Michel Rosenzweig. L’Iran n’a pas intérêt

On entend ce mantra régulièrement depuis le début de la guerre Ukraine/Russie.

Tel pays n’a pas intérêt, telle organisation n’a pas intérêt à déclencher une guerre.

Soit.

Ce raisonnement rationnel est valide dans un monde rationnel dans lequel tout le monde partage une même culture et une même grammaire géopolitique, les mêmes valeurs.

Peut-on pour autant en faire un axiome politico-militaire universel ?

Poutine n’avait pas intérêt non plus à envahir l’Ukraine, selon NOTRE vision, NOTRE conception des rapports de forces, nos objectifs, nos valeurs.

Et pourtant.

Idem pour l’Iran des mollahs, ou pour le Hamas qui n’avait aucun intérêt à déclencher une guerre en massacrant des centaines de personnes parce que juives.

Vraiment ?

Quand on constate la condamnation quasi mondiale de l’état juif dans sa guerre contre le Hamas à Gaza et que l’inversion accusatoire est devenue la norme à l’aune de laquelle des centaines de millions de personnes jugent Israël et le considère comme coupable, bourreau et génocidaire, nous sommes en droit de conclure que le Hamas avait en réalité tout intérêt à commettre ces massacres afin de rallier les foules anti “sionistes” anti colonialistes anti américaines à leur cause en mettant Israël et les USA en échec.

De même, quand on examine rationnellement les rapports de force, il est clair que le régime iranien n’a aucun intérêt à un affrontement direct avec les USA et Israël car ce régime ne fait pas le poids militairement.

Aucun intérêt ? Vraiment ?

Aucun intérêt militaire, certes, mais un intérêt politique et géopolitique probablement.

Et si la stratégie iranienne était tout naturellement celle du Hamas, celui-ci étant téléguidé par le régime des mollahs, coaliser le Sud global, la Russie et la Chine contre l’Occident représenté par les USA et Israël ?

Car les mollahs iraniens sont aussi des Perses, malheureusement pour eux, et ces derniers ont inventé le jeu d’échecs.

Les américains eux, jouent à la playstation, ils peuvent taper fort, très fort sur ce régime, mais ils ne l’ont jamais fait, justement, car en coulisse se jouent des jeux d’intérêts et d’influence qui débouchent depuis 20 ans sur un statut quo.

Si il y avait une réelle volonté d’en finir, ce régime n’existerait plus depuis longtemps, or c’est tout le contraire que nous voyons depuis 20 ans avec la géopolitique des accommodements raisonnables et celle de l’apaisement : tout plutôt que la guerre avec l’Iran après les débâcles irakienne, libyenne et afghane.

Tout le monde sait que c’est le régime iranien qu’il faut abattre

Tout le monde sait que c’est le régime iranien qu’il faut abattre.

Mais personne n’ose ni ne veut y toucher.

Et pendant ce temps, les iraniens jouent aux échecs et ils gagnent coups après coups sur l’échiquier en déplaçant leurs pièces très finement, le Hezbollah, le Hamas, d’autres groupes djihadistes, la menace nucléaire, les cellules dormantes, le contrôle du Golf Persique, la production de pétrole et son prix, le trafic en mer Rouge, bref les iraniens sont fins et intelligents et pensent autrement avec d’autres valeurs et d’autres objectifs.

Si le rationnel gouvernait les hommes ça se saurait depuis longtemps.

Qui avait intérêt à déclencher les deux premières guerres mondiales ?

Le surgissement d’une pulsion apparemment irrationnelle doit donc être pris en compte dans le contexte actuel car Thanatos rôde toujours et la stratégie de la terreur est devenue payante.

Et l’Occident craint la mort face à un ennemi qui ne la craint pas.

Tout le monde sait que c’est le régime iranien qu’il faut abattre

La mise en échec de l’Occident est un objectif pour le régime iranien et pour la Russie comme pour la Chine.

Aux échecs, le sacrifice d’une ou de plusieurs pièces est souvent envisagé pour mettre le Roi en échec.

Ce qui apparaît toujours inconcevable et irrationnel pour un joueur qui observe ce genre de coup ne l’est pas du tout pour le joueur qui conçoit ce coup en anticipant le résultat escompté.

Le régime doit répondre à l’attaque israélienne sur ses bâtiments à Damas pour conserver sa crédibilité interne et externe et il peut tenter un coup risqué, mais calculé.

C’est pourquoi je reste convaincu que les USA et Israël ont envisagé ce coup irrationnel militairement pour l’Occident mais rationnel sur le plan stratégique pour l’adversaire, car même si l’Iran frappe Israël depuis son territoire avec des missiles balistiques, il n’est pas certain du tout que cela signifierait la fin du régime pour autant.

Il y aurait des représailles certes, mais limitées.

Comme à Gaza.

Il suffit de voir comment les USA et le monde entier empêchent Israël de terminer le travail à Gaza.

De même, l’hypothèse d’une bombe nucléaire tactique sur l’Ukraine ne signifierait pas nécessairement une réaction dévastatrice de la part de l’OTAN.

Ce qui nous apparait irrationnel et suicidaire ne l’est qu’en fonction de NOTRE vision du monde et de l’existence, mais c’est sans compter sur la manière de penser de l’adversaire ou/et de l’ennemi qui a des objectifs qui lui sont propres et diamétralement opposés aux nôtres.

© Michel Rosenzweig