Thomas Stern. Du sang sur les mains

L’expression “avoir du sang sur les mains” est utilisée-fréquemment dans la diatribe politique – afin de démasquer ceux qui n’ont pas hésité, pour parvenir à leurs fins, à commettre un ou plusieurs crimes. C ‘est dire à quel point ceux qui ont du sang sur les mains ne s’en vantent pas et tenteraient plutôt, en le cachant, de le faire oublier .

Dissimulés, par crainte de représailles ou d’identification policière, sous leurs keffiehs et leurs masques de tissu, les étudiants de Sciences-Po Paris -ou ceux qui, venus des associations de soutien à la Palestine, les ont rejoints- exhibent, ce 26 avril 2024, en signe de solidarité aux Gazaouis victimes de l’intervention israélienne, des mains tachées de peinture rouge. Ils se cachent presque entièrement, exhibant ainsi avec une force accrue leurs seules mains, symboliquement ensanglantées, pour nous dire … Mais quoi au fond ?

Souhaitent- ils stigmatiser par ce geste la violence assassine de l’agresseur israélien qu’ils dénoncent ? Mais alors pourquoi le faire en proposant une image qui dit non pas “Tu” mais “j’ai” du sang sur les mains? Ne savent-ils plus faire la différence entre “je” et “tu” ? Entre ce qui se passe dans leur tête et dans la réalité ? C ‘est possible et ça ne serait pas la première fois que ce genre d’inversion inquiétante se produit. La même mécanique du monde à l ‘envers permet de faire passer les effroyables tueries du 7 octobre pour un acte de résistance et le Hamas pour une armée de libération.

Une thèse que soutient l’association “Urgence Palestine”, très active dans la mouvance pro-palestinienne des étudiants de SciencesPo. Pour nombre de ses partisans, le “Déluge d ‘Al-Aqsa” -nom donné au pogrom du 7 octobre par le Hamas- est digne de l’héroïsme du groupe Manouchian , ce qui, pour moi dont l’oncle Thomas Elek vient d’entrer au Panthéon avec ceux de l‘Affiche Rouge, ne manque pas de piquant. Je ne pense pas en effet que ces véritables résistants aient jamais songé à violer, énucléer, démembrer, brûler vifs des adultes et des enfants ou encore éventrer des femmes enceintes.

Mais peut être qu’à force de vouloir trouver une raison à l’irrationalité la plus véhémente, je fais fausse route. Peut-être que tout ici est à l’endroit, à la place qu’on veut lui donner. Peut-être que l’image des mains ensanglantées dit ce qu’elle a à dire, sans détour. 

Comme à Ramallah où elle surgit pour la première fois il y a 20 ans. La ville est sous contrôle de l’Autorité Palestinienne. Des policiers palestiniens appréhendent deux réservistes israéliens en civil qui s’ y sont égarés -Vadim Norzhich et Yossi Avrahami. Ils les extraient de leur véhicule et les conduisent au commissariat central , situé à deux pas du siège de l’OLP, escortés par une foule de plus en plus menaçante, dont elle finira , la photo le montre clairement, par rejoindre l’hostilité. Les deux jeunes réservistes seront assassinés puis jetés en pâture à la foule qui les traînera dans les rues de Gaza, avant de les mettre en pièces.

De ce lynchage atroce reste une vidéo : celle d’un des assassins exhibant à la fenêtre, devant une foule hurlant “Allah Ouakbar” ses mains tachées du sang du jeune israélien qu il vient d’éventrer … 

Monde à l’ envers ou pas, qu’importe quand l’heure est à la haine. Car la haine se fout de savoir où sont l’envers et l’endroit, le vrai et le faux, pourvu qu’elle trouve dans cette confusion matière à consommer son désir féroce de meurtre. Les étudiants de Sciences-Po sont-ils conscients d’exprimer par leurs mains rougies et au prétexte de l’indignation vertueuse leur envie de verser le sang de l’ennemi abhorré pour y tremper les mains sans pudeur ni remords? Eux seuls le savent . Mais je ne peux m’empêcher, en les voyant parader ensanglantés, et comme réjouis par avance du baptême sanguinaire qui feraient d’eux des assassins, de songer au refrain de la chanson martiale des SS qui beuglaient: “Que le sang juif gicle sous nos couteaux.”

Chez les étudiants qui militent contre l’intervention israélienne et l’instauration d’une Palestine libérée “de la rivière à la mer”, non seulement le ton monte, mais il change, d ‘abord aux USA. Décapée de l’alibi de la compassion victimaire à l’égard des Gazaouis qui passe au second plan, la menace se précise: les juifs sont contraints de quitter les campus, pour retourner en Pologne ( sic! ), Tel Aviv est promise aux cendres et les roquettes du hamas sont encensées par des hordes d’allumés des deux sexes qui jouent aux damnés de la terre victimes de la Nakba en plantant des tentes sur le gazon des campus.

Le travail de sape entrepris il y a plus de 20 ans par l’association “Student Justice for Palestine”, adossée à l’”American Muslim Association” elle-même noyautée par les Frères musulmans, porte les fruits venimeux de son antisémitisme virulent avec d’autant plus de fécondité qu’elle a opéré, sous les auspices de l’inénarrable Judith Butler, sa jonction en 2013 avec le mouvement woke.

Il manquait une pièce centrale au grand puzzle où s’emboitent les destins des opprimés de toutes sortes, races, ou genres : celle de l’oppresseur ultime. Il prendra le visage du colonialiste judéo-sioniste, dont la charte du Hamas dit sans détour qu’il faut en débarrasser la surface de la terre, qu’il soit en Israël ou à Brooklyn, qu’il soit sioniste ou non. C ‘est là que se rejoignent dans la même haine survoltée l’Islamiste fondamentaliste et le gauchiste néo-woke. Car au fond pour l’un comme pour l’autre, qu importe qu on rêve de tuer le juif dans le sioniste ou le sioniste dans le juif.

L‘essentiel reste d’en tuer le plus possible.

Elias Canetti parle dans “Masse et Puissance” de “cristaux de masses” qu’il décrit comme des entités peu nombreuses quand elles sont en sommeil mais qui, quand l’heure devient propice, se réactivent, se multiplient et font masse. L’antisémitisme est au premier chef un mouvement de masse qui fonctionne sur ce modèle d’expansion. On a tort de ne pas le comprendre assez vite. Les mains ensanglantées de Sciences-Po ou celles du tueur de Ramallah sont des cristaux de haine antisémites qui ne demandent qu’à se multiplier dans la réalité.

La haine est là, présente devant nous. Il est inutile d’argumenter avec elle: elle est sourde et n’entend qu’elle-même ou ce qu’elle coagule autour d’elle. Elle ne voit, ne veut, et ne vit que pour son accroissement. Voilà revenu le temps des assassins.

© Thomas Stern

À propos de l’auteur

Agrégé  de  philosophie, longtemps publicitaire, Thomas Stern, qui entretient des rapports compliqués mais indéniable avec sa judéité, a publié entre autres ouvrages:

“Thomas et son Ombre”, Grasset, 2015, en mémoire de son oncle Thomas Elek fusillé avec ceux de l Affiche Rouge  le 21 février 44.

“Mes Morts”. Éditions de l’Éclat. 2020

“Je Ne  Vais Pas Mourir”. Éditions Kubic. 2023  


Pour rappel

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3 Comments

  1. Heureuse de vous retrouver thomas ..vous souvenez vous des soirees chez nous â compiegne du temps oû vous etiez jeune agregé pierre d’ailly ?
    Gh.

  2. Thomas Stern ,le temps des assassins ne revient pas, il est présent depuis des siécles;la différence c’est que la modernité fait que nous sommes au courant de ce qui se déroule dans le monde et particulièrement ce que nous subissons en ce moment.

  3. Les USA, le Canada, la GB et l’UE sont déjà des dictatures islamo-nazies : pourquoi refuser d’admettre cette évidence ? La propagande islamiste, basée sur la rhétorique de l”””islamophobie””” et du décolonialisme, est en grande partie diffusée par les Anglo-Americains. Et par la France, le Québec et la Belgique. Le Wikipedia anglophone est l’un des plus grands instruments de cette propagande. Un exemple (parmi des dizaines d’autres) : lisez la page Wikipedia ou Wokipedia “Islamophobia”…Cette page aurait très bien pu être rédigée par des membres du GIA ou du Hamas. Le wokisme, qui est bien une invention étasunienne, et le racisme intersectionnel sont par définition pro-islamistes. Aux États-Unis comme en France, les résistants à cette barbarie islamiste subissent déjà une persécution étatique : campagnes de presse diffamatoires et boycott relayé par l’Etat, voire perquisitions et procès.

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