Le spectateur est dérouté par cinq minutes d’un écran noir et assourdi d’une musique lancinante et désagréable: c’est un avertissement qu’il comprendra ensuite: il ne verra rien mais entendra tout.
Puis commence un “joli” film, c’est la maison de la “Mélodie du bonheur”, la famille Von Trapp se nomme la famille Höss. Le père est le commandant d’Auschwitz. Une maison cossue à l’impeccable propreté, des fleurs éclatantes, des enfants bien coiffés, petites répliques d’Heidi, une mère vaquant à des activités domestiques et répétitives mais qui semblent lui apporter d’incomparables joies, des servantes disciplinées et soumises, droit sorties des tableaux d’Hammershoi. L’image est saturée et les rouges des pétales des roses répondent aux joues rebondies des gamins, l’intense bleu du ciel à leurs grands yeux ingénus et bovins. Le père embrasse sa femme et part “au travail” chaque matin…
Puis le malaise s’installe, vite, très vite…
La maîtresse de maison se pavane dans un manteau de vison, les servantes se disputent des robes en silence, des bruits montent d’à côté, des fumées aussi, des cris parfois. Les enfants jouent avec des dents, le chien aboie souvent, le spectateur a compris et la nausée le prend. Au fur et à mesure du film, les cris, les hurlements, les détonations gagnent en intensité sonore, les fumées du crématoire en épaisseur visuelle.
Derrière le mur, c’est le camp d’extermination avec toute l’horreur que nous connaissons mais que nous ne verrons jamais, et c’est peut-être le pire car nous savons que de l’autre côté du mur et de ses treilles fleuries, se joue « Le Fils de Saül »…
Dans le contraste de la luminosité aveuglante du jardin des Höss et la nuit et le brouillard “d’à côté”, surgit en se décuplant l’absolu de l’infâmie génocidaire.
Jonathan Glazer nous offre un film glaçant sur l’innommable banalité du Mal dans les coulisses familiales de la Terreur. Cette mise en scène virtuose joue sur une esthétique poussée à son maximum parfois jusqu’à la caricature et pose une nouvelle fois la question de la représentation de la Shoah. Jonathan Glazer prend ici le contrepied de Steven Spielberg.
Voici une oeuvre brillante sur l’utilisation puissante du hors-champ qui laisse le spectateur hagard et transi d’effroi.
Elle prend le pari, comme le romancier britannique Martin Amis dont le film est l’adaptation, que l’histoire d’Auschwitz est connue du spectateur qui saisira d’emblée et avec encore plus d’effroi, la violence extrême qui se déroule juste à côté.
Il faut saluer les performances d’acteurs de Christian Friedel dans le rôle de Rudolf Höss et de Sandra Hüller (l’inoubliable actrice d’Anatomie d’une chute) dans celui de l’épouse sotte, pataude et cupide, désireuse de poursuivre à jamais cette petite vie bien organisée.
© Nickie Caro Golse
Drame.
De Jonathan Glazer | Par Jonathan Glazer
Avec Christian Friedel, Sandra Hüller, Johann Karthaus
Titre original « The Zone Of Interest »
Sortie le 31 janvier 2024
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