Archives. « Mitterrand, Israël et les juifs ». Par Henri Hajdenberg. 17 janvier 1996

François Mitterrand discutant avec le président du ‘Renouveau juif’ Henri Hajdenberg au congrès ’12 Heures pour Israël’, le 27 avril 1980, au Pavillon de Paris à Paris. Photo Marc BULKA/Gamma-Rapho via Getty Images

FRANÇOIS MITTERRAND emporte avec lui un secret : le mystère de ses liens avec le judaïsme et Israël. Lettré, humaniste, il dialogue avec Elie Wiesel de textes bibliques et s’attache Georges Dayan et Jacques Attali comme conseillers et confidents à la manière de Pharaon avec Joseph. Son éducation catholique, ses engagements de jeunesse, son passé, ses fidélités révèlent un homme d’une complexité rare dans ses relations avec le monde juif.

François Mitterrand appartient à cette génération qui a vu renaître Israël après la Shoah. Dès 1947, contre l’avis de son propre gouvernement et les pressions des Britanniques, il s’engage pour que l’Exodus puisse accoster à Sète. Onze fois ministre de la IVe République, il est de tous les gouvernements qui connaissent l’âge d’or des relations entre la France et l’Etat hébreu. Après 1967 et le retournement brutal de la diplomatie du général de Gaulle, il développe ses relations avec Israël, où il se rend à plusieurs reprises, y nouant des liens amicaux et durables avec les dirigeants de la gauche sioniste : Golda Meir, Itzhak Rabin et surtout Shimon Pérès.

Il critique dans les années 1974 à 1980 l’ostracisme politique de Valéry Giscard d’Estaing à l’égard d’Israël, et la livraison d’uranium enrichi à l’Irak. Contrairement à la diplomatie française, il applaudit le traité égypto-israélien et dénonce le boycottage économique de l’Etat hébreu. Parallèlement, pendant cette période, il est présent aux côtés des « refuzniks » de l’ex-URSS, et manifeste sa solidarité avec la communauté juive éprouvée après l’attentat de la rue Copernic.

Elu président de la République, il décide immédiatement de se rendre en visite officielle en Israël et provoque ainsi un événement à l’échelon européen. Son discours à la Knesset en mars 1982 fera date. Face aux parlementaires israéliens et à Menahem Begin, il clame sa vision de la paix : la sécurité pour Israël et le droit à une patrie pour les Palestiniens. Il ne fait pas scandale car il se prononce en ami, tient ce discours à Jérusalemn précisément, et le répète dans les capitales arabes.

Entre « l’ami d’Israël » et les juifs, une déchirure s’est produite.

Il subsistera un voile sur son image

L’intervention israélienne au Liban et le sauvetage par la France d’Arafat refroidissent, un temps seulement, ses rapports avec les dirigeants israéliens. Finalement, le regret profond de François Mitterrand aura été de ne pouvoir jouer véritablement un rôle de médiateur entre Israéliens et Palestiniens. Le 9 septembre 1993, à l’annonce des accords Rabin-Arafat, il me confiait avoir été particulièrement marqué par certaines manifestations de la communauté juive : les « 12 heures pour Israël » en 1980, et la foule immense qui l’avait accueilli ; les réactions virulentes lors de la réception d’Arafat à l’Elysée en 1989. Il pensait au contraire avoir déjà trop tardé à cette invitation. Et pourtant il devait convenir que « le bon moment en politique est primordial [et que] c’était certainement trop tôt alors pour un rapprochement israélo-palestinien ». Il ajouta : « Le bon moment est enfin venu. » « Laisser le temps au temps », sa célèbre formule, l’homme féru d’histoire croyait pouvoir en prendre la mesure. Mais le résistant n’a pas compris que le temps n’efface pas toute une époque de souffrance. L’instauration des lieux de mémoire, l’inauguration du Musée de la maison d’Izieu, l’institution de la Journée nationale commémorative des rafles chaque 16 juillet, ne feront pas oublier la tombe fleurie de Philippe Pétain, l’intervention dans le dossier Papon, le refus d’assumer toute responsabilité de l’Etat pendant la période de Vichy, et surtout le maintien inacceptable de relations personnelles avec René Bousquet, principal responsable français de la persécution et de la déportation des juifs de France.

Entre « l’ami d’Israël » et les juifs une déchirure s’est produite. Il subsistera un voile sur son image. Les causes profondes de ses relations paradoxales avec le monde juif et de ses fidélités contradictoires méritent de nouveaux éclairages pour que soit mieux comprise l’évolution de François Mitterrand dans son temps.

© Henri Hajdenberg

https://www.lemonde.fr/archives/article/1996/

Henri Hajdenberg, avocat et militant, a été président du Crif de 1995 à 2001. Il a suscité le discours de Chirac reconnaissant la responsabilité de la France dans la déportation des Juifs sous Pétain. S’inscrivant dans le processus de paix pour favoriser un rapprochement entre Juifs et Arabes, il a rencontré les dirigeants d’Égypte, Jordanie, Tunisie, Algérie, Maroc, et plusieurs fois le leader palestinien Yasser Arafat. Ce livre est le récit de son  parcours.

Il publie en 2023 aux Éditions Hermann le récit de son activité de militant: « Une voix politique juive française »

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