A une jeune fille inconnue
Étais-tu inquiète, le soir à la ferme
Quand Papa parlait, du prix des luzernes
D’une voix très basse, comme dans un murmure
Sous les paperasses, faisant des ratures.
Étais-tu soucieuse, devant la caissière,
Quand Maman comptait le prix des affaires
Et qu’elle retirait du tapis tout noir
Une chose trop chère qu’elle disait vouloir.
Avais-tu donc honte, les jours de collège,
Quand tu comparais tes baskets beiges
Qu’on vend à Carrefour ou à Kiabi
Avec les Nike Air des garçons jolis.
Avais-tu appris, avec tous les tiens,
Le sort qu’on réserve à ceux qui matin
Se lèvent aux aurores pour aller aux champs,
Et travaillent encore au soleil couchant.
Mais étais-tu fière, de voir sur la table,
Le vin et le lait, sortant de l’étable,
Ou bien la farine du pain qui a cuit,
Et dont tous disaient : « on l’a fait ici ! »
Étais-tu déjà, malgré ton jeune âge
De celles qui savent, et disent bien sage,
« Moi papa plus tard, je ferai comme avant
Et puis comme toi, je serai paysan ! »
Et grandissant là, roulant vers l’école
Ignorant les traites, Crédit Agricole,
Politique commune et libre marché,
Tu pensais aux prunes et puis au verger.
Et as-tu donc ri, de voir sur la route,
Tous ces grands tracteurs qui malgré les doutes,
Faisaient la kermesse comme dans un grand soir
Pour ne pas subir et garder l’espoir.
Et t’es-tu serrée tout contre ta mère,
As tu regardé les yeux de ton père,
Qui plus loin voyait foncer droit sur vous
Une voiture pressée pleine de voyous.
As-tu entendu, la route qui pleure,
La campagne qui hurle parce qu’ici on meurt,
Et la foule idiote qui ne sait comment
On s’envole en France quand on a 12 ans.
© Rémi Ferrand
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