Pour contraindre le Juif à l’inaction, on l’a emprisonné dans une image. Il a souvent tenté de s’échapper de son cadre, sans faire de bruit d’ailleurs. On l’y a remis de force, en le malmenant, en l’accusant d’être un indiscipliné, un turbulent. On lui a présenté le miroir ; il ne s’y est pas reconnu. Mais les autres ne pouvaient pas le voir autrement. Il a fallu qu’il se résigne. Nez busqué, dos courbé, poiture étroite et, par là-dessus, pouilleux, couard, usurier, banquier habile, Judas et Shylock. Vous ne convaincrez personne qu’il puisse être d’une autre nature. Le fichier est là, inexorable. On n’a qu’à le consulter : la classification est nette. Tel il a été catalogué, tel il demeurera. On lui concède parfois d’être un idéaliste en même temps, de poursuivre avec un égal bonheur les spéculations de la Bourse et celles de l’esprit, mais c’est sans doute dans le désir secret de mieux faire ressortir ce qu’il y a de démoniaque en lui.
Sous ce travestissement, dont on l’a affublé de force, et qu’il a consenti à porter pour la paix de sa vie, le juif s’est cru en sécurité, une sécurité relative, semblable à celle qu’il trouvait derrière les murs de ses ghettos.
Eux et Nous, Elian J. Finbert, Cahiers Juifs, Janvier 1933
Murmuration*
Interview de Colin Shindler pour Tribune Juive
Londres, le 20 mars 2024
Daniella Pinkstein – : Colin Shindler, vous avez, pour la première fois, ouvert un champ disciplinaire qui n’existait pas avant vous. En effet, vous êtes étonnement le tout premier Professeur d’Études sur Israël au Royaume-Uni. Vous êtes également le Président – Fondateur de l’Association européenne d’études israéliennes. Vous avez déjà écrit douze ouvrages, tous indispensables de lecture, pour leur impeccable rigueur d’analyse et leur indiscutable lucidité. Votre champ de recherche concerne également la droite israélienne. A History of Israel in 100 Cartoons a été publié l’année dernière par Cambridge University Press.
Vous avez dirigé le Routledge Handbook on Zionism, ouvrage collectif, auquel quarante chercheurs ont contribué. Il sera publié en juin 2024.
Cher Professeur Colin Shindler, avant de rentrer dans le corps de votre travail et de vos ouvrages d’une si grande justesse, je voudrais d’abord connaître votre avis sur la pente que l’Angleterre semble dévaler. – tous les yeux étant actuellement tournés en particulier sur Londres où les manifestations pro-Hamas se font pléthoriques et où sont scandés d’effroyables slogans antisémites, réveillant nos pires cauchemars :
Colin Shindler – : Aucune violence n’est exercée actuellement contre les Juifs britanniques à Londres, mais il est vrai qu’un sentiment à la fois d’hostilité, d’aversion et de condamnation des Juifs, à des degrés variés, s’aggrave quand les médias en particulier relatent la complexité de la guerre à Gaza, d’une manière aussi superficielle que succincte. La situation est surtout complexe pour les étudiants juifs à l’Université qui se retrouvent à devoir s’informer le plus rapidement possible sur l’Histoire juive et l’Histoire d’Israël, afin d’être en capacité de contrer toutes les formes d’intimidation.
Le slogan « De la rivière à la mer » était à l’origine scandé par les marcheurs propalestiniens chaque samedi. L’ironie est qu’ils clament en fait « une grande Palestine », et donc par conséquent le refus d’envisager la moindre solution à deux États. Pour un grand nombre de Juifs, cela signifie aussi une Palestine judenrein. Il y a une franche ambiguïté dans ce slogan. Les autorités britanniques l’ont du reste interdit lors de ces manifestations, sous peine de poursuites judiciaires.
Là encore, nous remarquons sans équivoque le démarrage des violences antisémites à partir du 7 octobre, et non à partir de l’entrée d’Israël dans Gaza. Comment expliquez-vous cet engouement paradant pour le meurtre d’Israël ?
Les manifestants font preuve d’une profonde ignorance quant au conflit israélo-palestinien. L’islamisme palestinien confond le juif du XXIe siècle avec celui de l’Arabie du VIIe siècle, de l’époque du Prophète, considérant malgré les siècles l’un encore à l’égal de l’autre. Hélas, alors que des personnalités comme Yitzhak Rabin avaient pu envisager une paix possible avec des nationalistes palestiniens comme Yasser Arafat, en revanche le Hamas comme le Jihad islamique n’allèguent absolument aucune intention de négocier avec Israël. Ils ont mené une série d’attentats suicides afin de faire échouer les Accords d’Oslo entre Israël et les Palestiniens. Des Israéliens juifs et arabes ont été tués par le Hamas. Les islamistes israéliens et palestiniens tels que Yahya Sinwar espèrent sans ciller extirper Israël du Moyen-Orient, comme une herbe empoisonnée.
L’extrême gauche – l’autruche politique de notre époque – pense que le Hamas finira aussi par faire partie de la gauche. Pour atteindre cet objectif, elle est prête à flirter avec un « antisémitisme révolutionnaire » déguisé en une dite lutte contre le sionisme.
De France, il est difficile de comprendre la passivité des autorités ?
Les autorités britanniques sont confrontées à un difficile exercice d’équilibre entre l’autorisation démocratique de manifester en faveur des Palestiniens et la prévention de toute intimidation des Juifs britanniques. Il y a quelques mois cependant, on a vu défiler des centaines de milliers de Juifs et de sympathisants lors d’une grande manifestation contre l’antisémitisme.
Cette passivité, voire cet encouragement volontaire, face aux prises de paroles de plus en plus marquées, violentes, prosélytes, zélateurs, et bien sûr antisémites dans les quartiers de Londres, dans les mosquées, s’enracinent maintenant depuis des décennies. Comme disent les complotistes, à qui profite le crime ?
La plupart des musulmans soutiennent naturellement les Palestiniens, tandis que la plupart des juifs soutiennent Israël. Les autorités britanniques ne manquent d’agir contre les religieux musulmans qui radicalisent leurs fidèles ou encore contre ceux qui tiennent des propos antijuifs, sous l’apparat d’un langage religieux. Des articles condamnant des propos outranciers paraissent régulièrement dans le journal Times. On trouve nombre de rabbins et d’imams qui collaborent discrètement, silencieusement, ensemble, gardant l’espoir de combler le fossé qui séparent ces deux communautés.
Les médias sociaux (ceux sans aucune réglementation) toutefois sont une autre histoire.
C’est pourtant dans ce contexte général à la fois de l’histoire en général et de l’histoire, en particulier des juifs de Grande-Bretagne qu’une figure aussi unanimement aimée, admirée, que fut le rabbin Jonathan Sacks a émergé. Sont-ce les paradoxes de ce pays ? Ou de notre époque? Quelle est la situation aujourd’hui des juifs britanniques ? Quels sont leurs sentiments actuels ?
La communauté juive de Grande-Bretagne est une communauté combative. Elle est présente au Royaume-Uni depuis que la République d’Oliver Cromwell l’y a autorisée à vivre, en 1656, après des siècles d’exil. Contrairement au catholicisme européen, le protestantisme britannique s’est généralement montré tolérant et accueillant à l’égard de sa communauté juive. Les Juifs savent quand le temps est venu de plier bagages – et ce moment n’est pas encore arrivé au Royaume-Uni.
Votre ouvrage A History of Modern Israël, publié en 2008 aux Editions Universitaires de Cambridge, est non seulement un trésor d’informations, de faits, d’événements historiques, mais aussi de réflexions essentielles face à la construction réelle et symbolique de ce pays. On sent à quel point chaque mot est soupesé, tendu entre ce que vous énoncez et la façon dont il pourrait être interprété. A qui s’adressait cet ouvrage ? Surtout aux étudiants ?
Je vous remercie. Mes livres s’adressent généralement à un lectorat intéressé. Il peut s’agir d’étudiants, ou bien de tout lecteur curieux de s’informer. Il m’est souvent rapporté que mes livres sont accessibles à tous, ce qui est un vrai compliment.
Bien que je ne sois pas dans une attente particulière à l’égard de mes lecteurs, j’ai toutefois le sentiment, quand les éloges sont sincères, d’avoir réalisé un travail utile, profitable.
Quel poids a un tel ouvrage, si finiment pensé, avec une intelligence responsable, quand on sait aujourd’hui plus encore dans le vaste tourment des wokismes universitaires, que l’appel à la haine d’Israël ne passent ni par la raison ni par l’analyse de l’histoire ? Vous évoquiez le refus d’un récit complexe quant à la colonisation ou la décolonisation, mais aujourd’hui, des années après l’écriture de cet ouvrage universitaire, pensez-vous encore qu’il s’agit du refus de complexité ? N’est-ce une part très mineure de l’enfièvrement d’aujourd’hui ?
Le discours d’une partie de la gauche britannique, qui qualifie les Juifs de colons-colonisateurs, existait déjà avant la guerre des Six jours de 1967 et bien avant tout accord sur les territoires. Nombreux sont ceux qui souhaitent revenir non pas à la situation de 1967, mais à celle de 1948.
Certains ont également été influencés par l’antisémitisme soviétique des années 1960.
Les opinions se forgent par de multiples facteurs, en dehors des livres. De nombreux étudiants de tous horizons ont suivi mes cours universitaires sur le conflit israélo-palestinien. Ils étaient au début persuadés que c’était une question noire ou blanche, juste ou fausse. À la fin de mon séminaire universitaire, ils avaient compris toute la complexité tragique de la situation. Je dis souvent à mes étudiants de ne pas accepter ma seule version de l’histoire, mais d’apprendre à s’informer sur le conflit israélo-palestinien. L’un de mes étudiants arabes qui a suivi ma maîtrise (en Études sur Israël) a rédigé d’excellents essais sur Vladimir Jabotinsky. Vous ne pouvez parler et écrire que pour ceux qui sont en face de vous, mais personne ne sait où vos mots atterrissent et qui au fond ils influencent.
Votre autre ouvrage, What do Zionists Believe, que tout le monde sans exception devrait posséder et connaître sur le bout des doigts tant il est un petit chef d’œuvre de justesse répondant à toutes les absurdités et énoncés controuvés qui nous sont assénés jour après jour, recevrait-il presque 20 ans plus tard un même accueil dans la Grande-Bretagne d’aujourd’hui ? Et en Europe plus largement ?
Ce texte, écrit il y a près de vingt ans, est une introduction au sionisme, à ses nombreuses variantes et aux protagonistes qui l’ont développé.
Je l’ai écrit parce qu’il y avait une vraie lacune de connaissances, de compréhension – une profonde ignorance – des origines et de l’idéologie du sionisme.
J’espérais qu’il donnerait matière à réflexion. En 2024, peu de gens en fait souhaitent véritablement s’instruire sur ce sujet. Il est tellement plus aisé de déverser des commentaires dépréciatifs et superficiels sur les médias sociaux.
Quelle fut la motivation sous-jacente, à la rédaction d’un tel ouvrage, où chaque mot est en balance avec le monde, et ce qui s’y dit si bruyamment ?
Les Juifs ont toujours été des étrangers, des marginaux à la « nuque raide », disposés à faire partie d’une minorité. Je m’identifie personnellement à cela. D’une certaine manière, le sionisme s’inscrit dans cet état d’esprit.
Mais pour nombre de musulmans britanniques, soutenir la cause palestinienne revient souvent à proclamer une identité religieuse au Royaume-Uni. Il n’y a en revanche aucune identification à la cause des millions de musulmans Ouïghours, persécutés par les Chinois. La guerre civile au Soudan, où des musulmans exterminent d’autres musulmans, ne fait, elle aussi, l’objet d’aucun débat.
Pour une majorité de Juifs, cependant, le sionisme demeure la seule importante issue possible au problème juif. Et les Juifs britanniques sont résolument pro-israéliens, malgré souvent leur opposition au gouvernement Netanyahou et à la campagne de colonisation en Cisjordanie.
Qu’y a-t-il, à votre avis, de si insupportable pour le monde, dans ce retour à Sion d’un peuple d’une si petite importance numérique ?
Le retour des Juifs à Sion ne s’inscrit pas dans la théorie conventionnelle des mouvements de libération nationale. Différent de tout autre émancipation, nombreux sont les membres de l’extrême gauche qui le considèrent donc comme condamnable.
Ceux qui appartiennent à l’extrême gauche préfèrent voir les Juifs comme une communauté purement religieuse, même si faisant suite à la chute de Napoléon, la judéité signifiait également la culture juive, la langue juive, la littérature juive ainsi que le judaïsme. Les premiers sionistes ont été les premiers à soutenir que les Juifs étaient une nation – une nation en exil.
Lors du premier congrès sioniste en 1897, Max Nordau, proche allié de Herzl, a mentionné les « grands hommes de 1792 » de la Révolution française. Il a fait remarquer que les révolutionnaires, comme Robespierre, Saint-Just et Danton avaient libéré les Juifs par souci de logique et non en raison de la réalité à laquelle les juifs étaient confrontés. C’est bien ce qui est à l’origine du problème juif depuis : la différence entre la théorie et la pratique.
Cet universalisme espéré (Une vision sociale reposant sur l’universalisme, comme disait un certain Théodore Herzl à propos du sauvetage de tous les peuples) dans lequel une majorité de juifs européens s’étaient inscrits, ne s’est-il soudainement pas retourné tête-bêche, à nos dépens ?
À l’heure où des guerres se déroulent à Gaza et en Ukraine, il est très difficile de parler d’amour et de paix, dans un esprit universel. Cependant, les Juifs n’ont pas pour autant oublié leurs penchants universalistes. En effet, plus de 75 % des Juifs américains voteront pour Biden et non pour Trump. Les Juifs sud-africains se sont opposés à l’apartheid. Alexei Navalny avait plusieurs assistants juifs, dont Leonid Volkov qui a été récemment attaqué à coups de marteau en Lituanie par les voyous de Poutine.
En 1917, la déclaration Balfour et la révolution d’Octobre en Russie ont eu lieu à quelques jours d’intervalle. D’une certaine manière, elles ont symboliquement indiqué la voie à suivre pour l’avenir – particularisme ou universalisme. En 2024, la plupart des Juifs ont opté pour le particularisme et les intérêts nationaux. D’autres ont choisi une voie différente, avec l’universalisme comme modèle. Cet universalisme peut-il être contre-productif pour les intérêts juifs ? Oui, bien sûr. Mais cela fait aussi partie de nos traditions et de notre histoire que de défendre la justice pour les opprimés et persécutés.
À force d’envisager un retour à la raison, faisant peu de cas de la propagande ou des prétendus complots, à force de croire à la possibilité de convaincre par la connaissance, nous Juifs Européens, ne sommes-nous pas enfermés depuis ces 20 dernières années dans un ghetto intellectuel fallacieux ? Cheminant en parallèle avec des courants, des mondes, des dérives qui allaient de toute évidence nous percuter ?
L’inattendu nous saisit toujours. Qui aurait cru que Poutine envahirait l’Ukraine ? Qui aurait pensé que les hauts-échelons politiques et militaires israéliens auraient permis au Hamas de commettre un pogrom de l’ordre du nettoyage ethnique, comme ce 7 octobre 2023 ?
Seule la connaissance de l’Histoire juive nous sauve d’une immobilité pouvant entraver nos actions dans de telles situations. Nous savons précisément, parce que cela s’est déjà produit dans le passé, que cela peut tout à fait se reproduire dans le futur. C’est pourquoi nous devons rester lucides, et toujours être prêts, sans tomber dans la paranoïa.
Toujours dans What Do Zionist Believe ?, se dessine – il semble – deux conclusions, l’une :
« Le sionisme ne sera parvenu au bout de sa mission que lorsqu’il aura réparé le passé et ranimé le présent, lorsque les écuries d’Augias auront été nettoyées et qu’une société juste verra le jour en Israël ».
Et l’autre:
« Le sionisme est en partie responsable de la naissance du nationalisme palestinien. S’il en a la possibilité, il sera aussi responsable de la naissance de l’État palestinien »[1].
Depuis ce 7 octobre, et ce que vous y observez, conclurez-vous encore ainsi ?
Oui, j’utiliserais les mêmes mots. Une récente enquête menée auprès de plus de 4 000 Juifs britanniques a révélé que 79 % d’entre eux n’approuvaient pas Netanyahou. Bibi Netanyahou aura à répondre de nombre de dérives, incluant sa tentative de saper l’indépendance du pouvoir judiciaire en Israël, mais aussi de son inaptitude à protéger les Juifs ce 7 octobre.
Le nationalisme juif et le nationalisme arabe sont nés à la même période de l’histoire, avec des revendications sur un même territoire. La logique serait donc la partition et la division du territoire en deux États. Aujourd’hui, en pleine guerre à Gaza, la perspective d’un État palestinien semble s’évanouir et la réconciliation entre les deux peuples s’éloigner. Mais nul ne sait de quoi demain sera fait ?
Est-ce que ce 7 octobre et ses conséquences modifieront vos écrits, dans leur forme comme dans leur fond ? S’adresseront-ils au même public ?
Mes écrits politiques tentent toujours de faire front à la réalité, et les événements du 7 octobre en feront inévitablement partie. Mes écrits universitaires, principalement historiques, resteront, je l’espère, objectifs et ne tomberont pas dans le plaidoyer. C’est à mes lecteurs, il me semble, de décider si j’ai réussi.
Cette solitude effarante des juifs, en Galouth comme en Israël, ne nous condamnerait-elle pas à regarder, « paralysés », notre destin miraculeusement renaissant s’absorber encore « dans la blessure tragique du judaïsme[2] » ?
Je ne pense pas que les Juifs soient « paralysés ». Nous sommes en diaspora et non en Israël. Nos tâches sont donc très différentes. Cela ne signifie pas cependant que les Juifs de la diaspora soient impuissants.
Comme l’a dit un jour Ben-Gourion, « ce qui compte, ce n’est pas ce que disent les non-Juifs, mais ce que font les Juifs ». Il est donc capital que les Juifs se défendent.
Avec la même énergie que les juifs d’avant-guerre, dans leur exceptionnelle énergie, leur jaillissement de génie politique et spirituel en quête d’un monde juste et adapté, mais peut-être avec une désormais plus sûre lucidité, ne faut-il pas repenser collectivement la Nation Juive ?
Le premier écrivain sioniste, Moses Hess, a rompu toute amitié avec son ami et collègue Karl Marx. Il considérait les Juifs comme une nation en exil qui parviendrait un jour à revenir et à se reconstituer comme nation sur sa propre terre. Il considérait Marx comme un esprit étroit et acculturé – sans connaissance ni compréhension véritable de la condition juive. Hess, qui est considéré comme « le père du sionisme socialiste », a également compris que se détourner de la gauche non juive, ne devait pas obligatoirement impliquer que l’on se voue à la droite juive.
Les Juifs d’aujourd’hui sont – à mon avis – une nation à la fois en Israël et dans la diaspora. Au Royaume-Uni, notre nationalité est juive mais notre citoyenneté est britannique.
« Le prophète Isaïe annonce l’érection de la future maison de prière construite pour toutes les nations. Commençons par en faire la maison de la vie, des retrouvailles et de la louange pour tous les juifs… Le reste du monde suivra ». (Claude Vigée, « Où es-tu ? »). Ne sommes-nous pas en passe de le comprendre ?
Claude Vigée a vécu l’occupation nazie en France, il a enseigné à l’Université hébraïque de Jérusalem pendant quarante ans. Sa poésie est à la fois spirituelle tout en encourageant à universalisme. Uri Zvi Greenberg, qui a été témoin de l’assassinat des Juifs après la Première Guerre mondiale – et a lui-même fait l’objet d’un simulacre d’exécution -, est peut-être l’opposé de Claude Vigée. Tous deux ont connu la terreur, mais Vigée n’a pas abandonné l’universalisme, contrairement à Greenberg.
Le commentaire de Vigée selon lequel les Juifs sont essentiellement une lumière pour les nations demeure une vocation juive, même en ces temps sombres. Néanmoins, après ces événements du 7 octobre, il devient difficile naturellement pour un grand nombre de soutenir une si noble idée.
Site du Professeur Colin Shindler
https://colinshindler.co.uk/category/book-reviews/
* Murmuration est un anglicisme désignant une nuée d’oiseaux ondulant dans les airs, virevoltant ensemble vers un même horizon.
Notes
[1] In What Do Zionists Believe ? « Zionism will have completed its task only when it repairs the past and refurbishes the present, when the Augean stables are cleaned and when a just society arises in Israel ».
« Zionism was partly responsible for the birth of Palestinian nationalism. Given the opportunity, i twill also be responsible for the birth of the Palestinian state »
[2] Questionnement, à propos des Israéliens, emprunté à l’écrivain David Grossman.
Version anglaise
Interview with Colin Shindler for Tribune Juive
Professor Colin Shindler, you have, for the first time, opened up a disciplinary field that did not exist before you. Indeed, you are surprisingly the very first Professor of Israel Studies in the United Kingdom. You are also the President and Founder of the European Association for Israel Studies. You have already written twelve books, all of which are essential reading for their impeccable rigour of analysis and indisputable lucidity. Your field of research also includes the Israeli Right. A History of Israel in 100 Cartoons was published last year by Cambridge University Press.
You are the editor of the Routledge Handbook on Zionism – to which forty scholars have contributed. It will be published in June 2024.
Thank you for all your compliments! I usually dive under the table when people utter such praises but I hope that I have made a contribution to the furthering of Israel Studies.
Professor Colin Shindler, before going into the body of your work and your books of such great accuracy, I would first like to know your opinion on the slope that England seems to be sliding down. – All eyes are currently on London in particular, where pro-Hamas demonstrations are becoming plentiful and where appalling anti-Semitic slogans are being chanted, awakening our worst nightmares:
There is no violence against British Jews in London but clearly there is a sense of dislike, distaste and blame directed towards Jews in varying degrees especially when the media coverage about the complexity of the war in Gaza is so superficial and abbreviated. It is particularly difficult for Jewish students at university who have to quickly educate themselves about Jewish history and Israeli history in order to counteract intimidatory rhetoric.
The slogan ‘From the River to the Sea’ was originally chanted by pro-Palestinian marchers each Saturday. The irony is that it means ‘a Greater Palestine’ – and thereby a refusal to consider a two state solution. For many Jews, this also means a judenrein Palestine. There is a clear ambiguity about the meaning of this slogan and the British authorities have banned it at such demonstrations under threat of prosecution.
We can clearly see that the anti-Semitic violence began on 7 October, not when Israel entered Gaza. How do you explain this parading enthusiasm for the disappearance of Israël ?
There is a profound ignorance about the Israel-Palestine conflict amongst the demonstrators. Palestinian Islamism regards twenty-first century Jews as being one and the same as Jews in seventh century Arabia during the time of the Prophet. Whereas it was possible for figures such as Yitzhak Rabin to make peace with Palestinian nationalists such as Yasser Arafat, Hamas and Islamic Jihad have no intention of negotiating with Israel. They conducted a suicide bombing campaign to wreck the Oslo Accords between Israel and the Palestinians. Both Israelis Jews and Arabs were killed by Hamas. Israeli and Palestinian Islamists such as Yahya Sinwar undoubtedly wish to root out Israel as a poisonous weed from the Middle East.
The far Left – the political ostrich of our time – believes that the reactionary Hamas will eventually become part of the Left. It is willing to flirt with ‘revolutionary antisemitism’ often disguised as antagonism to Zionism to achieve that end.
From France, it’s difficult to understand the passivity of the authorities?
The British authorities have a difficult balancing act between allowing democratic protests on behalf of the Palestinians and preventing intimidation of British Jews. There was a huge demonstration against antisemitism by hundreds of thousands of Jews and their supporters a few months ago.
This passivity, or even deliberate encouragement, in the face of increasingly strong, violent, proselytising, zealot and, of course, anti-Semitic rhetoric in London’s neighbourhoods and mosques, has now been going on for decades. As the conspiracy theorists say, who benefits from the crime?
Most Muslims naturally support the Palestinians whereas most Jews support Israel. The British authorities are quick to act against Muslim clerics who wish to radicalise congregants or those who utter anti-Jewish comments, dressed up in religious language. Reports which condemn outrageous comments regularly appear in the Times newspaper. Some rabbis and imams work quietly together in the hope of repairing the rift between communities.
Unregulated social media however is another story.
Yet it was in this context of history in general and of the history of British Jews in particular that a figure as universally loved and admired as Rabbi Jonathan Sacks emerged. Is it the paradoxes of this country? Or of our times? What is the situation of British Jews today? How do they feel today?
The Jewish community in Britain is a fighting community. They have been in the UK since the English Republic of Oliver Cromwell allowed them to enter in 1656 after centuries in exile. British Protestantism unlike Catholicism in Europe has generally been tolerant and welcoming to its Jewish community. Jews know when to pack their suitcases and leave – that moment has not been reached in the UK.
Your book A History of Modern Israel, published in 2008 by Cambridge University Press, is not only a treasure trove of information, facts and historical events, but also of essential reflections on the real and symbolic construction of the country. You can feel how each word is weighed up, stretched between what you say and how it might be interpreted. Who was this book aimed at? Especially students? What were your surprises when it was published, both good and bad?
Thank you. My books are usually aimed at the interested reader. This can include both students and general readers. I am told that my books are accessible for all – and this is gratifying.
While I have no expectations from readers or reviewers, you feel that you have done something worthwhile if there is genuine praise.
What weight does a book like this, so finely thought out and with such responsible intelligence, have when we know, even more today in the vast turmoil of university wokisms, that the call to hate Israel is not supported by reason or by an analysis of history? You mentioned the refusal of a complex narrative about colonisation or decolonisation, but today, years after writing this academic work, do you still think it’s a refusal of complexity? Is it not a very minor part of today’s infatuation?
The narrative on parts of the British Left regarding Jews as settler-colonists was present before the Six Day war of 1967 and before the settlement drive. Many wish to return not to the situation in 1967 but to the situation in 1948.
Some were influenced by the Soviet antisemitism of the 1960s.
Views are forged by many other factors outside of books. I had many students from all works of life taking my university course on the Israel-Palestine conflict. They arrived believing it to be a black or white, right or wrong, question. They left at the end of the course understanding the tragic complexity of it. I would tell my students not to accept my version of history but to educate themselves about the Israel-Palestine conflict. One of my Arab students who took my MA in Israel Studies wrote excellent essays about Vladimir Jabotinsky. You can only speak and write for those in front of you but no one knows where your words will land and who they will influence.
Would your other book, What do Zionists Believe ?, which everyone without exception should own and know inside out, – masterpiece of accuracy, responding to all the absurdities and contradictory statements that are thrust upon us day after day-, receive the same welcome today’s Britain? And in Europe more widely?
This was written almost twenty years and is really a primer – an introduction to Zionism, its many variants and its progenitors.
I wrote this because there was a real lack of understanding – a profound ignorance – about the origins and ideology of Zionism.
I had hoped that it would provide food for thought. In 2024, few wish to educate themselves about this subject. It is easier to make pejorative and superficial comments on social media.
What was the underlying, let’s say personal, motivation behind writing such a book, in which every word is weighed against the world and what is being claim so loudly ?
The Jews have always been stiff-necked outsiders, willing to be in a minority of one. I personally identify with this. In one sense, Zionism fits into this mindset. For many British Muslims, supporting the cause of Palestine is often a means of proclaiming a religious identity in the UK. There is no such identification with the cause of the million Muslim Uyghurs who are persecuted by the Chinese. There is no discussion about the civil war in Sudan where Muslims kill fellow Muslims.
For a majority of Jews, however Zionism remains the major solution to the Jewish problem. British Jews are strongly pro-Israel even if they oppose the Netanyahu government and the settlement drive on the West Bank.
What, in your opinion, is so unbearable for the world about the return to Zion of a people of such small numerical importance?
The return of the Jews to Zion does not fit into conventional theory about national liberation movements. Since it is different, many on the far Left believe that it must therefore also be wrong.
Many on the far Left preferred to view the Jews purely as a religious community but after the fall of Napoleon, Jewishness also meant Jewish culture, Jewish language, Jewish literature as well as Judaism. The early Zionists were the first to argue that the Jews were a nation – nation in exile.
During the first Zionist Congress in 1897, Max Nordau, Herzl’s close ally, spoke about ‘the great men of 1792’ of the French Revolution. He pointed out that the revolutionaries such as Robespierre, St. Just and Danton liberated the Jews for the sake of logic and not because of the reality that the Jews found themselves in. This has been at the root of the Jewish problem ever since – the difference between theory and practice.
Hasn’t this hoped for universalism (A social vision based on universalism, as a certain Theodore Herzl said about saving all peoples), in which a majority of European Jews had signed up, suddenly been turned on its head, at our expense?
At a time when wars are taking place in Gaza and Ukraine, it is very difficult to speak of love and peace in the spirit of universalism. Yet Jews have not forgotten their universalist inclinations, over 75% of American Jews will vote for Biden and not for Trump. South African Jews stood up against apartheid. Alexei Navalny had several Jewish aides including Leonid Volkov who was recently attacked with hammers in Lithuania by Putin’s thugs.
In 1917, the Balfour Declaration and the October Revolution in Russia took place within days of each other. In one sense, they symbolically pointed to way to the future – particularism or universalism. In 2024, most Jews have chosen particularism and national interests. Others have chosen a different path whereby universalism comes first. Can universalism be counter-productive to Jewish interests? Yes, of course it can. But it is also part of our traditions and history to speak out for justice for the oppressed and persecuted.
By illusion of envisaging a return to reason, paying little heed to propaganda or alleged conspiracies, by hope of believing in the possibility of convincing through knowledge, have we European Jews not been locked up in a fallacious intellectual ghetto for the last 20 years? Walking in parallel with events, worlds and excesses that were obviously going to hit us?
The unexpected always hits us. Who would have believed that Putin would invade Ukraine? Who would have thought that the Israeli political and military echelons would have allowed a situation whereby Hamas could commit a pogrom of ethnic cleansing on 7 October 2023?
Only a knowledge of Jewish history can save us from being rendered immobile and subsequently prevented from taking action in such situations. We know that because it happened in the past, it can happen in the future. Therefore we should always be prepared without being paranoid.
In What Do Zionists Believe? two conclusions are drawn, one: « Zionism will have completed its task only when it repairs the past and refurbishes the present, when the Augean stables are cleaned and when a just society arises in Israel.”
And :
“Zionism was partly responsible for the birth of Palestinian nationalism. Given the opportunity, it will also be responsible for the birth of the Palestinian state ».
Since 7 October, and its consequences, will you still conclude with the same words?
Yes, I would use the same words. In a recent scientific survey of over 4,000 British Jews, 79% of British Jews did not approve of Netanyahu. He has much to answer for including the attempt to undermine the independence of the judiciary in Israel and the failure to protect the Jews on 7 October.
Both Jewish nationalism and Arab nationalism came about during the same period of history with claims over the same territory. The logic therefore is partition and to divide the territory into two states. At present in the midst of war in Gaza, the prospect of a Palestinian state seems far off and reconciliation between the two peoples even further. But no one knows what tomorrow might bring?
Will 7 October and its aftermath change the form and content of your writing? Will they be aimed at the same audience?
My political writings always try and face the reality so inevitably the events of 7 October will come into it. My academic writings which are mainly historical will, I hope, remain objective and not descend into advocacy. It is up to my readers to decide whether I have been successful.
Doesn’t this appalling solitude of the Jews, in Galut as in Israel, condemn us to watch « paralysed » as our miraculously reborn destiny becomes absorbed « in the tragic wound of Judaism »? (as said David Grossman about Israelis)
I don’t think that the Jews are paralysed. We are in Diaspora not in Israel. Our tasks are very different therefore. It does not mean that Diaspora Jews are powerless.
As Ben-Gurion once commented ‘it is not what the non-Jews say but what the Jews do that matters.’ It is therefore important for Jews to stand up for themselves.
With the same strength as the pre-war Jews, with their exceptional energy, their outpouring of political and spiritual genius in search of a just and appropriate world, but perhaps now with a more certain lucidity, shouldn’t we collectively rethink the Jewish Nation not just as a state but as a whole?
The early Zionist writer, Moses Hess, broke with his friend and colleague, Karl Marx. He understood the Jews to be a nation in exile that would eventually return and reconstitute themselves as a nation in their own land. He saw Marx as narrow-minded and acculturated – someone who lacked any real insight into the Jewish condition. Hess who is regarded as ‘the father of socialist Zionism’ further understood that turning away from the non-Jewish Left did not mean turning to the Jewish Right.
The Jews today are – in my opinion – a nation both in Israel and in the Diaspora. In the UK, our nationality is Jewish but our citizenship is British.
The prophet Isaiah announces the building of the future house of prayer for all nations. Let us begin by making it the house of life, reunion and praise for all Jews… The rest of the world will follow ». (Claude Vigée, “Où es-tu ?”[1]). Are we not on the way to understanding this?
Claude Vigée experienced the Nazi occupation of France and taught at the Hebrew University for forty years. His poetry is both spiritual and inspiring in a universalist sense. Uri Zvi Greenberg who had witnessed the killing of Jews after the First World War – and was the subject of a mock execution himself – was perhaps the polar opposite of Vigée. Both experienced terror but Vigée did not abandon universalism whereas Greenberg did.
Vigée’s comment of the Jews essentially being a light to the nations remains a Jewish aspiration even in these dark times but it is clear that many will find it difficult to relate this noble idea after the events of 7 October.
Entretien mené par Daniella Pinkstein
Notes
[1] « Le prophète Isaïe annonce l’érection de la future maison de prière construite pour toutes les nations. Commençons par en faire la maison de la vie, des retrouvailles et de la louange pour tous les juifs… Le reste du monde suivra »
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