CE SOIR À LA TÉLÉ. La nouvelle fiction événement de France 2 revisite avec brio le roman culte de l’auteur de l’absurde. Retour sur sa genèse et ses partis pris.
« Car il savait ce que cette foule en joie ignorait, […] que le bacille de la peste ne meurt ni ne disparaît jamais, qu’il peut rester pendant des dizaines d’années endormi […] et que, peut-être, le jour viendrait où, pour le malheur et l’enseignement des hommes, la peste réveillerait ses rats et les enverrait mourir dans une cité heureuse… ».
Ainsi se termine le roman La Peste, allégorie du nazisme et « chronique de la Résistance », selon son auteur Albert Camus, prix Nobel de littérature en 1957. Et ainsi commence l’aventure de la mini-série éponyme qui en est librement adaptée.
C’est en effet en relisant cet excipit que George-Marc Benamou et Gilles Taurand, ses producteur et coscénariste (qui ont déjà œuvré ensemble sur Le Promeneur du Champ-de-Mars), ont « trouvé le fil conducteur » de la fiction événement, diffusée à partir de ce lundi 4 mars sur France 2. S’appuyant sur la dimension métaphorique du texte et sur sa dénonciation du totalitarisme, ils ont imaginé un thriller dystopique, qui décrit les ravages – tant physiques que démocratiques – de la peste, non plus à Oran en 1947, mais en France lors de l’été 2030. Au cœur du combat contre le virus et ses variants autoritaires : le docteur Bernard Rieux (Frédéric Pierrot), le journaliste Sylvain Rambert (Hugo Becker) et l’artiste épicurien Jean Tarrou (Johan Heldenbergh). La pertinence de ce choix s’affirme tout au long de quatre épisodes captivants et inquiétants de modernité.
Le choix de la dystopie pour interroger le présent
La mini-série qui voit ses héros contraints au confinement, y compris par la force, fait d’abord et bien sûr écho à la récente pandémie mondiale, avec son lot d’angoisses, de renoncements et de remises en question. En 2020, l’épidémie de Covid avait d’ailleurs fait exploser les ventes du chef-d’œuvre de Camus. De quoi exciter l’intérêt des diffuseurs et autres producteurs internationaux pour le roman et son éventuelle adaptation.
Mais c’est George-Marc Benamou qui remporte la mise… et achète les droits : « En 2019, j’ai réalisé le documentaire Les Vies d’Albert Camus pour France Télévisions et il a fait une belle audience. J’avais le désir d’adapter La Peste et j’en avais parlé à Catherine Camus, la fille d’Albert, se rappelle-t-il. Quand le Covid est arrivé, Gallimard [la maison d’édition qui détient ses droits, NDLR] a reçu des propositions du monde entier, notamment des plateformes. On a peut-être été préféré grâce à ce lien avec la famille Camus », suppose-t-il.
Une fois les droits acquis, « les difficultés ont commencé », continue-t-il. Car La Peste, qui a déjà fait l’objet de deux longs métrages (La Peste, de Luis Puenzo, et La Cité, de Kim Nguyen), est une œuvre majeure du patrimoine littéraire français. Presque intouchable. L’adapter sans en trahir l’esprit était donc un pari audacieux… et périlleux : « Ça a commencé par un immense vertige, reconnaît Gilles Taurand. On s’est ensuite très vite posé la question de la temporalité. La dystopie nous permettait de montrer à quel point les problématiques politiques et philosophiques que Camus aborde dans le roman restent contemporaines ».
Et d’ajouter : « Elles nous concernent aujourd’hui particulièrement. Il n’y a qu’à regarder autour de nous pour voir l’obsession paranoïaque et la montée des extrémismes… » Autant de maux qui hantent également la fiction de France 2 et résonnent avec l’actualité, marquée par les mutations radicales de nos sociétés.
De nouveaux personnages féminins pour moderniser l’intrigue
C’est aussi pour respecter l’universalité du propos de l’auteur que l’équipe a fait le choix de situer l’action dans une ville fictive, jamais nommée. Tournée entre Nice, Aix et Marseille, La Peste s’abat ainsi sur une cité balnéaire « inventée » et intemporelle : « J’ai essayé de trouver des décors qui auraient pu trouver leur place dans les années 1940 et d’autres qui sont visuellement très contemporains », précise Antoine Garceau, le réalisateur (Dix pour cent, Salade grecque).
Les auteurs ont enfin intégré des figures féminines à une histoire qui leur laissait peu de place, apportant complexité et modernité à l’intrigue. La série donne ainsi chair à Juliette (Pascale Arbillot) et Laurence (Sofia Essaïdi), les compagnes du docteur Rieux et du journaliste Rambert (Hugo Becker), mentionnées en creux dans le roman : « L’un des premiers titres de La Peste était Les Séparés, qui interrogeait sur ce que devient l’amour lorsqu’on est à distance. Rambert est séparé de Laurence, Juliette Rieux s’en va en Italie. Nous avons choisi de développer leurs relations », explique Gilles Taurand, qui a également introduit un nouveau personnage, celui de Lucie (Judith Chemla).
Cette professeur de piano va elle aussi entrer en résistance contre le mortel bacille et les dérives autoritaires d’un exécutif lâche et/ou corrompu, qui, faute de traitement, a décidé l’indicible pour l’éradiquer. C’est le fameux plan D, imaginé par les scénaristes pour corser les enjeux dramatiques, non sans quelques facilités et incohérences. Pas de quoi cependant gâcher la vision d’ensemble, hommage réussi aux combats humanistes de Camus.
Une adaptation fidèle à la vision d’Albert Camus
Si la narration s’articule autour de la lutte contre le virus, elle ausculte aussi et surtout les choix des hommes (et des femmes) face à l’adversité. S’engager pour le bien commun quitte à risquer sa vie (et sa santé mentale) ou privilégier son intérêt personnel, fut-il au détriment de tous les autres ? Tel est le dilemme auquel sont confrontés ces (anti)-héros « ordinaires », illustrant la conviction de Camus : la peste sert de révélateur à l’âme humaine, pour le meilleur et pour le pire…
Chacun cherche ses réponses sous la haute surveillance des drones liberticides qui survolent la cité étouffée par un soleil de plomb. La tension monte au fil de l’enfer de leur cheminement pavé de mauvaises intentions et des victimes de la peste. Elle culmine lors de la mort bouleversante d’un petit garçon, qui bouscule les certitudes des uns, les croyances des autres et tue l’espoir de tous. Il fallait tout le talent et l’humanisme d’un Frédéric Pierrot (aussi magistral qu’il le fut dans En Thérapie) pour porter cette séquence aux côtés d’interprètes également très méritants : « C’est impossible à jouer une scène comme celle-là, se souvient le comédien. Dans le livre, la mort du garçon occupe tout un chapitre. C’est interminable, c’est une agonie. Pour faciliter le travail, j’ai relu à haute voix ces pages juste avant de tourner. Cela nous a aidés à nous mettre dans l’émotion ». Une émotion qui ne quitte pas le téléspectateur jusqu’aux derniers mots de l’épilogue, énoncés face caméra par le docteur Rieux : « Le bacille de la peste ne meurt ni ne disparaît jamais ».
© Katia De la Ballina
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