
« Don’t ». C’est en ces termes que les États-Unis ont fait savoir aux Iraniens qu’ils ne voulaient pas d’une internationalisation militaire du conflit entre Israël et le Hamas. L’internationalisation a lieu quand même, mais au plan politique et pas militaire, et aux États-Unis et en Israël et pas au Moyen Orient.
Dès le mois d’octobre 2023, les États-Unis ont fait savoir aux Iraniens qu’ils ne souhaitaient pas que la guerre punitive d’Israel contre le Hamas, le mouvement terroriste qui règne à Gaza, se transforme en conflit régional. « Don’t », a intimé fermement Joe Biden à Téhéran, dépêchant deux porte-avions à l’appui en Méditerranée.
L’intimidation a marché et le conflit ne s’est pas internationalisé.
Mais le Hamas ne s’est guère senti concerné par cette interdiction Et le mouvement terroriste islamique qui règne à Gaza a entrepris d’internationaliser – à sa façon – la guerre qui le met aux prises avec Israël. En d’autres termes, incapable de vaincre militairement l’armée israélienne, le Hamas a entrepris, par la seule force de sa survie souterraine à Gaza, de mobiliser l’attention afin de générer un soutien politique qui oblige Israel à se retirer de Gaza, à mettre un terme au blocus et à libérer tous les prisonniers palestiniens.
Cette stratégie du Hamas de passer par la politique pour obtenir une victoire militaire s’est accélérée. Abou Ubaida, porte-parole des Brigades armées al-Qassam du Hamas, a appelé mardi 23 avril, dans une vidéo diffusée par Al Jazeera à une « escalade sur tous les fronts ». Abou Ubaida n’a pas manqué de rendre hommage aux 300 drones et missiles projetés par l’Iran contre Israël dans la nuit du 13 avril . Il a également appelé à une escalade en Cisjordanie et en Jordanie, les qualifiant de « l’un des fronts arabes les plus importants ».
La Judée-Samarie est en effet en état insurrectionnel larvé et mobilise Tsahal sans répit. Plusieurs nuits par semaine, des camions bourrés de soldats investissent Tulkarem, Ramallah ou Sichem (Naplouse) pour démanteler les cellules du Hamas et du Jihad Islamique Palestinien. Avec succès pour l’instant et sans déclencher d’Intifada.
Mais le Hamas cible aussi la Jordanie. En réclamant que la Jordanie devienne un « front », le Hamas appelle la rue palestinienne (70% de la population) à déstabiliser la monarchie. Le mouvement islamiste renoue ce faisant avec la stratégie de Yasser Arafat qui avait tenté de prendre le pouvoir à Amman en 1970, mais il s’approprie aussi ce faisant, la stratégie iranienne. Depuis la création du Hezbollah en 1982, l’Iran instrumentalise la « cause palestinienne » pour inciter la rue arabe à déstabiliser les régimes qui seraient prêts à composer avec Israël.
Dès le 7 octobre 2023, au début du conflit entre Israel et le Hamas, les dirigeants arabes proches des Occidentaux ont été terrifiés que la haine anti-israélienne de leurs populations déstabilise leur régime. Même si le Hamas était l’agresseur, tous ont pris leurs distances avec Israël. « L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ont condamné la conduite d’Israël dans la guerre. Bahreïn a rompu ses liens commerciaux avec Israël, tandis que la Jordanie et la Turquie ont retiré leurs ambassadeurs. L’Organisation de la Conférence islamique (OCI) a organisé un sommet sur Gaza en Arabie saoudite » écrivait Voice of America, en novembre 2023.
Mais le temps a passé et les craintes ont évolué.
Ainsi, le 1er avril 2023, quand un raid de l’aviation israélienne a décapité le commandement des Gardiens de la Révolution iraniens en Syrie, « pas une critique n’a été émise par une quelconque capitale arabe », fait remarquer le chercheur Anatole Luttwak sur Unherd. Et deux semaines plus tard, ces mêmes pays arabes n’ont pas craint de provoquer la même « rue arabe » djihadiste de leur pays, en aidant Israël à bloquer les 300 missiles et drones que Téhéran a dépêché contre l’Etat hébreu. La population jordanienne a certes grondé d’apprendre que l’aviation jordanienne avait contribué à détruire les drones et missiles iraniens qui visaient Israël le 13 avril. Mais elle a entériné la décision royale sans (trop) broncher. Pire encore, une vidéo a circulé des millions de fois, affirmant que la princesse Salma – elle-même pilote de chasse – a descendu en flammes cinq drones iraniens qui survolaient la Jordanie. Le roi a demandé le retrait de la vidéo affirmant qu’elle était fausse. « Mais en volant au secours d’Israël, le roi a démontré qu’il savait prendre des décisions impopulaires pour consolider son alliance avec l’administration Biden », écrit Aaron Magid, expert de la Jordanie.
Les monarchies du Golfe ne se vantent pas d’avoir coopéré avec Israël contre le Hamas, mais elle l’ont fait. Elles ont « partagé avec Israël en temps réel leurs importantes données de défense aérienne nationale », écrit le site spécialisé « DefenseNews« . Plus précisément, les données captées par les radars de défense antimissile et les capteurs aériens, terrestres et maritimes des monarchies du Golfe « auraient été introduites dans le centre d’opérations aériennes combinées du commandement central américain (CentCom) au Qatar et fusionnées dans une image régionale globale à laquelle Israël semble avoir pu accéder ».
L’Iran et aussi la « rue arabe » savent maintenant qu’entre la domination perse et chiite sur le Moyen Orient et la cohabitation avec Israël, une bonne partie des régimes arabes a opté pour la cohabitation avec Israël. Quant au Hamas, il a compris que les régimes arabes en avaient assez du djihad et de ses incertitudes.
L’Iran et le Hamas n’ont toutefois pas renoncé. A défaut de pouvoir internationaliser le conflit au Moyen Orient, ils l’ont internationalisé sur le territoire américain. Dans les universités de l’élite américaine, à Yale, Columbia, Harvard…, des groupes arabes et juifs antisionistes, très organisés, bloquent les cours et manifestent bruyamment sur les campus. À l’Université polytechnique de l’État de Californie, les militants de Students for Justice in Palestine et Jewish Voice for Peace se sont barricadés dans un bâtiment administratif et ont exigé que l’école divulgue tous ses liens et ses avoirs avec Israël et rompe ses liens avec les universités israéliennes.
Ces groupes très organisés perturbent également la circulation dans les rues et sur les autoroutes, dans les gares de chemin de fer, les ports et les aéroports. Ces groupuscules savent médiatiser leurs actions et tentent de faire croire qu’ils sont l’expression d’un mouvement de masse. En réalité, ils appuient au plan médiatique l’aile gauche du parti démocrate qui milite pour une rupture avec Israel.
Il y a là un jeu de dupes, écrit Kyle Shideler, directeur du Think tank « Center for Security Policy », et expert des questions de politique intérieure, dans The Federalist. « Pour commencer, sachez que ces campagnes nationales ou même internationales orchestrées simultanément se sont révélées efficaces partout dans le monde pour créer l’apparence d’une opposition de masse mais, en réalité il n’y a pas d’opposition de masse. Ce que vous voyez, ce sont des réseaux hautement interconnectés de groupes relativement petits de manifestants formés, et dont l’action est amplifiée par une utilisation judicieuse des médias sociaux. Il n’y a là aucune véritable expression de la volonté populaire. Les élus doivent se rappeler que ce qui ressemble à un soulèvement massif n’est qu’un spectacle d’ombres chinoises, destiné à les pousser à prendre des décisions irréfléchies. Les citoyens doivent comprendre que même si le pays tout entier semble s’effondrer, ces incidents ne sont probablement pas représentatifs de leurs quartiers et communautés immédiats. Ces actes ne visent pas à convaincre mais plutôt à bloquer l’infrastructure délicate de la vie quotidienne à laquelle les gens normaux se sont habitués. Les blocages de ports signifient que les colis ne sont pas livrés. Les manifestations à l’aéroport entraînent des vols manqués et des réunions d’affaires importantes annulées. Les barrages routiers peuvent être des événements effrayants qui transforment des trajets déjà stressants en cauchemars claustrophobes de plusieurs heures. Le but de telles protestations n’est pas de vous convaincre du bien-fondé de la cause mais plutôt de vous conditionner à accepter toute issue qui mettrait un terme à l’inconfort. »
Shideler note que ces troubles sont accentués par le fait que les forces de l’ordre fédérales, notamment le FBI et le ministère de la Justice, laissent faire et répugnent à utiliser la force contre cet extrémisme d’extrême gauche et pro Hamas. Pourquoi ? Sans doute parce que le Parti démocrate craint de perdre l’électorat musulman et gauchiste qui pourrait s’avérer décisif en novembre prochain, lors de l’élection présidentielle.
Ce jeu de dupes qui a lieu sur le territoire américain se joue également en Israël. La gauche israélienne, le journal Haaretz et plusieurs chaînes de télévision instrumentalisent le douloureux problème des otages israéliens par le Hamas pour obtenir la démission de Benjamin Netanyahou et l’organisation de nouvelles élections ou la gauche espère être majoritaire. Comme l’écrit le journaliste Freddie Eytan, « ces familles admirables et courageuses (les familles d’otages) sont tombées dans les pièges de la récupération politique. Ainsi, nous assistons chaque jour à des manifestations monstres et violentes dans les rues de Jérusalem et Tel-Aviv accompagnées de slogans creux, scandaleux, vulgaires et ignobles contre le Premier ministre et sa famille ». Ces manifestations sont le fait de groupes totalement minoritaires qui mènent une action de type putschiste pour obliger le gouvernement à démissionner et à organiser des élections. Et qui dit élections, dit obligatoirement arrêt de la guerre et retrait de Gaza. Comme l’écrit Freddie Eytan, « Nos ennemis et nos détracteurs se réjouissent et se frottent les mains, le Hamas et le Hezbollah crient victoire. C’est ainsi que nous perdons la bataille de la désinformation en Europe et en Amérique. »
Le Hamas et l’Iran s’étaient vu interdire d’internationaliser le conflit au plan militaire au Proche Orient, mais ils ont eu l’astuce de l’internationaliser au plan politique en Occident, aux États-Unis et au cœur même d’Israël. En soufflant le chaud et le froid sur la libération des otages, le Hamas fait monter la pression en Israël, espérant que les contradictions propres au champ politique israélien finissent par obliger à l’arrêt des opérations militaires sur le terrain. Comme aux États-Unis, il s’agit d’un jeu d’ombres chinoises destiné à faire croire que le pays est réellement divisé alors qu’il ne l’est qu’à la marge.
La guerre de Rafah qui s’annonce sera le test décisif qui décidera du vainqueur de cette très étrange guerre du Moyen Orient.
© Yves Mamou
Pour rappel:
— cattan (@sarahcattan_) April 25, 2024