CHRONIQUE – Chaque semaine, pour Le Figaro, Samuel Fitoussi pose son regard ironique sur l’actualité. Aujourd’hui, il présente sa lettre de candidature à la direction de Sciences Po, avec un plan bien précis pour rendre cette école plus inclusive.
Monsieur, Madame, Non-Binaire,
Je me permets de vous adresser ma lettre de candidature pour le poste de directeur de Sciences Po, vacant depuis peu. Contrairement à certains réactionnaires, je suis convaincu que Sciences Po n’est pastrop, mais insuffisamment progressiste. J’ai donc élaboré un plan ambitieux pour relever Sciences Po, pour faire de l’institution un bastion des valeurs de tolérance, d’ouverture et d’inclusion.
Le premier chantier sera celui de la diversité, trop peu représentée à Sciences Po. Un sondage récent révélait que 55 % des élèves avaient voté Jean-Luc Mélenchon au premier tour de l’élection 2022. Pour mieux accueillir les minorités idéologiques, j’instaurerai une discrimination positive en faveur des étudiants de droite et d’extrême droite. Bien sûr, cela engendrera certaines injustices individuelles, mais c’est la seule solution pour rattraper les torts historiques passés.
À terme, lorsque les mentalités auront suffisamment évolué, les quotas ne seront plus nécessaires. Nous bénéficierons tous de cette évolution, puisque la diversité est une richesse. À l’occasion du « mois de la diversité et de l’inclusion », les étudiants conservateurs seront invités à témoigner des discriminations dont ils sont l’objet (table ronde : « Déconstruire les préjugés droitophobes »), tandis que des personnalités longtemps invisibilisées à Sciences Po seront mises à l’honneur : l’École de journalisme recevra Pascal Praud, l’École de droit accueillera Gilles William Goldnadel, et l’École d’affaires internationales proposera un dialogue entre Giorgia Meloni et Viktor Orban, animé par Renaud Camus.
Le deuxième chantier sera celui du combat contre l’ethnocentrisme. Depuis quelques années, Sciences Po semble enseigner à ses étudiants que l’Occident est au centre du monde, que les autres cultures et civilisations sont indignes d’être étudiées. Sous ma direction, cela changera. Dans un premier temps, je m’assurerai que les cours de postcolonialisme fassent la part belle aux conquêtes coloniales musulmanes, à l’inféodation des Kurdes, des Kabyles, des Coptes, des Berbères ou des Soudanais. Dans un second temps, je modifierai les programmes d’histoire. Les professeurs ne pourront plus invisibiliser les « exploits » de la civilisation arabo-musulmane : ils devront rappeler que les Arabes ont constitué leur réseau de traite négrière bien avant les Européens et que nous leur avons injustement dérobé leur statut de pionniers (et injustement imposé notre idéologie abolitionniste).
Enfin, j’éveillerai les élèves à la diversité des pratiques et des croyances qui foisonnent hors de nos frontières. Grâce à un atelier immersif (« Découvrir l’Autre »), les étudiants pourront enfiler un masque de réalité virtuelle pour simuler la vie en tant qu’homosexuel en Algérie ou femme à Gaza. Ceux qui retireront le masque en premier seront accusés d’islamophobie. Sous ma présidence, Sciences Po redeviendra une fenêtre ouverte sur le monde.
Le troisième chantier sera celui de la lutte contre la désinformation, fléau que l’institution a complaisamment laissé prospérer. Sous ma direction, les professeurs qui affirmeront que le genre est exclusivement une construction sociale seront licenciés. Ceux qui expliqueront qu’il existe plus de dix identités de genre seront pris en charge psychiatriquement. Bien entendu, les discours complotistes ne seront pas tolérés : ni ceux sur la « terre plate », ni ceux sur les « illuminati », ni ceux sur le « racisme systémique ». Avec moi, Sciences Po renouera avec la science et la raison.
Je vous prie d’agréer l’expression de mes sentiments les plus distingués.
PS : Dans le cas où ma candidature serait retenue, veuillez noter que je ne suis disponible qu’à partir de septembre prochain, ayant pris des engagements en mai (Roland-Garros), en juin (l’Euro), en juillet (le Tour de France et Wimbledon) et en août (les JO). Merci de votre compréhension.
© Samuel Fitoussi
Source: Le Figaro
Le programme est ambitieux, comme celui du Prof. Quincy Adams Wagstaff dans Horse Feathers (1933), l’air est pur, la route est large, le clairon sonne la charge.
Comprenne qui pourra et merci pour cette réalité alternative.