Charlie Munger, un investisseur américain légendaire, était friand de l’inversion, une technique consistant à inverser un problème pour le résoudre. Il avait coutume de dire: « La seule chose que je veux savoir, c’est où je vais mourir – comme ça je pourrais éviter cet endroit pour toujours ».
Comment lutter efficacement contre l’antisémitime?
Peut-être en commençant par éviter ce qui favoriserait l’antisémitisme.
Alors posons-nous la question réellement, qu’est-ce qui le favoriserait?
Que pourrions-nous faire, et éviter de faire, pour augmenter le niveau d’antisémitisme en Belgique?
Garantir l’impunité
L’impunité est la première chose qui vient à l’esprit.
Il faudrait qu’en Belgique, il n’y ait aucune conséquence à relativiser l’antisémitisme, à utiliser des stéréotypes antisémites ou même à appeler au meurtre des juifs lors de manifestations.
Et il faudrait que l’exemple soit donné au sommet de l’Etat.
Une future ministre devrait pouvoir, sans rougir et sans que cela n’ait la moindre conséquence sur sa carrière politique, minimiser l’antisémitisme en Belgique, même lorsque la presse internationale est unanime dans sa condamnation, comme avec les chars antisémites du Carnaval d’Alost.
Cette personne, alors parlementaire européenne, devrait pouvoir dire publiquement que la présidente de la Commission européenne exagère l’antisémitisme, en suggérant que c’est parce qu’elle se sent coupable en tant qu’allemande qu’elle ne voit pas que ces chars antisémites ont toute leur place en Europe.
Notre actuelle Ministre de La Fonction publique, Madame De Sutter, le sait bien, puisque c’est d’elle qu’il s’agit.
Mais la relativisation ne suffit pas.
Il faudrait pouvoir être actif en propageant des stéréotypes antisémites, et en participant à l’amalgame entre Belges juifs et Israël.
Il devrait donc être possible pour un futur Ministre de la Justice de parler impunément de “lobby juif” sur les réseaux sociaux, en confondant allégrement les Belges juifs et des représentants de l’Etat d’Israël.
Monsieur Van Quickenborne le sait bien, puisque c’est de lui qu’il s’agit.
Pour couronner le tout, il faudrait que ni les organisateurs, ni les participants à des manifestations où l’on scande, presque chaque année, des appels à la guerre contre les juifs, ne soient inquiétés.
Quand on y pense, il faudrait aussi continuer à autoriser ces manifestations, même en présence d’organisations qui font l’apologie du terrorisme, sans la moindre poursuite judiciaire.
Les manifestants pro-palestiniens le savent bien, puisqu’ils se sentent pousser des ailes en criant “Khaybar”, entre autres choses.
Faire du Juif un Autre en l’isolant
Malgré la diversité de la communauté juive de Belgique et la présence de juifs en Belgique depuis le Moyen-âge, il faudrait singulariser les juifs.
Il faudrait pour cela que la communauté juive soit seule, et se sente seule.
Il faudrait que, malgré des attentats terroristes meurtriers à son encontre, la communauté juive doive seule payer les gardes nécessaires à la sécurisation de ses évènements et de ses lieux de rassemblement.
De cette manière, les Belges juifs seraient les seuls Belges à devoir payer pour leur propre sécurité physique.
Madame la Ministre Verlinden le sait bien, puisque nous l’avons évoqué avec elle à plusieurs reprises.
Il faudrait encore qu’après un déferlement et une hargne antisémite sans précédent, et des incidents antisémites en progression exponentielle, il appartienne aux seuls juifs d’organiser une marche contre l’antisémitisme.
Il faudrait qu’une telle marche rassemble péniblement 4000 âmes, alors même que les Belges juifs auront vu, dans les rues de Bruxelles, des dizaines de milliers de personnes manifester à propos de conflits distants de milliers de kilomètres.
Il faudrait faire apparaître de manière éclatante que la Belgique ne se mobilise pas contre l’antisémitisme en même temps qu’elle se mobilise à grande échelle contre Israël, au lendemain du plus grave pogrom mondial depuis la Shoah.
La diabolisation
Pour promouvoir efficacement la haine anti-juive, il serait probablement nécessaire de diaboliser les juifs.
Il faudrait qu’ils représentent le mal, de préférence le mal absolu.
On pourrait par exemple, sans réelle conséquence, mettre une petite moustache d’Hitler sur l’affiche électorale d’un candidat juif qui a été enfant caché.
On pourrait caricaturer les juifs lors de carnavals et se cacher derrière le folklore pour se permettre toutes les outrances.
On devrait aussi pouvoir taguer “juifs terroristes” sur les plus grandes avenues de Bruxelles.
Si ce n’est pas assez efficace, ou si on souhaite avancer masqué, on pourrait diaboliser l’unique Etat juif, et s’assurer que, par substitution d’objet, les Belges juifs en souffrent. ´
Il faudrait pouvoir accabler Israël de tous les maux et se permettre les plus grandes outrances, sans aucune conséquence réelle.
Il faudrait que par un fantasme macabre, on puisse accuser les juifs de génocide, à l’instar de Madame De Sutter, ou qu’on puisse accuser l’Allemagne (qui défend le droit d’Israël à protéger sa population des terroristes du Hamas) d’être du mauvais côté de l’histoire pour la deuxième fois, comme Madame Gennez.
Toutes deux ont gardé leurs postes de ministres.
Il faudrait que l’université, temple de la connaissance, devienne un lieu où les juifs ne se sentent pas en sécurité, et où les professeurs puissent sans sourciller et sans conséquence adhérer à un boycott académique fondé sur la nationalité (encore une fois, celle du seul Etat juif).
L’Université Libre de Bruxelles en sait quelque chose.
Créer l’illusion de l’action
Une fois l’antisémitisme favorisé à travers l’impunité, l’isolement et la diabolisation, on pourrait se poser la question des choses à mettre en place pour lutter contre l’antisémitisme.
Mais là aussi, l’inversion est intéressante. Comment s’assurer de ne jamais guérir de cette maladie ?
Un soutien institutionnel faible ou incohérent envers la communauté juive et la lutte contre l’antisémitisme serait un autre moyen efficace de nourrir ce fléau.
Si les institutions semblent indifférentes, incompétentes ou réticentes à prendre des mesures concrètes, cela envoie un signal clair que l’antisémitisme n’est pas une priorité.
Pour augmenter l’antisémitisme, il suffirait de mettre en place des commissions et des groupes de travail sans réelle autorité ou intention d’agir.
Ces organes pourraient sembler actifs mais seraient en réalité inefficaces, offrant une façade de progrès tout en permettant à l’antisémitisme de prospérer dans les coulisses.
Il conviendrait aussi de multiplier les interlocuteurs et les consultations sans fin, et de ne surtout jamais nommer une personne responsable et déterminer des objectifs concrets et mesurables.
Cette façade de l’action, malheureusement, n’est pas inconnue dans le contexte belge.
C’est tout l’enjeu du lancement, en grandes pompes, du “mécanisme de coordination interfédéral de la lutte contre l’antisémitisme”, venu remplacer la “cellule de veille contre l’antisémitisme.”
Madame Marie-Colline Leroy le sait bien.
Il semble que la Belgique soit une excellente élève, mais dans le mauvais sens.
© Yohan Benizri, Janvier 2024
Yohan Benizri fut Président du CCOJB, Comité de coordination des organisations juives de Belgique
Merci à Henri Benkoski
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