand Jihad entendra, il comprendra peut-être que nous voulons vivre en paix avec lui ».

Daniel Lévy habitait Kfar Aza.

Le 7 octobre, lorsque les terroristes du Hamas se sont introduits dans son kibboutz, il a mis sa famille à l’abri dans la chambre sécurisée et s’est précipité à l’infirmerie pour soigner les premiers blessés.

Il a été abattu, lui et les infirmières, par les tueurs. Les blessés ont été achevés.

Je pense à lui à chaque fois que j’examine, à ma consultation, un enfant sourd porteur d’un implant cochléaire.

Entendre n’éduque pas toujours.

Entendre peut aussi propager la haine.

© Daniel Sarfati

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1 Comment

  1. « Quand des sourds s’engueulent entre eux, il leur suffit de se tourner le dos pour mettre fin à la conversation. » 😉
    C’est toujours très plaisant de lire ce qu’écrit M. Sarfati. Il a son style très personnel, très original, parfois drôle, parfois un peu triste et souvent émouvant.

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