L’an prochain à Jérusalem, par Jean-Marc Lévy, vice-Président d’Israël Is Forever Alsace

« Tandis que la nouvelle Jérusalem sort ainsi du désert, brillante de clarté, jetez les yeux entre la montagne de Sion et le Temple ; voyez cet autre petit peuple qui vit séparé du reste des habitants de la cité. Objet particulier de tous les mépris, il baisse la tête sans se plaindre; il souffre toutes les avanies sans demander justice ; il se laisse accabler de coups sans soupirer; on lui demande sa tête : il la présente au cimeterre. Si quelque membre de cette société proscrite vient à mourir, son compagnon ira, pendant la nuit, l’enterrer furtivement dans la vallée de Josaphat, à l’ombre du temple de Salomon. Pénétrez dans la demeure de ce peuple, vous le trouverez dans une affreuse misère, faisant lire un livre mystérieux à des enfants qui, à leur tour, le feront lire à leurs enfants. Ce qu’ils faisaient il y a cinq mille ans, ce peuple le fait encore. Il a assisté dix-sept fois à la ruine de Jérusalem, et rien ne peut le décourager ; rien ne peut l’empêcher de tourner ses regards vers Sion.

Quand on voit les Juifs dispersés sur la terre, selon la parole de D-ieu, on est surpris sans doute mais pour être frappé d’un étonnement surnaturel, il faut les retrouver à Jérusalem ; il faut voir ces légitimes maîtres de la Judée esclaves et étrangers dans leur propre pays; il faut les voir attendant, sous toutes les oppressions, un roi qui doit les délivrer. (…) Les Perses, les Grecs, les Romains ont disparu de la terre ; et un petit peuple, dont l’origine précéda celle de ces grands peuples, existe encore sans mélange dans les décombres de sa patrie. Si quelque chose, parmi les nations, porte le caractère du miracle, nous pensons que ce caractère est ici. »

Vue de Jérusalem près de la vallée de Josaphat, Auguste de Forbin, 1825
A l’entrée du Mont du Temple, par Gustav Bauernfeind, 1886
Photographie Mur Occidental, 1875


Cette interrogation sur le secret de la permanence du peuple juif que manifeste François-René de Chateaubriand en 1811, relatant son périple dans Voyage en Orient, Itinéraire de Paris à Jérusalem et de Jérusalem à Paris – au passage, il décrit une Jérusalem majoritairement juive, comme d’autres voyageurs bien avant lui – trouve en partie sa réponse dans la conclusion de la Haggadah de Pessa’h, le récit de la libération miraculeuse des Hébreux, conclusion qui a été pendant dix-neuf siècles le symbole par excellence de l’espérance juive : l’an prochain à Jérusalem. Ce soir, autour de la table de fête réunissant plusieurs générations : grands-parents, parents, enfants, familles et amis vont donc perpétuer la loi de Moïse et répondre à l’injonction qui nous est faite de raconter Pessa’h, la sortie d’Egypte et la fête de la liberté, ce récit extraordinaire ordonnancé dans un cérémonial émaillé de symboles (les éléments du plateau du Seder, les matsots, les quatre coupes de vin), en nous en entretenant, en redonnant vie au récit, en le commentant et en le soumettant au questionnement des enfants (pourquoi cette nuit est-elle différente des autres nuits ?), au cours de cette soirée singulière ponctuée de questions et de réponses propre à assurer la transmission de notre identité si particulière.

Le secret de la persistance du peuple juif réside tout autant dans son histoire singulière, qui fait sans doute du judaïsme, le premier humanisme de la civilisation humaine. Né dans le désert, il y a plus de quatre mille ans, le judaïsme intègre la foi et le mode de vie adoptés par un peuple de bergers. En quittant la Mésopotamie pour Canaan, en rompant avec les traditions idolâtres du croissant fertile et en changeant de nom, Saraï et Avram qui sont devenus Sarah et Abraham, ont posé les bases du monothéisme, et ainsi changé leur destin et celui de leurs descendants. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, un groupe d’hommes a choisi de transcender sa destinée dans une idée du divin, à la fois globale, unique et immatérielle. Guidé par les trois patriarches Abraham, Isaac et Jacob, inspirés par des règles d’essence supérieure, un peuple de pasteurs a transmis ses traditions, sa foi et ses pratiques aux générations suivantes, perpétuant ainsi dans une filiation généalogique autant que spirituelle des valeurs et un mode de vie qui existent encore aujourd’hui. Peu nombreux à l’origine, attachés physiquement et spirituellement à la terre de Canaan, tantôt nomades tantôt sédentaires, les patriarches annoncent l’histoire d’Israël. Israël : tel est en effet le nom donné aussi bien à la descendance du patriarche Jacob comme peuple, qu’au patriarche lui-même après sa confrontation avec l’ange. Cette lutte, qui symbolise tout à la fois le conflit intérieur et l’affrontement entre le Bien et le Mal, est totalement singulière puisqu’elle met en présence l’humain et le divin, dans un face à face dont l’issue, normalement, ne devrait faire aucun doute. Or, au terme d’une lutte difficile, ayant courageusement mené le combat, le patriarche Jacob sort vivant, mais blessé de sa confrontation à la vérité. Sa victoire, symbolisée par la bénédiction qui le nomme à présent Israël, autant que sa blessure qui le rend boiteux, laissent présager l’histoire du peuple d’Israël. Un destin spirituel hors du commun qui n’a pas vocation à s’affirmer par la force, mais dans un avenir inspiré par l’esprit divin. Prédite par les patriarches, l’histoire d’Israël se cristallisera dans l’adversité, l’exil et l’esclavage. En effet, contraints de migrer vers l’Egypte, partie prenante de la société égyptienne avant d’être réduits en esclavage, c’est à travers l’homme providentiel qu’est Moïse que se réalisera la destinée des Hébreux. Par la liberté d’abord, puis par la Loi. En s’affranchissant de leur condition d’esclave et en quittant l’Egypte pour ne plus y revenir, les Hébreux accèdent à une liberté qu’ils n’avaient plus connue depuis plus de deux siècles. Révélées à Moïse sur le mont Sinaï, la loi écrite et la loi orale encadrent cette liberté nouvellement acquise et donnent aux Hébreux un cadre juridique, social et spirituel permettant d’organiser d’une part les rapports de l’Homme à autrui et, d’autre part, sa relation au divin. Evénement fondateur de leur destin, la Révélation, qui est la rencontre du divin et d’un peuple, engage chaque homme, femme et enfant juifs présent ou non au mont Sinaï, précisément parce que le message et les valeurs contenues dans la loi écrite et la loi orale ont été donné au peuple hébreu dans sa globalité, et transmis fidèlement de génération en génération, depuis trente-trois siècles. L’acceptation de cet engagement alliant liberté et responsabilité rend les Hébreux et leurs descendants dépositaires d’un patrimoine spirituel constitué notamment des 613 lois fondatrices – dont les emblématiques Dix Commandements –, patrimoine qui, par l’étude et la transmission, n’a jamais cessé de s’enrichir. Punis en raison de la médisance et du défaitisme de dix explorateurs (parmi douze) partis reconnaître Eretz Israël, les années d’errance dans le désert permettront d’éprouver la foi et l’obéissance des Hébreux autant que de parachever la transformation d’un peuple en une nation. Au terme de quarante années d’exode, la nation ainsi constituée pourra retourner et s’établir sur la terre d’Israël promise aux patriarches, dans une exigence basée non sur le nombre ou la force, mais bien sur une revendication morale. C’est cette revendication basée sur la vérité du divin, autant que les grandes idées de la perfectibilité de l’Homme, de l’autodétermination de ses choix entre le Bien et le Mal, de l’universalité des valeurs du judaïsme, qui ont toujours fait avancer le peuple juif. Tant dans la paix et la prospérité que dans l’adversité. Tant à l’époque des Juges et des Rois qu’au temps de l’exil. Confronté à toutes les civilisations antiques, l’égyptienne, l’assyrienne, la babylonienne, la perse, la grecque et la romaine, dispersé dans le monde après la destruction du second Temple, opprimé à presque toutes les époques, tant par les chrétiens que par les musulmans, en Orient comme en Occident, persécuté jusqu’au génocide et exterminé en raison de sa spécificité, le peuple juif a survécu précisément parce que son but n’a jamais été dans la conquête, la prédominance ou la conversion de force, mais bien dans la permanence et la transmission d’un message dont les valeurs sont universelles aussi bien que dans la capacité à être une pensée de référence, apte à relever les défis, et toujours orientée vers une élévation spirituelle de l’Homme et une vision éthique de l’humanité et de la vie. 

Le Dalaï Lama et le Rabbin Léon Ashkenazi Manitou

A l’interrogation de Chateaubriand à laquelle nous venons de proposer quelques éléments de réponse fait écho le même questionnement – le secret de la longévité d’un peuple plurimillénaire – formulé par le Dalaï-Lama au Rabbin Léon Ashkénazi Manitou lors d’une rencontre que le dirigeant spirituel bouddhiste avait sollicité auprès du penseur juif, fortement engagé dans le dialogue interconfessionnel. Pour Manitou, devenu depuis des décennies une figure centrale de la renaissance du judaïsme après la Shoah, ayant revivifié le judaïsme francophone par ses enseignements et avec tous ceux qui s’en réclament, la réponse au secret de la longévité du peuple juif tient en trois points qu’il exposa alors au Dalaï Lama :

  1. Le respect et la sanctification du Chabbat ;
  2. Le respect des règles de cacherout (interdits alimentaires) et des règles de pureté familiales ;
  3. L’espérance d’un retour en Eretz Israël, symbolisée par la clôture rituelle de la Haggadah de Pessa’h : l’an prochain à Jérusalem, une espérance chantée également dans la Hatikva, l’hymne national de l’Etat d’Israël.

Mettant ses actes en accord avec ses convictions, Manitou avait fait son alya dès 1968, peu de temps après la Guerre des Six Jours, considérant que « ce qui unit tous les Juifs du monde, ce n’est pas que l’appartenance religieuse mais l’appartenance nationale ». Sioniste convaincu, il aura prôné toute sa vie un judaïsme fier et le retour à l’identité hébraïque, tant il est vrai que le Juif est un Hébreu en exil : « Un Juif redevient hébreu quand il rentre chez lui » (le premier Juif : Mardochée le Judéen, célébré avec la reine Esther à Pourim, est le héros de la Meguila d’Esther, mais un héros en exil). Autrement dit, Israël est consubstantiel à l’identité juive.

Cependant, il y a aussi des histoires qu’on ne raconte pas : au-delà de ce qu’il est convenu d’enseigner et de transmettre à Pessa’h, on oublietoujours de mentionner qu’un cinquième du peuple seulement – une minorité de 20% donc, d’après le Midrash – a choisi de suivre Moïse pour réaliser les promesses divines faites aux patriarches, tandis que 80% des Hébreux se satisfaisaient d’une routine confortable en Egypte et y sont restés ! De même, on oublie toujours de rappeler que seuls 2% des déportés juifs à Babylone ont entrepris le retour de l’exil vers Jérusalem. Ces faits pris en compte, l’explication de Manitou sur les raisons de la permanence du peuple juif en sort renforcée.

Or, Manitou va encore plus loin : comment se fait-il, interroge-t-il, que l’on commémore la sortie d’Egypte et pas la naissance d’Abraham ? Dans le débat qui suit la conférence qu’il a donnée le 17 mars 1969 dans le cadre du Dixième Colloque des intellectuels juifs de langue française sur « Judaïsme et révolution », il propose une réponse : « Nous ne commémorons pas la naissance d’Abraham, parce que c’est un événement réussi, donc intégré. La commémoration d’un événement, explique-t-il, est le signe liturgique qu’il n’est pas encore achevé. Si nous commémorons la sortie d’Egypte, c’est qu’elle n’a pas encore complétement réussi. Lorsqu’elle aura réussi, nous nous en souviendrons. Lorsque la libération que nous espérons dans notre contemporanéité réussira, alors on se rappellera qu’il y eut une sortie d’Egypte et l’on commémorera la libération que nous tentons de réussir maintenant. »

Ce que Manitou laisse ainsi entendre, c’est que la fête de Pessa’h, aussi joyeuse et merveilleuse puisse-t-elle être, reste la manifestation d’un peuple en Galout. Et Manitou d’ajouter : « Toutes les nations chez qui nous sommes allés, nous les avons aimés vraiment. La réciproque n’a pas été vraie. Dans cette notion de fraternité impossible, la fraternité est venue de nous, l’impossibilité est venue d’elles. Il y a eu des exceptions et toutes les exceptions sont honorables ; mais chaque fois qu’on récapitule les rapports entre l’identité de telle nation et l’identité d’Israël, c’est globalement la fraternité impossible qui ressort ». Soixante-seize ans après la restauration de notre souveraineté sur Eretz Israël et plus de cinquante ans après la réunification de Jérusalem, il conviendrait peut-être de questionner sérieusement la sincérité de cette espérance réaffirmée. L’an prochain à Jérusalem n’est-il qu’un vœu pieu répété dans une routine liturgique ou, au contraire, le signal évident de la fin de la Galout – l’ère messianique n’a-t-elle pas débuté le lendemain de la destruction du Second Temple ? – faisant écho au Vehi Cheamdade la Haggada ? Dans un pays au judaïsme affirmé mais fracturé, dont les grands maîtres sont déjà en Israël depuis longtemps, nos dirigeants, pris entre communautarisme et ultra-orthodoxie, sont devenus à la fois les spectateurs défaitistes et résignés de la montée incessante des actes antisémites et d’un antijudaïsme d’atmosphère, et les courtisans serviles de tous les pouvoirs qui les instrumentalisent sans vergogne. Pratiquant une gouvernance ayant peu évolué depuis le XIXè siècle, nos dirigeants, depuis longtemps en porte-à-faux avec leur base, sont devenus les promoteurs d’un judaïsme de dhimmis heureux en Galout – faisant des Juifs des Bnei Kloum ayant remplacé leur civilisation par la religion – tout en célébrant l’alya intérieure comme horizon indépassable de la condition juive en France. Et Manitou de conclure : « La diaspora, c’était l’éclatement. Israël est allé partout et lorsqu’il revient chez lui, il ramène avec lui les valeurs de chacune des nations où il a séjourné. (…)  Les nations ont toujours fait germer les valeurs de l’homme, et Israël, sa part, c’est de les unifier…». Le récit de la Haggada de Pessa’h propose une feuille de route pour redevenir des Bnei Israël dans l’unité. Pour réussir cette révolution de l’unité qui est la conciliation et l’alliance des contraires, il faudra définitivement préférer à la révolution de l’uniformité de Nimrod – et de son corollaire woke actuel : l’inclusivité – le Lekh Lekha (לך לך) d’Abraham Avinou.

L’an prochain à Jérusalem.

(לשנה הבאה בירושלים)

Pessa’h Casher vesamea’h.

(פסח כשר וסםח) 

© Jean-Marc Lévy

Nota : les citations sont extraites d’une étude de Rav Léon Ashkenazi Manitou publiée dans le livre D’un exil à l’autre – Récit d’une identité en devenir de Richard Darmon, Editions Lichma

PS : En cette année spéciale, j’ai une pensée toute particulière pour les otages détenus à Gaza, pour les ‘Hayaleï Israël et pour les Juifs d’Iran, dhimmis dans leur pays, et otages d’un régime théocratique, totalitaire et barbare.

Jean-Marc Lévy est vice-Président d’ »Israël Is Forever Alsace »

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1 Comment

  1. Bravo Mr Levy très joli commentaire et rappel de l histoire pour ceux qui veulent jeter Israël à la mer 🌊 arrêtez d écouter les crétins et les ignobles qui refusent aux juifs leur et État non à la haine BONNE FÊTES DE PESSAH A CEUX QUI LIRONT CE MESSAGE et C est une catholique amoureuse d Israël qui vous le dit shalom Mr Levy et à tous courage la vérité vaincra 😘

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