Tribune 8 mars : Lettre à Simone Veil par Olivia Cattan

Chère Simone, 

Depuis le 7 octobre et le déferlement de haine qui a suivi, je n’ai pas eu envie de parler à grand monde et je me suis terrée, depuis, dans le silence et le recueillement. S’il faut savoir parler pour défendre ses idées, il s’agit d’apprendre à se taire lorsque les mots se heurtent à des hordes d’idéologues et des meutes imbéciles. Mais l’entrée de l’IVG dans la Constitution m’a poussée à vous écrire. Vous, qui avez toujours été une source d’inspiration et de réconfort.

Malgré mon besoin de prendre de la hauteur, mon esprit s’échauffe depuis plusieurs jours. Vous me connaissez, ma militance finit toujours par reprendre le dessus sur mon pessimisme viscéral. Vous seule savez les raisons profondes de mon engagement contre les violences faites aux femmes. Vous avez été l’une des rares à qui j’avais osé me confier sur les violences et le viol que j’avais subis. Je vous avais tout raconté lors de notre rendez-vous à votre domicile, et nous avions partagé une conversation à cœur ouvert que je garderais à jamais dans l’intimité de mon âme. Je me rappelle ce moment dans le couloir lorsque j’étais arrivée et que je n’osais pas vous regarder dans les yeux, moi la petite scribouillarde qui venait d’un milieu défavorisé et rencontrait l’icône qu’elle avait toujours admirée. Vous m’aviez pris par la main en me demandant de vous tutoyer et de vous raconter, tout d’abord, les potins de notre communauté avant de passer à des sujets plus sérieux. Nous avions beaucoup ri r de l’égocentrisme des uns et des autres. Puis nous avions parlé des avortements qui étaient de plus en plus nombreux et des centres, pratiquant l’IVG, qui fermaient les uns après les autres. Ce qui vous inquiétait. Nous avions réfléchi à la précarité des mères isolées, et même parlé d’autisme, un autre sujet qui vous tenait à cœur. 

Après quelques rencontres, nous avions connu un désaccord sur le divorce des femmes juives que vous refusiez de voir exposé au grand jour. J’avais eu l’honneur de débattre avec vous, et nous étions restées campées chacune sur nos positions. Puis, plusieurs mois plus tard, je vous avais croisée chez une de nos amies communes, et vous m’aviez glissé à l’oreille, sans néanmoins changer d’avis, que j’avais eu raison de vous tenir tête et de défendre mes idées. 

Vous étiez une grande dame, Simone, par votre parcours, votre pugnacité, et vous avez laissé dans mon cœur un sentiment de tendresse immense.  

Mais aujourd’hui, Simone, je vous écris parce que j’ai le cœur lourd. Le monde est devenu fou, Simone. Il n’y a plus de nuance, de véritables débats d’idées, juste des pensées creuses et brèves, recrachées telles quelles sur des réseaux sociaux qui ne sont que de vastes immondices de haine. Les mots ont été dévoyés et ne veulent plus rien dire. Le conflit israélo-palestinien a encore cristallisé la haine des juifs dans le monde entier, y compris dans notre douce France. Plus personne n’est capable de faire une distinction entre la politique d’un pays et sa population. Plus personne ne semble capable d’éprouver de la douleur pour les victimes israéliennes qui ont été massacrées par d’infâmes terroristes, ni de ressentir de la compassion pour les otages, des femmes et des enfants retenus depuis des mois. Plus personne ne semble capable, non plus, d’éprouver de la compassion pour ces femmes et ces enfants, civils palestiniens, qui meurent sous les décombres de la guerre. Chacun a été assigné à son camp et à ses victimes à pleurer et à défendre, oubliant qu’une vie reste une vie. Vous qui avez toujours prôné la dignité, le respect de l’autre, même dans la divergence, vous n’auriez certainement pas approuvé certaines paroles prononcées aujourd’hui. Je sais que vous auriez lutté contre l’antisémitisme et la déshumanisation de l’autre, et pour la libération de nos otages, avec cette force tranquille qui vous a toujours caractérisée, pour défendre un monde plus juste et plus humain.

Quant au féminisme, Simone, vous seriez tellement déçue. Cette cause que vous avez jadis défendue a tellement changé. Elle ne ressemble plus à rien. Les fractures sont encore plus nombreuses qu’entre Gisèle et vous parce que l’esprit du féminisme, la défense de toutes les femmes, semble s’être perdu. Aujourd’hui certaines d’entre elles trient les victimes selon leurs religions ou leur nationalité, comme le faisaient les nazis autrefois, légitimant ces crimes et osant qualifier de « résistants » des violeurs et des meurtriers de femmes et d’enfants. Elles n’ont plus de discernement, de vision, de courage, ni même de propositions pour améliorer le quotidien de toutes les femmes. Elles ne sont plus que des idéologues qui instrumentalisent politiquement notre noble cause, se perdant dans des luttes parfois stériles. 

Depuis la pétition que j’ai écrite afin de dénoncer les viols de masse perpétrés en Israël le 7 octobre, plus de 74 000 personnes ont signé ce texte à ce jour. Tout n’est donc pas perdu, même s’il devrait y avoir des millions de signatures. 

Une seule chose n’a pas changé, Simone, l’impunité des hommes de pouvoir qui continuent de faire des ravages parmi les femmes. Ils se croient toujours tout permis, abusant d’elles impunément, se sentant protégés par certaines castes. Si la parole des femmes qui semble s’être libérée, la parole d’une femme ne vaut toujours pas celle d’un homme. Il faut au moins une cinquantaine de témoignages de victimes pour que l’opinion daigne les croire. Notre lutte est donc loin d’être finie. Je sais que vous auriez défendu leurs paroles avant tout, avec ardeur, tout en préservant la présomption d’innocence, vous, la grande magistrate qui avait le sens de la justice et de la justesse.

Je me rappelle aussi que vous me disiez que j’étais une femme de droite qui s’ignore, vous n’aviez peut-être pas tort. Née dans une famille de gauche, je suis restée fidèle aux valeurs du socialisme, pendant des décennies, mais ce parti ne ressemble plus à rien aujourd’hui. Il manque de fougue, d’idées et de principes. Alors, mon cœur reste orphelin, attendant peut-être un homme providentiel. 

J’ai malheureusement d’autres mauvaises nouvelles à vous annoncer, Simone, l’antisémitisme est revenu à grands pas ; des hommes se font molester à la sortie des synagogues, des rabbins sont poignardés. Cela se passe en France, en Allemagne, en Angleterre, et en Suisse… Des manifestants ne se contentent pas de réclamer la paix au Proche-Orient, mais prônent l’extermination de tous les juifs. 

Que nous est-il arrivé, Simone ? Vous qui défendiez tant l’Europe, comment nos sociétés démocratiques ont-elles pu se laisser déborder par l’antisémitisme qui revient encore ? Comment nos sociétés ont-elles pu permettre aux extrêmes de prospérer, contaminant les esprits ignorants ou révoltés ? Simone, j’ai peur que tout recommence encore, que l’on nous chasse de nos maisons, de nos diasporas, et que l’on nous tue parce que juifs. J’ai peur que les deux guerres qui ont commencé ne s’arrêtent jamais et que d’autres suivent, embrasant le monde entier. 

Comme vous pouvez le voir, les hommes n’ont pas changé, ils n’ont rien appris de l’histoire qui se répète indéfiniment. Ils sont toujours d’horribles barbares ou d’inlassables guerriers, incapables de s’asseoir à la table des négociations. Ils se servent toujours des plus fragiles, des femmes et des enfants, pour exprimer leurs plus bas instincts, et exercer leur terreur. 

Le monde court à sa perte, Simone, entre les divisions religieuses, les guerres de territoires, et la Nature que l’on continue de saccager.

Voilà, Simone, les nouvelles de ce monde ne sont pas bonnes, et je ne parviens toujours pas à vous tutoyer. 

Malgré ma profonde lassitude face à la folie des hommes, je ne pouvais pas terminer cette lettre avec ce ton si triste et pessimiste. L’ONU vient de reconnaître enfin les viols du 7 octobre et L’IVG est entrée dans notre Constitution française, protégeant ainsi le droit et le choix des femmes de disposer librement de leurs corps. Ces longs combats militants n’ont donc pas été vains.

Je vous embrasse avec toute mon affection et mon respect, et dans l’humble espoir de porter haut et fort,toutes les valeurs que vous nous avez léguées.

Olivia Cattan

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2 Comments

  1. Une avancée fondamentale des droits des femmes en France, au 20eme siècle, est due au courage, à la droiture de deux femmes juives, dont une survivante des camps nazis. Honte à celles qui crachent sur leur tombe, en se rangeant du côté de leurs bourreaux.

  2. La France doit tant a sa petite minoritė juive , qu elle a decidé de l abandonner pour les masses islamistes .
    Comme d habitude quelques grands possedants cyniques et veules ont decidė pour tout le pays en l entrainant vers la mediocritė aujourdhui et le précipice demain .
    J espere que les juifs de çe pays tourneront le dos a cette France poisseuse pour enfin rentrer a la maison donner leur force et leurs talents a leurs vrai pays .
    Que les français assument leurs choix ou leur inertie , et bonne route a mes freres et soeurs pour venir nous rejoindre .

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