Je suis le petit fils d’Aaron le Cohen Gadol (Grand prêtre), frère de Moïse.
J’ai une parasha (portion hebdomadaire de la Torah) à mon nom.
Je suis connu pour avoir transpercé d’un coup de lance un prince hébreu et sa maitresse moabite qui forniquaient quasiment en public, après la sortie d’Egypte, quand les Hébreux campaient dans le désert.
Ce scandale a eu lieu juste après l’épisode de Balaam, prophète non juif chargé par le roi de Moab Balak, de maudire Israël, mais qui n’a pu que les bénir.
Balaam n’a pas voulu rester sur cet échec et a suggéré à Balak un moyen de déchainer la colère d’Hashem contre les Hébreux : sachant que « le D’ieu d’Israël hait la débauche », Balaam a conseillé à Balak d’envoyer ses plus belles Moabites, dont une princesse nommée Kozbi, pour draguer les hommes hébreux… et les filles de Moab sont allées à bonne école, si vous voyez ce que je veux dire*…
Une fois que les hommes seront tombés sous leur charme, elles les inciteront à se prosterner devant leur idole, Baal Péor.
Je ne vous raconte même pas l’autre aspect dégoutant du culte de ce dieu…
Alors, comme le raconte la Torah, “Le peuple se livra à la débauche avec les filles de Moab. Elles convièrent le peuple à leurs festins idolâtres ; et le peuple mangea, et il se prosterna devant leurs dieux. Israël se prostitua à Baal-Peor et le courroux du Seigneur s’alluma contre Israël»
Lorsque Moïse voulut juger les fauteurs, le prince (chef de tribu) Zimri, un Hébreu arrogant et dévergondé, vint défier publiquement Moïse en lui montrant Kozbi:
« Cette femme est-elle permise ou interdite ? Si tu réponds qu’elle est interdite parce qu’elle est midianite, rappelle-toi que ta propre épouse est midianite ; qui t’a permis de la prendre? » (Moabite, Midianite, c’est du pareil au même)
Le pauvre Moïse, qui était là avec les autres à regarder et pleurer sans rien faire, en est resté pétrifié et n’a pas pensé à répondre qu’il avait effectivement épousé la fille de Yitro prêtre idolâtre, mais avant la réception de la Torah et qu’elle s’était convertie à ce moment-là.
Moi Pinhas, je n’ai pas supporté de voir l’honneur de notre D.ieu bafoué, alors j’ai dit à Moïse : « J’ai reçu de toi une tradition selon laquelle celui qui a des relations intimes avec une païenne en public, les zélateurs peuvent l’attaquer »
C’est une loi complexe un peu limite, que vous ne trouvez pas dans la Bible, dont le Talmud dira qu’il ne faut pas l’enseigner :
- Le coupable est passible de la peine de mort mais exécutable uniquement par un zélateur (et pas par un tribunal) pendant l’offense (et pas après) ;
- Si le coupable tue le zélateur, ça sera de la légitime défense, vu qu’il n’a pas été condamné à mort par un tribunal,
- Si le coupable n’a pas été tué par un zélateur pendant l’acte, il est passible de la peine de Karet (retranchement), une peine de mort dont D.ieu se charge lui-même.
Bref, c’est une mitsva (commandement) qui inclut mon intervention et pas un millimètre de plus.
En une seconde, j’ai pris la décision de suivre Zimri et Kozbi dans la tente où ils forniquaient en plein milieu du campement. Pour qu’on me laisse entrer, j’ai prétendu que je venais moi aussi assouvir mes besoins, c’est à dire coucher avec une Moabite, et je les ai transpercés en pleine action, exactement par là où ils étaient en train de pécher.
Je suis ce qu’on appelle un zélateur / zélé / zélote ou vengeur d’Hashem.
en hébreu un קַנַּאי
(Prononcez « Canaille » mais ça n’a rien à voir)
Certains me traitent de fanatique, d’autres de vrai serviteur d’Hashem, sévère et juste, comme le prophète Elie dont on dit que je suis lui. La haftara (passage d’un livre biblique) associée à ma parasha est celle qui parle d’Elie.
Je n’étais même pas Cohen avant mon intervention parce que j’étais déjà né quand mon grand-père Aaron a reçu la prêtrise pour lui et ses descendants. De plus, si j’avais été Cohen, je n’aurais pas pu avoir de contact avec un mort, alors tuer deux personnes, n’en parlons pas !
J’aurais pu me dire « Laissons faire Moïse notre maitre », « Laissons faire Aaron le Cohen Gadol », « Laissons faire les chefs de tribu », « Laissons faire n’importe qui d’autre » ou même « Laissons faire Hashem».
Parce que j’ai pris un gros risque : Zimri aurait pu me tuer, un tribunal aurait pu me condamner pour meurtre si j’avais transpercé trop tôt ou trop tard, même Hashem aurait pu me foudroyer comme oncle Nadav et oncle Avihou qui avaient apporté de l’encens sans demander à Moïse.
Je n’ai pas fait ça pour la gloire, j’ai risqué ma vie pour apaiser la colère d’Hashem
Aujourd’hui mon geste peut paraitre choquant, barbare et expéditif.
Même à mon époque, on s’est moqué de moi en rappelant que je suis le petit fils du prêtre idolâtre Yitro :
« Comment celui dont le grand-père engraissait des veaux pour l’idolâtrie peut-il tuer le prince d’une tribu d’Israël ? »
Ils voulaient dire que, en tant que petit-fils d’idolâtre, je ne pouvais pas comprendre la ‘’noble’’ intention du prince Zimri de montrer que les Hébreux ne voulaient pas vraiment s’adonner à l’idolâtrie mais ‘’seulement’’ à la débauche. Un petit compromis avec la Torah quand elle est trop stricte. Nous ne sommes pas des surhommes, la chair est faible, etc.
Mais le Principal Intéressé, Celui dont j’ai défendu l’honneur, a agréé mon acte, et je dirais même, si j’osais, qu’il a, à son tour, défendu mon honneur : Il a dit à Moïse :
- « Pinhas, fils d’Eléazar, fils d’Aaron le Cohen, a détourné Ma colère de dessus les enfants d’Israël, en se montrant jaloux de Ma cause au milieu d’eux, en sorte que Je n’ai pas anéanti les enfants d’Israël, dans Mon indignation ».
Suite à mon intervention, Hashem a arrêté l’épidémie qui avait déjà fait 24.000 morts chez les Hébreux.
- « C’est pourquoi, tu annonceras que Je lui accorde Mon alliance de paix ».
Hashem a gratifié mon double meurtre sans jugement du mot « chalom », ses voies sont vraiment impénétrables !
Bon, je vous accorde que le chalom qu’Il m’a accordé est un peu cabossé, il est toujours écrit avec un vav fendu.
Je me dis qu’Hashem a apprécié mon dévouement mais m’a demandé de revenir à l’idéal de paix de mon grand-père Aaron, qui était connu pour sa patience et sa diplomatie pour réconcilier les couples et les ennemis.
3) « Lui et sa postérité après lui posséderont, comme gage d’alliance, la prêtrise à perpétuité«
Presque tous les Grands Prêtres sont mes descendants.
Et 3200 plus tard, vous aurez toujours des Cohanim pour vous bénir.
Des études génétiques confirmeront que le chromosome Y appelé « gène des Cohanim » sera fréquemment trouvé chez les Cohanim de votre époque.
Maintenant je vous déconseille d’embrocher les couples mixtes qui forniquent en public sous peine de finir en asile psychiatrique ou en prison pour détenus radicalisés.
Mes aventures punitives ne se sont pas terminées là. Quand Hashem a ordonné à Moïse d’attaquer les Midianites pour venger les Hébreux, c’est moi qu’il ait dirigé l’expédition. J’en ai profité pour tuer Balaam par qui ce mal est arrivé.
Je ne suis pas mort dans le désert comme les hommes de ma génération.
Bien des années plus tard, notre chef Josué, successeur de Moïse, a appris que des Hébreux avaient construit un autel de l’autre côté du Jourdain et a craint que cela ne déchaine à nouveau la colère d’Hashem contre son peuple.
Qui croyez-vous qu’il ait envoyé pour les combattre ?
Pinhas le tueur !
J’ai repris ma vielle lance, et à cheval !
Non, je n’ai pas embroché tout le monde, maintenant je discute avant !
Je les ai admonestés sévèrement :
« Qu’est-ce que cette trahison que vous avez commise à l’égard du Dieu d’Israël, cette défection envers l’Eternel, en vous bâtissant un autel et vous révoltant ainsi contre le Seigneur?«
Quand ils m’ont expliqué que c’était juste une maquette d’autel pour que leurs enfants n’oublient pas le service d’Hashem, je leur ai répondu qu’il n’y avait aucun souci et qu’ils avaient bien fait. Puis j’ai rangé ma lance et je suis retourné en Israël.
Ce n’était pas ma dernière épreuve.
La Bible raconte que, 300 ans après notre arrivée en Israël, un Juge (dirigeant) d’Israël nommé Jephté est parti en guerre et a conclu un pacte idiot avec l’Eternel :
« Si tu livres en mon pouvoir les enfants d’Ammon, la première créature qui sortira de ma maison au-devant de moi, quand je reviendrai vainqueur des enfants d’Ammon, sera vouée à l’Eternel, et je l’offrirai en holocauste ».
Il a gagné la guerre mais la première créature qui est sortie de sa maison à son retour a été sa fille unique.
Ce sont les Sages du Talmud qui me mêleront à cette histoire d’homme violent, impulsif et qui tue au nom d’Hashem, un peu comme moi… Une histoire qu’on croirait tirée de la mythologie grecque : suite à un serment du même genre, le roi Agamemnon a dû sacrifier sa fille Iphigénie durant la guerre de Troie.
J’aurais été un très vieux Cohen Gadol encore en activité, et j’aurais refusé d’aller délier Jephté de son vœu, en disant: « Je suis prêtre, comment pourrais-je m’humilier en allant chez un ignorant ? » Et Jephté a dit: « Je suis le chef de tous les officiers d’Israël, et je devrais aller voir Pinhas« . Entre celui-ci et celui-là, la jeune fille a été perdue.
A cause de cela, j’ai perdu l’esprit divin qui m’animait.
***
Sources
* Moab (Mé-ab : qui vient du père)
Pentateuque – Genèse – parachat Vayera : 30 Loth monta de Çoar et s’établit dans la montagne avec ses deux filles …31 L’aînée dit à la plus jeune : …32 Eh bien! enivrons de vin notre père, partageons sa couche et par notre père nous obtiendrons une postérité.”… 37 La première eut un fils, qu’elle appela Moab ; ce fut le père des Moabites qui subsistent aujourd’hui.
https://fr.chabad.org/parshah/article_cdo/aid/3718655/jewish/La-faute-de-Zimri.htm
Cours du rav David Uzan
https://link.springer.com/article/10.1007/s00439-009-0727-5 sur le gène des Cohanim
Sanhédrine 82a
Mishna Sanhédrin 9, 6
Midrash Beréshit Raba
Téhilim 75-10 : Et moi, je raconterai sans cesse, je chanterai le Dieu de Jacob.
וַאֲנִי אַגִּיד לְעֹלָם אֲזַמְּרָה לֵאלֹהֵי יַעֲקֹב
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Merci aux groupes Limoudénou et Haverot
© Joëlle Galimidi
Me Joëlle Galimidi, avocate depuis 36 ans, est associée du Cabinet d’avocats HM GALIMIDI, à Paris. Impliquée dans des associations juives (Hilel Campus), sensibilisée par la professeure Liliane Vana au problème des femmes en attente de Guett, Me Joëlle Galimidi participe à des ateliers et conférences sur le Guett.
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