Une cité de la banlieue Est.
La nuit commence à tomber et découpe la silhouette de l’unique pavillon encore debout parmi toutes les barres d’immeubles.
Je me suis arrêté pour faire quelques emplettes dans une supérette.
Je suis tombé sur une altercation.
Un client a dérobé de la marchandise qu’il cache sous son anorak.
Un jeune. Je le connais, il porte des appareils auditifs.
Le caissier l’a attrapé par le col :
« Rends ce que tu as volé ! »
J’ai rien volé, je l’jure !
« J’t’ai vu, voleur ! »
C’est vous les voleurs ! Tu crois que j’ai l’argent pour acheter à manger ?
« T’as ka bosser ! »
Tu crois qu’on fait bosser les gens comme moi ?
Z’êtes tous des racistes !
« Moi raciste ?!! J’suis comme toi ! Ou tu payes ou tu rends. Sinon j’appelle la police ! »
Tu vas pas appeler les keufs pour un frère ? »
J’suis ton frère maintenant…J’croyais k’j’étais un raciste ?
…
Ça s’est terminé à l’amiable.
Le jeune a rendu la boîte de chocolats et gardé le beurre et les œufs.
Sa mère est descendue de l’immeuble pour payer.
J’ai repris ma voiture pour rentrer chez moi.
À la radio j’ai appris la mort de Robert Badinter.
Tous les hommages convenus.
Je me suis senti accablé, ça doit être ce temps humide ou un syndrome grippal.
…
On m’avait offert « Idiss », le livre que Robert Badinter avait consacré à sa grand-mère maternelle. Je ne l’avais pas encore lu.
Je l’ai retrouvé dn haut d’une étagère derrière une pile de bouquins. Je suis un bordélique ordonné.
« Au yid du shtetl, auquel son voisin venait annoncer son départ pour Chicago et qui disait : « C’est loin Chicago ! », l’autre répondait : « Loin d’où ? » Tout était dit. »
Idiss, c’est la France qu’elle choisit.
« Bien sûr, l’affaire Dreyfus était née dans le pays de la Déclaration des droits de l’homme, témoignant de la persistance de l’antisémitisme, mais la loi était là pour les protéger, par pour les accabler. Alors pourquoi hésiter ? »
La famille s’installe à Paris.
« Ils vécurent d’abord chez des cousins, au cœur du quartier du Marais, puis ils s’installèrent rue de l’Épée-de-Bois, dans le quartier de la place Monge, dans un atelier qui servait aussi d’entrepôt. Ils achetaient à bon compte des vêtements usagés dans les quartiers bourgeois. »
Une vie paisible en apparence.
« Mais en même temps qu’ils révéraient la République, ils ne pouvaient ignorer les manifestants criant « Mort aux juifs »…
Ainsi, en politique, les juifs se retrouvaient massivement dans le camp des républicains.
De toutes les nuances de l’arc-en-ciel politique mais tous républicains. »
…
Pour moi, Robert Badinter représentait cette France républicaine, digne et éprise de droit.
Une République sans territoires perdus.
© Daniel Sarfati
J’ai eu la chance de rencontrer Robert Badinter dans des circonstances assez particulières. C’était à la fin des années 70 et je faisais partie d’un comité de défense. On s’était adressé à Badinter qui avait répondu à notre demande et était venu nous voir. C’était les années Pink Floyd, pas de table, pas de chaises. Trop bourgeois. On s’était assis par terre et Badinter avait fait comme nous. Il s’agissait de l’expulsion d’une femme de 70 ans de sa maison. Il avait accepté d’examiner son cas et voir ce qu’il pouvait faire pour elle. Au bout d’un moment, quand j’ai mieux connu le dossier, j’ai quitté le comité… La femme en question habitait dans ce qu’on appelle une “villa” à Levallois. Son logement comprenait un rez-de-chaussée et un premier étage. Comme son logement se trouvait au fond de la ruelle, elle avait aussi à son usage exclusif (cette partie commune n’était empruntée par personne d’autres qu’elle), comme une cour qu’elle avait privatisée et où elle avait installé, table, chaises avec quantité de fleurs et de plantes. La campagne en ville. Le rêve de tout le monde. Le maire avait accepté de la reloger en HLM. Un HLM a Levallois, jouxtant Neuilly, ce n’est pas un logement dans le 9, 3. Elle ne voulait pas, c’était niet, niet, niet, j’ai 70 ans, ça me donne des droits. Le propriétaire, un commerçant ayant pris sa retraite, et qui avait probablement son âge, avait besoin de son logement. Privé de son bien à cause de cette dame, il était à l’hôtel en attendant la conclusion de l’affaire. Son ancien logement faisant parti du bail commercial était inséparable du commerce. Mais la vieille dame ne voulait pas quitter sa villa où elle se sentait si bien dans sa cour fleurie. Elle a profité de notre naïveté en mettant en avant son âge pour ne pas être “déracinée”… un déracinement à 70 ans c’est donner la mort. Badinter était déjà un grand du barreau et, néanmoins, un homme d’une très grande écoute et simplicité. La simplicité est la clé de la brillance.
Je me souviens de Badinter . Il était toujours là pour parler de la shoah . Il en parlait et s’en souvenait . Il était marqué à jamais par cette épreuve.
Je me souviens d’Idiss, sa grand-mère . Il lui avait consacré un merveilleux livre
Idiss vivait en Bessarabie ,une contrée ballotée entre la Russie et la Roumanie, c’était un territoire où vivait une grande population juive et c’était là où vivait ma mère et sa famille non loin de Kichinev actuellement en Moldavie.
là où vivait ma mère aussi. C’est maintenant en Moldavie.