Il a promis une victoire totale sur le Hamas, et une guerre à outrance jusqu’à l’élimination de Yahya Sinouar et de Deïf, ainsi que la libération de tous les otages détenus par l’organisation terroriste islamique de Gaza.
Aujourd’hui on ne se bat pratiquement pas dans l’enclave côtière palestinienne, en sept mois, Tsahal n’a libéré que deux otages, et aucune menace imminente ne pèse sur la tête des deux chefs miliciens.
Plus que cela, il, c’est-à-dire Binyamin Netanyahu, a donné son accord aux Américains et aux Egyptiens pour l’envoi d’une proposition de règlement du conflit à Sinouar, et la première ligne de cette proposition provisionne la “Cessation des opérations militaires mutuelles entre les deux parties et le retrait des forces israéliennes vers une zone proche de la frontière à l’est, loin des zones densément peuplées. On entend par zones peuplées toutes les zones de la bande de Gaza à l’exception de Wadi Gaza”1.
Dans ces conditions, pourquoi notre Premier ministre multiplie-t-il les déclarations selon lesquelles l’Armée israélienne s’apprêterait à lancer l’assaut sur la région de Rafah, qui sert de frontière et de corridor de contrebande entre l’Egypte et Gaza ?
Au point de faire dire au Secrétaire d’Etat U.S. Antony Blinken en visite en Israël et faisant le forcing pour faire aboutir le deal avec le Hamas : “Les gens disent des choses ; concentrons-nous sur ce qu’ils font, sur ce que nous faisons”.
Il est difficile dans le langage diplomatique d’exprimer davantage de désaveu pour les propos d’un chef d’Etat. Il faut dire que le niveau de défiance existant entre Washington et Jérusalem atteint des sommets vertigineux, au point qu’il faille observer que l’Administration Blinken défend Israël en dépit de la présence de Netanyahu aux Affaires.
Cela a poussé Blinken à déclarer ce jeudi “qu’il était clair qu’Israël était prêt à faire de gros compromis afin de parvenir à une trêve et à un accord de libération des otages”.
Et c’est vrai aussi, mais cela dépend de l’interlocuteur auquel Netanyahu s’adresse : si c’est Ben Gvir et la population de l’Etat hébreu, il s’en tient à la promesse d’éradiquer le Hamas et de conquérir Rafah. Si c’est le Président Biden, il se contente d’attendre la réponse de Sinouar-Godot.
Ce dernier vient par ailleurs de faire savoir qu’il ne communiquera sa réponse que dans deux jours, à savoir samedi. C’est un énième pied-de-nez au gouvernement israélien, qui attendait déjà sa réaction depuis trois jours et lui avait même fixé un ultimatum hier (mercredi) soir.
Ceux que cela ne fait pas rire du tout, ce sont les chefs de Tsahal et du Renseignement. Ils n’apprécient pas du tout que le chef de l’exécutif de notre pays le fasse passer pour une république bananière, mais ce n’est pas encore l’essentiel.
“Les gens disent des choses ; concentrons-nous sur ce qu’ils font”
L’essentiel est qu’ils lui réclament depuis plusieurs jours à cor et à cri une réunion pour définir les priorités de nos forces de défense, et que Netanyahu se défile. Il ne leur répond même pas.
L’un des généraux principaux de l’Armée a confié à la Ména il y a quelques heures que “la pression exercée sur Sinouar par la menace d’attaquer Rafah, en massant des centaines de chars Merkava en ligne de mire avait procédé d’une bonne décision. De plus, elle avait fait son effet, l’assassin-chef du Hamas avait montré des signes de panique, sachant qu’à terme, si Rafah tombait, il serait définitivement encerclé et condamné à disparaitre”.
“Mais pour garder ce moyen de pression crédible, il fallait que Netanyahu donne l’ordre à Tsahal de commencer à déplacer le million de civils palestiniens de Rafah vers le camp de tentes que nous avons aménagé à cet effet près de Khan Younès. Ce, même si l’on n’entendait pas prendre Rafah tout de suite ; c’était pour amener Sinouar à accepter la proposition”.
Car le chef du Hamas, tout comme les lecteurs de la Ména, sont au courant du fait qu’il faudrait entre dix et quinze jours au minimum pour mettre les civils palestiniens à l’abri dans ces tentes. Faute de quoi, la prise de Rafah est inenvisageable, car elle se solderait par un bain de sang d’innocents, chose que le monde n’est pas prêt à pardonner à Israël.
“Or nous avons demandé au Premier ministre dans toutes les langues et de toutes les façons d’autoriser à commencer ce déplacement, et il n’a pas même daigné nous répondre. Il a perdu le contact avec la réalité”, commente le général, “ce qui fait que l’assaut sur Rafah ne pourrait débuter au mieux que vers la fin mai, ce qui le rendrait insignifiant pour encourager Sinouar à signer et pour libérer les otages encore vivants”.
Suite à la non-décision de Netanyahu, Tsahal a démobilisé les soldats qui étaient désignés pour conquérir Rafah et tout le monde a compris que “les gens disent des choses” dont certaines ne sont pas réalisables.
L’establishment israélien de la Défense fulmine, et c’est peu dire. L’état-major et les responsables du Renseignement exigent de savoir si Netanyahu vise Rafah et la “victoire totale” ou s’il espère signer l’accord proposé à notre ennemi, qui s’apparente en tous points à un acte de reddition.
En cas d’opération à Rafah, ils ont besoin de savoir si l’on s’oriente vers un gouvernement militaire israélien de la bande côtière, ou s’il faut se préparer à en remettre la gouvernance à l’Autorité Palestinienne, appuyée par une force de pacification interarabe comprenant l’Egypte, les Emirats Arabes Unis, la Jordanie et probablement l’Arabie Saoudite, soutenue par des contingents européens.
Le problème principal avec la venue d’une force internationale est qu’elle ne partirait pas si on le lui demandait, que ce sont des “amis” avec lesquels une altercation violente est exclue, même s’ils se montraient incapables d’empêcher la milice islamique de se remettre à creuser des tunnels et à tirer ce qui lui reste de roquettes sur les kibboutzim du Néguev.
Le problème tout aussi préoccupant est qu’à terme, ils seraient là pour paver l’établissement d’un Etat palestinien, dont la décision échapperait dès à présent au bon vouloir de Jérusalem.
Si aucune de ces deux options qui méritent une sérieuse préparation n’est retenue, on assistera à la réinstauration du Califat islamique sur la bande, et à la perte de contrôle sécuritaire sur icelle, qui nous a coûté à ce jour la vie de 251 soldats – qui seraient morts pour rien – et plus de 3 000 blessés.
C’est le but du Hamas, infiniment plus prégnant aux yeux de ses dirigeants que la libération de ses terroristes détenus dans les prisons israéliennes, que l’aide humanitaire et que le retrait de Tsahal !
L’obsession de Sinouar et de Deïf c’est le maintien de l’autorité de leur milice sur l’enclave côtière, avec des garanties internationales. S’ils l’obtiennent, du point de vue stratégique ils auront gagné la guerre qui n’aurait servi à rien.
Un échantillon de l’humanisme de Yahya Sinouar
S’ils se maintiennent, ils auront infligé le plus gros camouflet de son histoire à Israël, en piétinant les promesses de Netanyahu de les éliminer et de libérer les otages.
Et le chef de l’exécutif ne répond pas à nos militaires, causant que les combats ont pratiquement cessé dans la bande de Gaza. Ce qui signifie que – et cela dure depuis environ deux mois – l’Etat hébreu ne fait rien pour éliminer le Hamas et pour libérer les enfants, les femmes, les malades, les vieillards et les soldats kidnappés de leurs foyers le 7 octobre et torturés depuis lors.
Est-ce seulement croyable ? Et je ne demande pas même si cela est admissible.
Cette inconsistance à la tête de notre pays aura des conséquences stratégiques formidables : nous sommes en train, durant les heures terribles que nous traversons, de passer du statut de puissance régionale apte à faire occasionnellement trembler le Tsarévitch à Moscou, à un petit pays, sorte de ville-Etat de Tel-Aviv agrandi, hâtivement recouvert d’un haillon pour le faire passer pour un épouvantail.
Lors, les épouvantails les plus réussis font parfois fuir les moineaux, mais jamais les ennemis.
Si l’on est incapable de se défendre face à deux petites milices, on devient transparent et fragile sur le théâtre régional.
En plus du retrait de Tsahal de la totalité de Gaza, du reflux incontrôlé des Gazaouis vers le nord de la bande, de la persistance du Califat et de la milice (et probablement de son réarmement), de notre acceptation de libérer de prison des terroristes coupables d’avoir assassiné des dizaines de nos compatriotes et qui s’en iront rejoindre les rangs de la milice islamique, d’un taux d’échange d’un otage contre vingt ou quarante miliciens-terroristes (le taux d’échange est différent s’agissant d’otages civils ou militaires), il existe un élément qui démontre que la proposition à laquelle Netanyahu s’est associé est un marché de dupes.
Un élément que l’on évoque rarement même s’il est basique : la proposition infamante définit certes des dates pour les échanges, le nombre de personnes – des innocents contre des assassins – troquées à chaque échéance, leurs qualités (vieux, jeunes, femmes-hommes, malades-bien portants, civils ou soldats), mais on ne sait ni combien il y en a, ni combien sont vivantes, et, à quelques exceptions près – les otages utilisés par le Hamas pour des vidéos de propagande -, on ignore le nom de celles qui sont vivantes et celui des dizaines qui ont été exécutées de sang-froid durant leur captivité.
On ne sait rien. Personne, ni les Etats médiateurs, ni l’ONU, ni la Croix Rouge, ni nous, n’a exigé de la milice islamique qu’elle fournisse les informations élémentaires quant aux sujets du marché.
On ne sait pas même sur combien d’otages porte la transaction ! Cela peut aussi bien être cinq que cent, on le découvrira au fur et à mesure de la réalisation de l’accord. S’il ne reste que vingt malheureux en vie, et non plus d’une centaine comme certains l’espèrent encore, nous aurons sauvé le Hamas en ayant été trompés sur toute la ligne.
Il en va ainsi lorsque l’on n’est pas assez fort et convaincu pour commencer par définir la portée d’une transaction avant d’en discuter les conditions. Cela aussi dénote d’un amateurisme coupable.
Ce qui n’empêche pas le Hamas d’obtenir, selon les termes du traité envisagé, des contreparties que nous devrons livrer avant le début de la transaction, à l’instar d’un cessez-le-feu d’au moins quarante jours, d’un engagement à cesser le survol de la bande par nos avions, ce qui nous rendra partiellement aveugles, du retrait de nos troupes et du renoncement à occuper Rafah.
Les autres questions des militaires auxquelles Netanyahu refuse de répondre sont : qu’allons-nous faire au Liban ? Allons-nous écraser le Hezbollah afin d’assurer à nos compatriotes et à nos voisins libanais un avenir prometteur et peut-être même la paix, ou allons-nous consolider la mainmise triomphale de la milice supplétive de l’Iran sur le pays aux cèdres et sur notre frontière-nord ?
Aux dernières nouvelles, grâce notamment à la médiation à Beyrouth du ministre français des Affaires Etrangères Stéphane Séjourné et aux indiscrétions recueillies sur place par Michaël Béhé, on se dirigerait vers un retrait cosmétique du Hezbollah en-deçà du Litani – c’est-à-dire de quelques kilomètres tout au plus – augmenté par un abandon par Israël de plusieurs zones disputées de la frontière internationale.
Une véritable prime aux agresseurs d’Israël ou le prix annexe de notre reddition ?
Quoi qu’il en soit, une folie stratégique et un encouragement pour nos ennemis à recommencer. Et aussi un grand sacrifice qui se dessine de la population israélienne déplacée de la frontière, que Netanyahu s’apprête à réinstaller directement dans le collimateur des supplétifs de la Théocratie chiite iranienne.
L’idée seule de ce repeuplement dans ces conditions est une insanité.
Mais pas pour ce Premier ministre aux abonnés absents, qui laisse faire tout en vociférant des menaces auxquelles personne ne fait plus attention, en ne se préoccupant que de s’accrocher à son trône, pour éviter la prison, en maintenant sa coalition à tout prix au lieu de s’occuper du destin du pays qu’il était censé gouverner.
Stéphane Séjourné en train d’expliquer pourquoi il importe de préserver le Hezbollah et le Hamas
Autre sujet d’insatisfaction – c’est un euphémisme – des militaires : la non-exploitation stratégique par l’échelon politique de la retenue exercée par Israël suite à l’agression du 13 avril dernier par les Iraniens et leurs supplétifs Houthis et libanais et les cinq cents projectiles qu’ils ont tirés sur notre pays.
En échange de notre absence de riposte, les USA, les Européens et des pays arabes régionaux avaient envisagé la mise sur pied d’une vaste coalition internationale pour faire face à la Théocratie khomeyniste et son programme de nucléarisation militaire.
Mais pour cueillir les fruits de ces promesses, un travail soutenu et inspiré était nécessaire, or il n’a pas eu lieu.
Notre gouvernement est rendu dysfonctionnel par les tensions internes ainsi que les menaces de retrait de la coalition, proférées inlassablement par les factions edennistes à l’encontre de Netanyahu.
Ce qui le conduit à l’inaction et au manque d’initiatives.
A moins que le principal intéressé, comme ne cessent de le répéter nos divers interlocuteurs, soit frappé par une variante de dépression associée à une fatigue psychologique qui le paralyse.
Quoi qu’il en soit, l’urgence absolue de la situation ne saurait dépendre des problèmes de déconnexion d’un quidam. Car pour le moment, l’Etat hébreu se trouve en échec face à ses trois principaux ennemis, l’Iran, le Hezbollah et le Hamas. Nous sommes en présence d’une sorte de syndrome auto-immun produit par notre classe politique et le semi-dictateur qui la chapeaute depuis une quinzaine d’années. Ce, car nous possédons largement tout ce qui est nécessaire pour remettre la synagogue au milieu du village, à commencer par une Armée qui performe de façon exemplaire.
Il faut dire que le gouvernement siégeant à Jérusalem n’est pas aidé par l’obsession de l’Administration Biden et des Européens, à commencer par la France, à prévenir une extension du conflit qui a pour effet de préserver les trois entités précitées. Sans se préoccuper des populations qui souffrent sous leurs gouvernances sanglantes, ni des dangers qu’ils font courir à la Planète.
Dans cette nouvelle version de l’Appeasement munichois, les leaders concernés sont aussi inconséquents que Netanyahu.
Ce dernier qui attend Sinouar-Godot, pendu à ses lèvres, sans réaliser qu’il confie ainsi, sans que nous n’y soyons obligés, énormément de pouvoir sur notre devenir à un terroriste à la tête d’une milice qui a pratiquement cessé d’exister, contraint de ramper dans des terriers insalubres, sans avoir vu la lumière du jour depuis près de sept mois.
Note :
1 La Ména possède une copie de l’original de la proposition concernée, mais elle est technique et fastidieuse. Nous n’en publierons donc les détails que si elle devient pertinente.
© Stéphane Juffa et Jean Tsadik Metula News Agency
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Ne reprochez pas autrui ce que vous faites !