Festival du cinéma français en Israël: Lisa Mamou reçoit Caroline Boneh, Directrice d’Eden Cinéma

Caroline Boneh, Directrice de la société de distribution et de production « Eden Cinéma »

À l’occasion de la 21ème édition du Festival du cinéma français en Israël :

Rencontre avec Caroline Boneh, la Directrice de la société de distribution et de production « Eden Cinéma », qui est spécialisée dans la distribution de films francais en Israël. Passionnée par le cinéma français, sa diversité et sa créativité, l’équipe d’ »Eden Cinéma » avec la coopération de l’ »Institut Français » et d’ »Unifrance Film », propose depuis 2004 l’exposition d’une cinématographie dynamique à travers le Festival du Cinéma Français. 

Le Festival du cinéma français en Israël se déroulera cette année du 25 mars au 1er avril 2024 dans les principales cinémathèques d’Israël.


Tribune Juive : L’année dernière, le Festival du cinéma français a fêté ses 20 ans d’existence, 20 ans au cours desquels il s’est affirmé comme l’un des festivals les plus appréciés du public en Israël; avez-vous hésité à maintenir cette 21ème édition du festival en raison de la guerre ?

Caroline Boneh : C’est toujours un plaisir de mettre en place ce Festival en collaboration avec l’Institut Français d’Israël et Unifrance Films, celui-ci est devenu un Rendez-vous incontournable, une semaine particulière durant laquelle on a l’impression de se retrouver un peu en France à travers tous les talents qui ne cessent jamais de nous étonner par leur créativité.
Bien sûr, concernant la guerre, nous nous sommes dit: « mais que se passera-t-il en mars 2024, c’est loin, très loin devant la réalité ». Mais notre élan nous a poussé à imaginer le futur et à se mettre à travailler sur cette 21ème Edition.

Tribune Juive : Il est vrai qu’une des phrases les plus reprises sur les réseaux sociaux depuis le 7 octobre est « Am Israel Hai », soit « Le peuple d’Israël est vivant », plus qu’un « slogan » c’est un état d’esprit, une des caractéristiques les plus frappantes des israéliens et plus globalement de la religion juive, soit toujours privilégier la vie même dans les périodes et les épreuves les plus obscures, toujours chercher la lumière. Pensez-vous qu’ils seront nombreux (comme chaque année) à chercher dans l’obscurité des salles de cinéma, la lumière et la magie des projecteurs?!

On ne peut pas totalement occulter la proportion des choses de la vie, tout simplement, j’espère de tout cœur que ces moments d’évasion, que ces voyages cinématographiques offriront un « ailleurs », le temps d’une projection.

Tribune Juive : À quel type de public le festival s’adresse-t-il ? Il est vrai qu’il y a beaucoup de français et plus largement de francophones en Israël; vos spectateurs le sont-ils en majorité ? Cela varie-t-il selon les différentes cinémathèques ?

J’ai toujours travaillé tout d’abord en direction du public israélien, cela a été parfois un défi mais toujours, au bout du compte, une expérience enrichissante . 
Aller vers « l’autre » dans le sens où lorsque l’on découvre le pays de l’intérieur, on rentre dans une  « grande aventure » et cet effort-là est à mon sens primordial. 
Le public israélien est un public curieux, souvent très averti et nous faisons de notre mieux pour répondre à ses attentes mais aussi l’ inviter à découvrir de nouveaux talents. Avec les années, c’est un pari « réussi » le public étant principalement composé d’Israéliens, mais bien entendu, la population francophone est toujours au Rendez-vous et nous nous en réjouissons.  

Tribune juive : L’industrie du cinéma français a réussi à garder une place primordiale dans le paysage audiovisuel mondial et sa réputation n’est plus à faire. En Israël est-il plus difficile d’attirer un public jeune qui en majorité se tourne vers les blockbusters américains ?

La question des jeunes est toujours à double tranchant. Les jeunes vont-ils encore au Cinéma ? Oui mais pas seulement. Les plateformes et les offres qu’elles proposent ont drastiquement changé leur mode de vie et aussi le nôtre. 

Le Cinéma Français est d’une richesse incommensurable, des films de patrimoine aux nouvelles « têtes d’affiches », il séduit encore et toujours même les jeunes. Il est d’ailleurs intéressant de souligner qu’en Israël de nouveaux cinémas indépendants tenus par de jeunes israéliens programment des films d’auteur qui ne peuvent que faire « »rougir » les blockbusters américains ! Le Cinéma est un art qui suscite divertissement et réflexion, c’est un peu comme la littérature: finalement, on peut aussi bien aimer un « roman de gare » que Proust !

De notre côté, nous essayons toujours de proposer une sélection éclectique qui permet à toutes les générations de découvrir le meilleur du Cinéma Français de l’année.

Tribune Juive : Un festival se prépare en amont; votre sélection de films a-t-elle été faite avant ou après le 7 octobre ? L’avez-vous modifiée depuis ?

Le Festival se prépare un peu tout au long de l’année qui la précède et notre objectif est de donner une image juste de la société française a travers les films présentés. Certains films sont plus difficiles car ils dépeignent une France fracturée avec des enjeux et une réalité sociale parfois « brutale », voire douloureuse, mais il était pour nous important de présenter avant tout une sélection limpide, honnête et franche. Il n’y a pas de films sur lesquels nous avons hésité ou ou que nous avons retirés face aux évènements mais nous avons tout de même toujours gardé en tête de ne pas « heurter » ou « choquer » en raison de la situation.

Tribune Juive : Parlez-nous un peu de la programmation de cette 21ème édition, sa thématique, son fil conducteur. 

« La vérité » ! Vaste sujet ! Chacun porte le lourd fardeau de sa vérité et quel imbroglio lorsque celles des uns et des autres se rencontrent ! Et que bien entendu nous nous ne sommes, tout d’un coup, plus du tout d’accord sur leurs principes fondateurs.

Au programme, 15 films qui parlent de « vérité » à travers une poésie inhérente dans chacun de leurs récits.

Le premier film de Jean-Baptiste Durand, « Chien de la casse », auréolé du César du Premier film et du César du meilleur espoir masculin pour Raphael Quenard, dépeint avec finesse un triangle amoureux. Ce film est « un bijou », l’amitié est établie dès le début du film telle une vérité « invincible » entre Dog et Mirales. 

Ces deux amis d’enfance vivant dans une bourgade du sud de la France verront l’ordre des choses bouleversé par la venue au village d’Elsa.

« Le ravissement » d’iris Kaltenback est également une œuvre magistrale, inspirée du « Ravissement de Lol V. Stein » de Marguerite Duras, où Lydia, l’héroïne du film, va nous transporter dans la spirale du mensonge en s’appropriant sa vérité à tout prix.

Deux premiers films très prometteurs !

« Les Mathématiques, c’est la recherche de la vérité ! » retorque Marguerite, brillante élevé à l’ENS où une erreur au moment de sa thèse, va voir s’effondrer toutes ses certitudes. Tout quitter pour tout recommencer, un film fort et qui formule avec génie et brio la quête existentielle sur fond d’équations mathématiques.

« Que la fête continue » de Robert Guédiguian prodigue avec le même talent la lutte et l’engagement comme vérité universelle.

La vérité se décline à travers ce panorama de films où tour à tour, l’amour, l’amitié, le racisme, le dépassement de soi et la justice révèleront autant de thèmes que de questionnements. Et de citer Daniel Pennac : « Ce sont rarement les réponses qui apportent la vérité, mais l’enchainement des questions « .

Tribune Juive : Dans la sélection de cette année, sur les 15 films, 5 ont été réalisés par des femmes. L’industrie du cinéma français fait-elle enfin place aux réalisatrices ?

Oui, les femmes portent haut et fort leur talent et leurs droits, il était temps ! 
Ces films de femmes de Lisa Azuelos à Iris Kaltenback, Anna Novion en passant par Valerie Donzelli et l’immense Agnès Varda nous offrent des oeuvres fortes, subtiles et intelligentes.

Agnès Varda disait: « Je ne veux pas montrer mais donner l’envie de voir »;  c’est un hommage que nous lui rendu également à travers « Jacquot de Nantes » où elle retrace avec poésie et enthousiasme l’enfance de Jacques Demy. 

Tribune Juive : Le film de Denis Imbert « Sur les Chemins noirs », librement adapté du roman de Sylvain Tesson, sorti dans les salles en France en Mars 2023, ouvrira le Festival. Le personnage principal, Pierre, écrivain et explorateur, est interprété par Jean Dujardin qui est un des acteurs français les plus appréciés mondialement; est-ce une des raisons de l’avoir choisi en film d’ouverture? Par expérience, le public israélien est-il plus attiré par des « têtes d’affiche » ou fonctionne-t-il plutôt par le bouche à oreille ?

Nous nous attelons toujours à présenter en Ouverture un film dont les droits ont été acquis par un distributeur israélien afin de lui offrir une « belle passerelle » de communication à travers le Festival. « Sur les chemins noirs » sortira donc en salles en Israël à l’issue du Festival. Le succès d’un film est le fruit d’une recette bien mystérieuse, mais le public israélien, tout aussi attiré par une « tête d’affiche » garante de qualité, ne s’épargnera pas non plus d’aller chercher un film d’auteur original qui aura été par exemple récompensé lors de Festivals internationaux.

Entretien mené par Lisa Mamou

***

À propos de Caroline Boneh

« Installée en Israël depuis 1990, diplômée d’une double licence à la Sorbonne, de Communication et Sciences du langage et d’Études Cinématographiques et audiovisuelles, après avoir travaillé sur quelques tournages en France et en Israël, deux films, « Pour Sacha » d’Alexandre Arcady et « La femme du déserteur » de Mikhal Bat Adam, seront des déclencheurs de mon arrivée en Israël, prévue pour quelques mois et qui dure … depuis plus de 30 ans.

Apprendre la langue, apprivoiser une nouvelle vie, un nouveau pays m’orienteront par chance vers l’ »Institut Français » où j’ai travaillé 5 années en tant que Responsable des évènements culturels. C’est en 2001 que je crée ma propre structure, « Eden Cinema Ltd », en tant que « Distributrice de films français » et Productrice du « Festival du Film Français » en partenariat avec l’ »Institut Français d’Israël » et « Unifrance Film ». 

Déjà 21 ans que travaillons avec passion et que le Cinéma Français redore son blason sur les écrans Israéliens ! Nous sommes très fiers de contribuer à son rayonnement ».

Caroline Boneh


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