Le vendredi 26 avril 2024, notre université française, Sciences Po Paris plus particulièrement, s’est une nouvelle fois illustrée par un acte d’une double nature, que je qualifierais 1) de manifestation d’hostilité antisioniste et antijuive, 2) de démagogie et de laisser-faire de l’Etat.
L’universalisme, que l’on pourrait notamment définir par le fait et le souhait qu’existent, par-delà les différents peuples et identités particuliers, des idées, des valeurs susceptibles d’être communes et d’englober ce qui nous distingue, est une prétention de l’École française et de l’Université. Universalisme et Université ont une racine en partage.
L’Ecole française explique, dès le plus jeune âge, que la raison et ses catégories permettent à la fois la compréhension du monde et, progressivement, de trouver une place harmonieuse en tant qu’humain dans l’ordre de ce monde. Cet universalisme, d’essence moderne, né avec les Lumières, prétend notamment à l’égale dignité des hommes et à l’intelligibilité des phénomènes. Qu’on s’entende bien : l’École française, son université, fondent à la fois leur essence et leurs objectifs sur l’universalisme.
Longtemps, l’opinion française a considéré que l’universalisme allait de soi, qu’il était de l’ordre de l’évidence naturelle, que les humains rendus suffisamment éclairés par l’École et l’Université allaient progressivement se doter de discernement pour distinguer le vrai du faux, le juste de l’injuste, et développer une approche de respect et de tolérance. Mais plus récemment, avec l’avènement du XXIe siècle en particulier (dès la libération des camps en 1945 en réalité), face au mouvement de relativisation généralisée, face à la « concurrence victimaire », face à l’obsession de la dénonciation de la domination, l’universalisme a petit a petit été cornerisé et été perçu comme une philosophie élitiste, d’occidentaux paternalistes maquillant, derrière les valeurs d’ouverture et de monopole de la raison, un impérialisme soutenu, et maintenant un racisme débridé. L’universalisme, promu dès ses débuts par les mouvements de gauche, détesté par les nazis, notamment par sa dimension égalitaire, perçu dans les années 30 comme une menace pour la race blanche, est devenu aujourd’hui – par un vertigineux tour de passe-passe symbolique – l’incarnation de la race blanche et le parangon du racisme.
On n’accède jamais directement à l’universel. Nous avons besoin, pour cela, de la médiation des œuvres, et en particulier littéraires, de la culture, du sujet humain pris dans ses définitions et ses cercles d’appartenance. Il faut des appartenances au sujet pour prétendre s’y arracher et toucher du doigt ce qui les transcende. Seules les amarres permettent au navire de quitter le port. Les études offertes à l’université permettent aux étudiants 1) de mesurer l’écart entre ce qu’ils croient savoir et ce qui leur reste à savoir, 2) de progressivement développer une pensée critique et l’émergence d’un sujet conscient. L’objectif de l’École française est bien la fabrication, petit à petit, de l’esprit critique. Mais comme seules les amarres, les déterminations particulières, permettent de nous en arracher au profit de l’universel, il faut, avant d’exercer un esprit « critique », déjà construire un « esprit ».
Nous, l’opinion française, commençons à comprendre notre mécanisme : nous ne sommes pas Français parce qu’universalistes, nous sommes universalistes parce que Français. Ce qui a longtemps été conçu par nous comme naturel, un penchant humaniste et universaliste, l’aspiration à « faire en sorte que rien de ce qui est humain ne nous soit étranger », est désormais progressivement reconnu comme l’apanage d’une civilisation, la nôtre. Il faut bien l’admettre : tout le monde ne partage pas cette aspiration. Alors comment faisons-nous avec l’École et l’Université ? Devons-nous abdiquer et renier nos fondamentaux, certes particuliers mais fondamentaux tout de même, en reconnaissant qu’il n’existe pas et il n’existera pas de consensus humains sur lesquels fonder des critères de vérité et de justice, ou devons-nous ne pas « céder sur notre désir » en maintenant nos prétentions fondatrices ?
Soit la direction de Sciences-Po Paris accepte de transiger avec les activistes pro-palestiniens et antisémites, trouve avec eux des « accommodements raisonnables » selon elle, une prétendue « common decency », en situant donc l’Université et l’universalisme du côté de ces activistes, soit elle ne transige pas, relègue ces individus et leurs agissements à « de l’autre » qu’elle, et situe ainsi l’Université et l’universalisme du côté de ce qui était jusqu’à présent considéré comme le droit (il est interdit par la loi de bloquer un établissement d’enseignement).
Par un étonnant communiqué, reproduit ici, outre le fait pour moi de découvrir l’utilisation du mot « townhall » (attendons de voir ce que cet anglicisme camoufle), je reste sidéré et consterné : la force, le nombre des étudiants mobilisés, l’action illégale, seraient donc désormais considérés comme des arguments suffisants pour faire plier la direction d’une université, le droit français, l’universalisme ? Il est temps de le reconnaître : quand une direction d’établissement public cède au nom de l’inclusion et du « partage des idées », même les plus dangereuses, elle sape son autorité et affaiblit celle des autres représentants de l’Etat. Ne voit-on pas que, dans cette affaire, la capitulation a quelque chose à voir avec la décapitation ? Que le naufrage moral, au nom de la promesse que « les étudiants se sont engagés à ne plus perturber les cours et les examens », ressemble à une mise en danger, de personnes (les Juifs) et d’idées (l’universalisme, le respect du droit, le constat que la guerre à Gaza est le produit du pogrom du 7 octobre réalisé par des terroristes) ?
Je formule le souhait ardent que des politiques et dirigeants de notre pays condamnent à la fois les agissements de ces étudiants de Sciences-Po et la lâcheté de la direction de cette institution. Les responsables de notre pays doivent enfin l’admettre : il ne suffit parfois plus de discours pour protéger l’universalisme, le désir d’objectivité, le respect des autres. Il faut passer par la violence légitime des institutions, 1) en excluant de Sciences-Po les étudiants impliqués, 2) en rétablissant la fermeté à la direction.
Cela est aujourd’hui contre-intuitif et le deviendra de moins en moins : l’universalisme peut, parfois, être du côté de l’exclusion et non de celui de l’inclusion.
© Philippe Gabizon
Excellent article. Mais à en croire certains, le naufrage dure depuis trente ans à Sciences Po, c’est Zemmour qui évoquait ledit naufrage l’autre jour.
Triste de voir ce que devient la France. Mais il y a un bon côté, les Juifs vont enfin comprendre que c’est foutu en France, et se décider à venir ici en Israël ? C’est pas le Pérou, c’est sûr, surtout en ce moment, mais enfin, c’est encore là qu’on est le moins mal. Chez nous.