Abnousse Shalmani: « Rappelons aux étudiants que la révolution en Iran est née de la jonction entre communistes et islamistes »

Abnousse Shalmani. Fabien Clairefond

Entretien mené par Alexandre Devecchio

ENTRETIEN – Dans son dernier essai, Laïcité, j’écris ton nom, l’écrivain d’origine iranienne fait l’éloge de l’humanisme et de l’universalisme. Autant de valeurs aujourd’hui menacées face à la montée de l’islamisme, alerte-t-elle.

LE FIGARO. – Vous dédiez votre livre aux 1 160 victimes des pogroms du 7 octobre 2023. Pourquoi ? Cet événement a-t-il été trop vite oublié ?

ABNOUSSE SHALMANI. – Les pogroms et les otages ont été très rapidement occultés par un discours militant islamiste nourri par une haine ahurissante. Les jours qui ont suivi les pogroms, nous avons vu des militants, jeunes et moins jeunes, arracher les affiches représentant les visages des otages. Ce geste négationniste doublé de la joie mortifère de trop de populations arabo-musulmanes, mais pas seulement, en Indonésie, au Yémen, en Tunisie, jusqu’en Allemagne, où une distribution de bonbons a été organisée pour « célébrer » les massacres du 7 octobre, ou dans les universités américaines, où l’attaque terroriste était transformée en « acte de résistance », m’a d’autant plus motivée dans ma volonté de demeurer, envers et contre tout, une humaniste. On ne danse pas sur des cadavres, on ne s’enthousiasme pas de la mort de civils, on n’amalgame pas résistance et massacre.

Que vous inspirent les blocages de Sciences Po ? Manifestation légitime de soutien au peuple palestinien ou illustration de la dérive islamo-gauchiste d’une partie de l’enseignement supérieur ?

S’il est naturel pour un étudiant et même initiatique de manifester, de s’opposer, de résister, s’il est même formateur de se rebeller, ce n’est pas ce qui se passe dans les universités occidentales face au conflit ­Israël-Hamas. Ce que je vois et entends n’est pas une défense des Palestiniens mais une haine d’Israël qui flirte dangereusement avec l’antisémitisme. Clamer « From the river to the sea Palestine will be free » ne veut rien dire d’autre qu’« Israël doit disparaître de la carte ». Quand les étudiants se peignent les mains en rouge, reproduisant le geste de deux tueurs palestiniens, à ­Ramallah en 2000, après avoir démembré et tué deux Israéliens, on ne peut pas dire « on ne savait pas », on participe à un discours islamiste moribond qui ne veut pas la paix, mais la disparition d’Israël et des Juifs.

J’aurais aimé voir tous ces étudiants manifester leur dégoût après la destruction du camp palestinien historique de Yarmouk en Syrie par Bachar el-Assad en 2018 et qui est considéré par les 100 000 Palestiniens qui ont dû fuir les bombardements et la faim comme une deuxième Nakba ; j’aurais aimé les voir marcher pour les 377 000 morts de la guerre au Yémen, ou pour défendre les Ouïgours de Chine ou les Rohingyas de Birmanie, victimes de massacres et de génocide culturel. J’aurais tant aimé les entendre crier pour la liberté des Iraniens qui se battent si courageusement contre la mollahrchie, ou en soutien aux démocrates du Sud-Est asiatique. J’aurais aimé qu’ils manifestent en 2007 quand le Hamas arrive au pouvoir à Gaza et tue les membres de l’opposition, défenestre les homosexuels, ferme l’université des Beaux-Arts, détourne l’aide humanitaire et embrigade la jeunesse dans la haine antisémite. J’aurais aimé qu’ils prennent soudain conscience de leur inculture après avoir reçu le soutien de l’ayatollah Khamenei. J’aurais aimé voir des étudiants qui sont l’élite de demain être à hauteur d’humanisme mais ils se vautrent dans l’antisémitisme en s’appropriant la doxa islamiste.

Vous rappelez la tribune cosignée par Élisabeth Badinter, Régis Debray, Élisabeth de Fontenay, Alain Finkielkraut et Catherine Kintzler publiée en 1989 dans Le Nouvel Observateur  après la première affaire du voile de Creil. Si le gouvernement et l’ensemble de la société avaient réagi à l’époque, aurions-nous pu éviter les assassinats de Samuel Paty et de Dominique Bernard ?

Je n’aime pas réécrire l’histoire – sauf dans mes romans – mais nous avons été lents, trop lents à réagir. Je ne cesse de relire cette tribune de 1989 : « Et s’ils demandent demain que l’étude des Rushdie (Spinoza, Voltaire, Baudelaire, Rimbaud…) qui encombrent notre enseignement soit épargnée à leurs enfants, comment le leur refuser ? » et nous y sommes, quand des professeurs alertent sur le refus de leurs élèves de visiter le Musée d’Orsay – car trop de nus heurtent les regards – ou celui d’étudier Flaubert – car trop de péchés encombrent Madame Bovary. Ce que nous aurions pu éviter, c’est d’abandonner les citoyens français musulmans à la pression communautaire des islamistes. Ce que nous aurions dû éviter, c’est de laisser les islamistes amalgamer musulmans et islamistes. Ce que nous payons, c’est notre lâcheté et notre peur devant le discours culpabilisateur et mensonger des islamistes, qui ont non seulement transformé nos valeurs universalistes et républicaines en « islamophobie », mais musèlent les citoyens français musulmans dans une illusion communautaire qui dessert tout le monde.

Ce que nous sommes en train de vivre actuellement en France avec l’alliance entre les islamistes et les gauchistes est-il un scénario comparable à celui de la Révolution islamique ?

La révolution islamique de 1979 a été possible grâce à la jonction entre les communistes et les islamistes au nom de l’anti-impérialisme. Après la révolution, Khomeyni n’a pas hésité : il a emprisonné et exécuté ses alliés communistes sans l’ombre d’un doute. Plus tard, en 1999 précisément, un marxiste britannique, Chris Harman, publie Le Prophète et le Prolétariat, où il théorise l’islamo-gauchisme : « Sur certaines questions, nous serons du même côté que les islamistes contre l’impérialisme et contre l’État, notamment en France et en Grande-Bretagne. Là où les islamistes sont dans l’opposition, nous devons être avec les islamistes parfois, avec l’État jamais. » L’islamo-gauchisme est un opportunisme vicieux qui finit toujours par dévorer la gauche.

Est-ce que le combat pour la laïcité est suffisant dans le contexte actuel ?

La laïcité, c’est « la fin du réprouvé », disait Jaurès. La laïcité, c’est la promesse républicaine incarnée : quelles que soient nos différences de naissance, de sexe, d’ethnie, de religion, nous sommes frères et sœurs en humanité. C’est révolutionnaire et puissant. La laïcité est une arme suffisante car elle dit l’universalisme et l’humanisme dans le même mouvement, elle nous offre la possibilité du choix, donc de la liberté individuelle, elle réunit sous le même drapeau et sans discrimination tous les citoyens qui signent le pacte républicain. C’est le pacte républicain qui est en crise, c’est notre désamour qui est le moteur de cette crise. Nous ne savons plus être fiers de la France, nous ne connaissons plus son histoire. En 1989, cette année clé, qui est aussi celle du bicentenaire de la Révolution française, un rapport de la commission de la nationalité est remis à Matignon par un conseiller d’État, Marceau Long. On y lit : « L’affaiblissement des institutions et des valeurs universalistes autour desquelles s’est élaborée la tradition nationale, et qui a permis l’intégration des populations étrangères des deux derniers siècles, constitue le véritable danger pour l’avenir national. » Retrouver les gammes universalistes, être les enfants de Lamartine et d’Aimé Césaire, voilà ce qui peut sauver notre République, la renouveler et la faire rayonner de nouveau.

© Alexandre Devecchio

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1 Comment

  1. Chère Madame,
    J’admire beaucoup votre combat pour la démocratie et la défense de nos sociétés libérales, face à l’Islam radical des Frères musulmans et autres dictatures religieuses ou non, via vos interventions sur LCI.
    Toute bonne semaine.
    Jean-Bernard Ponci
    La Tour-de-Peilz/Suisse

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