Tribune Juive

Natacha Polony: un Édito qui illustre mauvaise foi, hypocrisie, voire … mensonges

Édito de Natacha Polony dans Marianne ce matin

« Antisémite, vraiment ? L’horreur du 7 octobre l’a emporté sur la juste mesure et la raison »

Natacha Polony. © Hannah Assouline – Montage « Marianne« 

« Depuis plus de deux semaines et un débat virulent avec Bernard-Henry Lévy, je suis harcelée sur les réseaux sociaux et accusée d’antisémitisme. Pourtant, cela fait des années que j’alerte sur la montée de l’antisémitisme dans les collèges et lycées, à une époque où l’écrire conduisait à se faire traiter de raciste », souligne Natacha Polony, directrice de la rédaction de « Marianne ».

Il y a six mois tout juste, le Hamas lançait sur Israël une attaque monstrueuse, un massacre de civils comme le pays n’en avait jamais connu, femmes, enfants, avec une perversité dans l’horreur qui rappelait les atrocités de la décennie noire en Algérie ou celles de l’État islamique.

Nous ne mesurons pas encore les bouleversements géopolitiques engendrés par ce coup de tonnerre mais nous voyons déjà, après six mois d’une riposte telle, de la part d’Israël, que même son indéfectible allié, les États-Unis, tente d’y mettre fin, comment ce conflit a fracturé une société française qui n’avait pas besoin de cette déchirure supplémentaire. Nous voyons comment ce conflit rend fou.

La cause ? Un débat virulent face à  Bernard-Henri Lévy, venu présenter son dernier livre dans l’émission de Léa Salamé, « Quelle époque ! ». Le livre en question, Solitude d’Israël (Grasset), s’interroge sur le sens de l’existence d’Israël autant que sur les conséquences du 7 octobre. Une réflexion qui, en revenant sur l’histoire du « plus vieux peuple persécuté du monde », semble évacuer la question de la nature des territoires palestiniens et du droit de leurs habitants. Il récuse notamment l’idée qu’Israël se serait mis dans la position d’un État colonial. Et il ne comprend absolument pas pourquoi la communauté internationale ne soutient pas Israël dans sa riposte totale au Hamas.

MESSIANISME LYRIQUE
Dans ce débat, je tentai d’évoquer les populations civiles bombardées à qui Bernard-Henri Lévy n’accordait même pas le statut de « victimes collatérales ». Je défendis le droit international, celui qui dessine les frontières d’Israël et de la Palestine et celui qui interdit de priver d’eau, d’électricité et de médicaments une population civile lors d’opérations militaires.

Je rappelai à Bernard-Henri Lévy, incarnation chimiquement pure du néoconservatisme, comment son messianisme lyrique, glorifiant un Occident moralement supérieur face à un supposé « axe du mal », l’avait conduit à soutenir la guerre en Irak et à provoquer l’intervention en Libye dont les conséquences sont la déstabilisation du Sahel et l’instauration de marchés aux esclaves à Tripoli. « Vous êtes en train de fabriquer des générations de soutiens du Hamas », lui lançai-je.

Depuis, je suis donc « antisémite ». Et je propage la propagande du Hamas. Des Français de confession juive m’interpellent sur les réseaux sociaux avec des « honte à vous ». Et je me surprends à me demander si cette paix civile que j’ai toujours défendue, au sein d’une communauté nationale réglant ses différends par le débat démocratique, est encore possible, en un temps où chacun, au nom de son bon droit, peut criminaliser qui ne pense pas comme lui et perdre toute mesure.

J’ai commencé le journalisme à Marianne en 2002. Mes premiers articles rendaient compte de la publication d’un livre trop négligé à l’époque : Les Territoires perdus de la République (Mille et Une Nuits). Mes premiers reportages furent consacrés à la montée de l’antisémitisme dans les collèges et les lycées, à une époque où écrire cela conduisait à se faire traiter de raciste.

Au lendemain du 19 mars 2012 et de la tuerie perpétrée par Mohamed Merah, prétendument au nom des enfants palestiniens, j’ai rappelé que ce garçon était au collège dix ans plus tôt, qu’il était de ces jeunes gens dont l’antisémitisme viscéral et l’islamisme croissant avaient été décrits dans Les Territoires perdus de la République.

J’ai écrit mon dégoût d’avoir vu évacuer ce massacre d’enfants juifs – un petit avec sa tétine, une fillette attrapée par les cheveux pour lui tirer une balle dans la tête –, au motif qu’on était en campagne électorale. En 2014, j’ai alerté sur ces manifestations, dans Paris, où l’on pouvait entendre crier « Mort aux juifs ». Et je suis donc antisémite.

« Vous dites “vous” à BHL, c’est donc que vous accusez les juifs ! ». Non, je dis « vous » parce que je combats les néoconservateurs dont il est le fer de lance, qui soutiennent la politique irresponsable de Benyamin Netanyahou alors même que lui, BHL, n’a jamais été de ce camp politique ; des néoconservateurs dont la vision messianique déstabilise la paix mondiale en instaurant un deux poids, deux mesures vis-à-vis du droit international.

Il ne s’agit, à aucun moment, de minimiser la monstruosité du Hamas, ce mouvement islamiste qui a instauré la terreur à Gaza et qui instrumentalise le malheur des Palestiniens. Mais la gauche israélienne elle-même a suffisamment reproché à Benyamin Netanyahou  d’utiliser le Hamas pour affaiblir tout autre interlocuteur palestinien.

PLUS DE JUSTE MESURE
Il reste 130 otages détenus dans des conditions atroces, mais croit-on vraiment que c’est en rasant Gaza qu’on va les libérer ? Il faut éradiquer le Hamas, mais croit-on vraiment que c’est en créant un ressentiment viscéral chez les Palestiniens qu’on va les détacher du Hamas ? Et les Cisjordaniens ? Eux qui n’ont pas voté pour le Hamas, méritent-ils d’être expropriés par des colons ? Croit-on vraiment œuvrer pour la paix de cette manière ? L’admirable texte d’Anne Sinclair dans Le Point se posait les mêmes questions.

© Natacha Polony

Source: Marianne

https://www.marianne.net/agora/les-signat

Quitter la version mobile