Sommaire
I.
La condition juive dans les sociétés musulmanes est dominée par la précarité
II.
Les pogroms au XIXe siècle sous l’Empire ottoman
III.
L’effondrement de l’Empire ottoman et l’islamisation de l’antisionisme
IV.
Le refus arabe du mandat britannique et les pogroms de 1936-1948
Résumé
Le 7 octobre 2023, un pogrom a eu lieu en Israël pour la première fois depuis la création de l’État juif. Selon l’AFP, le massacre antisémite perpétré par l’organisation terroriste Hamas a fait 1.160 victimes, en majorité des civils, des hommes, des femmes, des vieillards, des enfants, tous morts dans des conditions atroces, souvent après avoir été violés, torturés. Les terroristes ont pris en otages quelque 250 personnes, certaines ont été libérées, en échange de prisonniers, d’autres personnes sont mortes durant leur captivité sans que l’on puisse en connaître le nombre au moment de publier cette étude.
Cet acte d’une violence inouïe n’a pas suscité les élans de solidarité que l’on pouvait attendre, notamment eu égard à l’histoire, soixante-dix-neuf ans après le premier procès de Nuremberg. Au contraire, on a vu rapidement surgir un argument plus ou moins assumé établissant un lien de cause à effet entre la politique israélienne dans les territoires palestiniens et la violence du 7 octobre 2023.
Or, un retour par l’histoire sur les relations entre les communautés juives et arabes de Palestine montre que dans le siècle précédant la création de l’État d’Israël, la Palestine a été le théâtre de nombreux pogroms d’une violence comparable à celle du 7 octobre. Entre 1830 et 1948, la répétition de ces massacres visait à contraindre les Juifs de Palestine de quitter cette terre, à dissuader ceux qui avaient été persécutés en Europe de venir s’y réfugier et finalement à empêcher par les moyens les plus violents la création d’un « Foyer national juif ».
L’étude de Georges Bensoussan rappelle qu’un antisémitisme meurtrier s’est abattu sur les Juifs de Palestine bien avant la création d’un État juif. On ne peut comprendre le pogrom du 7 octobre 2023 si on ne le situe pas dans cette histoire d’une violence antijuive sans limite en Palestine. Cette réalité doit être prise en compte par les tenants d’une « solution à deux États ».
Dominique Reynié
Georges Bensoussan,
Historien
Juifs en prière devant le Mur des lamentations à Jérusalem, illustration tirée de l’ouvrage Those Holy Fields : Palestine, illustrated by pen and pencil de Samuel Manning, publié en 1873.
« La fameuse vie idyllique des Juifs dans les pays arabes, c’est un mythe ! La vérité, puisqu’on m’oblige à y revenir, est que nous étions d’abord une minorité dans un milieu hostile. […] Jamais, je dis bien jamais […], les Juifs n’ont vécu en pays arabes autrement que comme des gens diminués. […] Les masses musulmanes, poursuivait-il, ont été parmi les plus pauvres de la planète. Et les nôtres ? Qui a pu visiter l’un de nos ghettos sans effroi ? Pourquoi n’aurions-nous pas, nous aussi, une ardoise à présenter au monde ? Les Arabes furent colonisés ; c’est vrai. Mais nous, donc ! Qu’avons-nous été, pendant des siècles, sinon dominés, humiliés, menacés et périodiquement massacrés ? Et par qui ? N’est-il pas temps que l’on nous entende là-dessus : par les Arabes musulmans !1 ».
Albert Memmi. 1 Albert Memmi, Juifs et Arabes, Gallimard, 1974.
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Partie 1
La condition juive dans les sociétés musulmanes est dominée par la précarité
La condition juive dans les sociétés musulmanes est encadrée par la dhimma qui institue pour les chrétiens et les Juifs le statut de dhimmi. Un dhimmi est un « protégé » (c’est le sens du mot en arabe), et en tant que tel, c’est un sujet inférieur et soumis, bridé par une kyrielle de mesures discriminatoires et fiscales. Selon les islamologues Janine et Dominique Sourdel, la dhimma s’appuie en premier lieu sur un verset du Coran : « Combattez ceux qui ne croient point en Dieu ni au Dernier Jour, qui ne déclarent pas illicite ce que Dieu et son Envoyé ont déclaré illicite, qui ne pratiquent point la religion de Vérité, parmi les détenteurs de l’Écriture, jusqu’à ce qu’ils paient la jizya, en compensation pour ce bienfait et en raison de leur infériorité » (Coran, IX, 29). Avec pour conséquence, notent les deux auteurs du Dictionnaire historique de l’islam, une société à deux niveaux : « niveau des maîtres, d’une part, que distinguait avant tout leur appartenance à l’islam, et niveau des non-musulmans, d’autre part, qui ne jouissaient point des mêmes droits2 ». Cette société « portait en elle des germes d’intolérance qui allaient, à toute époque et en toute région, caractériser les États musulmans rigoristes confrontés au problème des minorités confessionnelles3 ».
Au XIXe siècle, un nombre important de témoignages sur la vie juive en terre arabo-musulmane fait état d’une condition caractérisée en premier lieu par le mépris. « Le Juif c’est la bête sur laquelle on cogne à tout propos, pour un rien, pour calmer ses nerfs, pour apaiser sa colère » témoigne en 1910 un voyageur occidental au Yémen4. Entre Juifs et arabo-musulmans, la coexistence, fragile, demeure à la merci du moindre incident, en particulier lorsque les Juifs oublient ce que la société musulmane nomme « le sens de leur humilité ». La violence, codifiée, maintient chacun à sa place au risque, sinon, de répandre le sang.
À partir de l’étude des archives des tribunaux islamiques en Palestine, l’historien israélien Amnon Cohen restitue la réalité de la condition des dhimmis juifs avant les débuts du sionisme, des sources judiciaires et administratives qui s’étalent sur presque six-cents ans, du prophète jusqu’à Saladin au XIIe siècle. Ces documents attestent que ce qu’on nomme le « pacte d’Omar », c’est-à-dire la codification de la dhimma, « avait conservé pour de nombreuses générations un caractère incontestable ». Mais contrairement à sa dénomination officielle, le « pacte d’Omar » n’est pas un traité signé entre deux parties. Il ne fait pas l’objet d’une négociation, c’est une contrainte exercée sur des populations soumises.
La dhimma s’inscrit d’abord dans l’espace par la séparation radicale avec la majorité musulmane. Par exemple, dans les bains publics à Jérusalem où tous les habitants sont autorisés à se rendre, il faut continuer à distinguer le Juif du musulman. Dans la vie courante, le Juif doit porter un turban jaune. Le retirer ou porter une autre couleur est interprété comme la volonté de se faire passer pour un musulman. Les femmes juives doivent porter un vêtement ou un morceau de tissu jaune pour être distinguées des musulmanes. La nudité des bains publics oblige donc à un autre signe distinctif : le Juif qui y entre doit être muni d’une clochette qui signale son arrivée. Enfin, alors que chaque client des bains publics reçoit une serviette, il est d’usage de réserver aux Juifs les serviettes les plus élimées et usées jusqu’à la corde. Les bains publics sont un exemple parmi d’autres, et donc emblématiques du système radical de ségrégation que signifie une dhimma qui embrasse tous les aspects de l’existence.
A quand la « Repentance » des Arabes esclavagistes, anti sémites et racistes et ségrégationnistes ?