Depuis Israël, Michel Jefroykin lit la Presse pour nous: Amit Segal: “Le Hamas n’a pas compris que les Israéliens avaient changé depuis le 7 octobre”

Amit Segal. © Mark Israel Salem

Par Eugénie Bastié – Le Figaro 

“Il y a un clivage politique sur ce sujet. Pour faire vite, plus les gens s’identifient à droite, plus ils veulent la destruction du Hamas, plus ils s’identifient à gauche plus ils veulent délivrer les otages” Amit Segal.

ENTRETIEN – Quatre mois après l’attaque terroriste qui a meurtri l’État hébreu, la détermination à poursuivre la guerre ne faiblit pas au sein de la population israélienne, explique un des journalistes les plus influents du pays.

Amit Segal est journaliste israélien sur N12, l’une des principales chaînes israélienne et éditorialiste au journal “Yedioth Ahronoth”. 
De droite conservatrice, il a été élu journaliste le plus influent d’Israël en 2020 par Globes.

LE FIGARO. – Quatre mois après le 7 octobre, quel est l’état d’esprit de la population israélienne ?

AMIT SEGAL. – Le sentiment d’être protégé a été brisé. L’idée qui prédominait dans la société israélienne c’était qu’avec le mur et le Dôme de fer, Gaza n’était plus à une heure de Tel-Aviv mais aussi loin que la Lune. On se fichait bien de ce qu’ils pouvaient faire à Gaza. Le problème était réglé. Nous avons cru que nous pouvions vivre avec un tigre dans notre cour. L’armée israélienne n’avait même pas de plan pour envahir Gaza. Personne ne pensait à cette possibilité, la dernière opération datait d’il y a dix ans.

L’image terrifiante de centaines de terroristes perçant la barrière de sécurité a détruit le sentiment de sécurité pour tout israélien. Mes enfants dans le centre de Jérusalem sont effrayés la nuit parce qu’ils ont peur que des terroristes sortent du sous-sol. La guerre est une tentative de montrer le prix à payer si vous cherchez à terroriser les Israéliens : vous serez détruits.

L’objectif de délivrer les otages est-il toujours au centre de l’attention ? N’est-il pas incompatible avec la destruction complète du Hamas ?

Je crois que la question des otages telle qu’elle se pose aujourd’hui en Israël est la plus complexe de l’histoire moderne. Bien sûr les Romains avaient pris après la chute de Jérusalem 70.000 otages réduits en esclavage, mais c’est la première fois dans un cadre démocratique avec l’empathie que nous avons pour les individus qu’autant de personnes sont kidnappées. En douze ans l’armée israélienne avait tout fait pour l’éviter. Seul un soldat avait été échangé, contre 1000 personnes. Et là, 253 personnes ont été enlevées d’un seul coup.

Il y a un clivage politique sur ce sujet. Pour faire vite, plus les gens s’identifient à droite, plus ils veulent la destruction du Hamas, plus ils s’identifient à gauche plus ils veulent délivrer les otages. 

C’est le nouveau clivage politique en Israël. Il n’est pas vrai qu’on puisse accomplir les deux objectifs en même temps. Il faudra choisir. Mais je pense qu’on peut avoir un objectif et demi : détruire le Hamas et libérer une partie des otages, peut être une douzaine de plus.

Lorsqu’ils ont libéré 10 otages par jour pendant 8 jours fin novembre, le Hamas a cru que ce serait comme une drogue pour Israël. Ils n’ont pas cru que nous allions reprendre la guerre. Ils n’ont pas compris que nous avions changé depuis le 7 octobre. Que le prix d’entrée dans cette guerre avait été trop fort, dès le début.

Cette guerre est-elle un succès ?

Sur le plan de la sécurité, oui. Les deux menaces principales du Hamas n’en sont plus. Ils ne peuvent plus tirer de roquettes : il n’y a plus eu que quelques roquettes en un mois et demi sur Jérusalem et Tel-Aviv. Ils ne tirent plus qu’une dizaine de roquettes par semaine. Ils n’ont plus la capacité d’envahir Israël. Mais pour que cette situation soit solide et durable il faut démanteler totalement le Hamas, et il faudra encore quelques mois.

Le nombre de victimes civiles fait par l’armée israélienne à Gaza choque le monde entier. Comprenez-vous cette indignation ?

Une guerre dans un espace urbain, qui plus est l’un des plus denses du monde est forcément très coûteuse en vies humaines. Mais l’armée israélienne fait de son mieux pour éviter les victimes civiles. C’est pourquoi elle a attendu trois semaines avant d’entrer dans Gaza, et qu’elle a prévenu les civils.

Le Hamas a-t-il sous-estimé la riposte israélienne au 7 octobre ?

Nous avons découvert à Gaza 700 kilomètres de tunnels, soit 7 fois plus que nous imaginions. C’est presque l’équivalent du réseau ferroviaire israélien (900 km). Ils ont construit ces tunnels pour se protéger des bombardements donc ils s’attendaient à une riposte. Mais je crois qu’ils pensaient que la guerre serait plus courte, en raison de la communauté internationale, du coût en vies de soldats israéliens et des otages. Mais jusqu’à présent ça n’a pas marché.

Pensez-vous que les médias occidentaux sont injustes avec Israël ?

Dans les premiers jours, après les 1200 morts du 7 octobre il y a eu une sympathie réelle pour Israël. Mais dès qu’Israël a commencé à se défendre, j’ai vu la résurgence d’un sentiment anti-israélien très fort. 

Les gens ne comprennent pas quel est l’enjeu pour nous, à qui nous avons affaire. Le coût en vies humaines élevé des deux côtés de la frontière est ce que recherche le Hamas. Ils se fichent du nombre de civils tués. Ils n’ont pas construit d’abris pour la population civile, seulement des tunnels pour leurs soldats. Il est très difficile de comprendre que la violence n’implique pas nécessairement l’injustice. L’armée israélienne est violente, comme toutes les armées du monde quand elles font la guerre, mais cela ne veut pas dire que sa cause n’est pas juste. Nous voulons régler ce problème une bonne fois pour toutes. Sinon nous ne pourrons plus vivre ici.

Israël n’est-il pas en train de perdre l’enjeu crucial de la guerre médiatique ?

Elle est en effet essentielle. Elle a toujours existé mais elle est décuplée par les réseaux sociaux qui reposent sur le partage d’informations de pair à pair. Que peuvent faire 13 millions de Juifs au niveau mondial face à 1 milliard de musulmans plus toutes les autres populations qui nous détestent ?

La démilitarisation de Gaza est une chose, la déradicalisation de la population palestinienne (objectif annoncé par Netanyahou) en est une autre. Celle-ci est-elle faisable ?

Comment détruire la haine ? Une haine si intense qu’elle fait considérer un kibboutz comme une « colonie » ? Comment permettre à des personnes qui ont grandi avec Mein Kampf comme bréviaire de revenir sans construire à nouveau un monstre ? Je crois que rien n’est inévitable. Nous avons réussi il y a quelques années à mettre en œuvre un accord avec les Émirats arabes unis. Aujourd’hui des Juifs font des affaires là-bas. Ils ont retiré certains livres de leur éducation et ils ont peu à peu tari l’antisémitisme. Il n’y a pas de fatalité. Regardez les Arabes israéliens. Quiconque détient le système d’éducation détient le futur. C’est pour ça que c’était une terrible erreur de le laisser au Hamas.

La possibilité de déplacer la population gazaouie a été évoquée par des responsables d’extrême droite. Est-elle sérieuse ou marginale ?

Elle n’est pas marginale dans le débat public, mais il n’y a aucune possibilité que la communauté internationale y adhère, donc ce n’est pas faisable. Cependant, rappelons que 70 % des Gazaouis se définissent eux-mêmes comme des réfugiés venant d’autres endroits notamment de Cisjordanie. 

Si Gaza était leur foyer depuis deux cents ans, il n’y aurait aucune raison d’en partir. Mais si ce n’est pas votre foyer, et si c’est un endroit misérable, pourquoi ne pas bouger vers un meilleur endroit ?

© Eugénie Bastié

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