
« La longue insomnie du 7 octobre ». Delphine Horvilleur répond à Ruben Honigmann sur Akadem
Au moment où Israël est devenu le juif des Nations et alors que les juifs de diaspora sont plongés dans une grande solitude, peut-on juste demander aux voix juives de France de mesurer leur verbe et de ne pas injustement jeter l’opprobre publique sur « beaucoup » de leurs coreligionnaires.
J’écris cela parce que j’ai visionné l’interview de Delphine Horvilleur sur le site d’Akadem, intitulée « la longue insomnie du 7 octobre », dont j’accompagne ce post d’un extrait.
« J’assiste, il faut être capable de le dénoncer, chez beaucoup de juifs comme un aveuglement, une histoire qu’on se raconte, un manque d’empathie, une contextualisation qui souvent, à mon sens, est aussi abjecte que celle à laquelle on a assisté après le 7 octobre ».
La comparaison est indigne -abjecte était déjà pris-, et la stigmatisation de ces « beaucoup de juifs » ravageuse dans la bouche d’une figure juive très en vue dans les médias nationaux. « Beaucoup de juifs » assomme. Qui? combien? d’où? de sa communauté? de ses fréquentations? sondage Ifop? une rumeur, un ouïe dire? en yiddish? en ladino? en réseaux sociaux? Nous ne saurons pas, juste « beaucoup ». Je m’abstiendrai d’exposer frontalement le sous texte que je devine aux premières minutes de l’interview intégrale.
Plus avant, dans une posture en appui instable sur la Meguilah d’Esther -à quelques jours de la fête de Pourim-, Delphine Horvilleur propose cette interprétation de la Meguilah:
« Que nous dit la meguilah ?(…) que font les juifs quand ils sont en situation d’exercer le pouvoir? Ils trucident… une ville entière. Et comme si ça ne leur suffisait pas, ils demandent l’autorisation d’en rajouter.»… Et de poursuivre « qu’est ce que c’est d’exercer le pouvoir de façon éthique? »
Je suis sûr que les enfants de Sderot ou d’Ashkelon qui reçoivent des rockets à longueur d’années, que les 1200 morts du 7/10, et encore les 240 otages captifs ou libérés, aimeraient bien connaître la réponse.
Bien sûr, il n’y a pas de « mais » acceptables pour s’abstenir de pleurer les victimes civiles innocentes de cette guerre, juives, musulmanes ou chrétiennes. Et bien sûr aussi, la destruction du Hamas et la neutralisation du Hezbollah, conditions essentielles de la survie d’Israël et de l’émancipation des palestiniens, nous placent devant un choix impossible dont nous devons, chacun, assumer la réponse. Pour ma part, entre la tombe ou le retour en exil, je choisis l’amputation d’une partie de mon humanité pour survivre debout et me donner une chance de la retrouver sur le chemin. Parce que je chéris la vie au delà de tout, par respect pour mes parents qui me l’ont donnée, pour ce fils que j’espère accompagner longtemps.
Il y a une putain d’hypocrisie à faire la leçon à Israël en lui demandant de mettre la pédale douce sur sa souveraineté et sa sécurité, quand nous savons tous que ceux qui se battent là-bas meurent aussi pour nous, ici. Que nous soyons hostiles à son gouvernement (c’est mon cas) ou pas. Ne pas le comprendre relève d’une lecture anémiée de l’histoire, figée à jamais dans une nostalgie basique et victimaire du juif de diaspora? Sauf à penser sauver sa mise, les apparences. Aucune insomnie d’ici, aussi longue soit-elle, ne saura exister devant la douleur permanente de ces familles d’otages, de celles qui, à jamais, ont perdu leurs êtres les plus chers.
Il y aurait encore long à écrire et à décrypter sur cette interview, mais le moment ne s’y prête pas. Parce que les temps qui viennent s’annoncent très sombres, essayons, même dans le débat, de faire attention à l’autre, de penser ce que nous renvoyons.