L’ex-chef d’état-major Gadi Eisenkot menace de démissionner si un accord n’est pas trouvé pour libérer les otages.
Combien d’otages sont encore en vie dans la bande de Gaza? Dimanche marquait le 106e jour de captivité pour 136 Israéliens. La question de leur sort hante les esprits en Israël. Depuis l’attaque terroriste du 7 octobre, l’écrasante majorité des Israéliens vivait dans l’angoisse ; s’impose désormais le sentiment qu’il est urgent d’agir, qu’il sera bientôt trop tard. La cause des otages est un ciment qui soude le peuple. Mais plus le temps passe, plus elle devient politique et, par conséquent, source de dissensions au sommet de l’État. Les responsables politiques sont de plus en plus divisés. Les désaccords gagneraient même l’armée.
Benyamin Netanyahou s’accroche aux trois objectifs de la guerre tels qu’ils ont été déterminés dans les jours ayant suivi le 7 octobre: libérer les otages, détruire le Hamas, sécuriser définitivement la bande de Gaza. Il l’a répété jeudi soir, au cours d’une conférence de presse, en expliquant une fois de plus que cela prendrait des mois. Mais la cause des otages et la destruction du Hamas sont perçues comme deux buts contradictoires, la lutte contre l’un empêchant de sauver les autres, quand elle ne causerait pas leur perte. C’est ce qu’ont affirmé, sous couvert d’anonymat, des généraux qui ont accepté de se confier au New York Times. Un point de vue à l’opposé de la version officielle de l’armée israélienne, selon laquelle il faut mettre toujours plus de pression sur le mouvement islamiste pour obtenir la libération des otages. Ce que des généraux soufflent anonymement, des voix le disent clairement au plus haut sommet de l’État hébreu.
Calcul politique
Jeudi soir, quelques heures après la conférence de presse de Benyamin Netanyahou, un membre du conseil de guerre a donné une interview à la chaîne de télévision Canal 12. Il s’agit de Gadi Eisenkot, un homme dont la parole est rare. Cet ancien chef d’état-major de l’armée israélienne est une personnalité d’autant plus respectée en Israël qu’il vient de perdre son fils, soldat tombé à Gaza. Avec Benny Gantz, il est l’une des figures de l’opposition qui ont accepté de mettre de côté leurs désaccords avec Benyamin Netanyahou le temps de la guerre. Mais, jeudi soir, Gadi Eisenkot n’a rien caché de ses divergences avec le premier ministre, notamment au sujet des otages. «Il faut dire la vérité, avec courage: la seule façon de récupérer vite les otages en vie est de trouver un accord», a-t-il expliqué, en qualifiant de «bobards», les autres versions. Il a ensuite affirmé être prêt à démissionner s’il apparaissait que Benyamin Netanyahou faisait durer la guerre par calcul politique, ce dont il est fréquemment accusé. La guerre serait pour lui une façon de s’assurer un avenir à la tête du gouvernement, alors que l’opinion lui est, pour l’instant, défavorable et que son procès pour corruption est toujours en cours.
Les informations concernant les otages tombent au compte-goutte et laissent à peine envisager le calvaire qu’ils endurent. Vendredi, une faction palestinienne opérant dans la bande de Gaza aux côtés du Hamas a publié la vidéo d’un homme blessé le 7 octobre, qui serait à l’article de la mort. Ces derniers jours, le décès de deux autres otages a aussi été confirmé officiellement. La famille de l’un d’entre eux a incriminé des bombardements de l’armée israélienne.
«Prouve que tu es le chef»
Un père de famille a également expliqué comment la tête de son fils, tué le 7 octobre, avait été retrouvée, conservée dans un congélateur, ce que des militaires interviewés par Le Figaro confirment. Ils affirment aussi avoir trouvé dans les tunnels du Hamas des cages à animaux, utilisées selon eux pour enfermer des otages. Depuis le début de la guerre, un seul d’entre eux a été retrouvé en vie et libéré par l’armée israélienne. Tous les autres, une centaine, ont été relâchés par le Hamas au cours d’une trêve de six jours, négociée par le Qatar, fin novembre.
Forts de ce constat, beaucoup d’Israéliens poussent en faveur de la négociation d’une nouvelle trêve. Le mouvement des familles d’otages semble décidé à mettre davantage de pression sur le premier ministre. Des manifestations ont été organisées samedi à Tel-Aviv, sur la «place des Otages» et à Césarée, près de la maison de Benyamin Netanyahou. Les manifestants ont l’intention de camper là jusqu’à la libération des otages. «Prouve que tu es le chef», ont-ils lancé à l’adresse du premier ministre, «la question n’est plus de libérer les otages, mais de sauver des vies».
Les appels à la démission de Gantz et d’Eisenkot sont de plus en plus nombreux. S’ils s’y résolvaient, ils entraîneraient probablement une vague de manifestations contre Netanyahou. Plus de trois mois après le début de la guerre, Israël risque d’être rattrapé par ses divisions: c’est précisément ce que souhaitent ses ennemis.
© Guillaume de Dieuleveult, Correspondant à Jérusalem
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