ENTRETIEN – Pour le journaliste américain Christopher Caldwell, le plus étonnant n’était pas la démission de la présidente de Harvard, mais sa nomination alors qu’elle n’était qu’une universitaire médiocre. L’affaire Claudine Gay reflète un culte de la diversité imposé par l’administration.
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»Comme je l’ai dit, le wokisme n’est pas un corps de droit public en vertu duquel les entreprises doivent travailler : c’est l’infiltration d’organisations par des forces de l’ordre idéologiques »
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LE FIGARO. – La polémique entourant l’attitude de la présidente de Harvard et sa démission ont retenu l’attention du monde entier. Comment analysez-vous cet épisode ? Qu’a-t-il révélé ?
Christopher CALDWELL. – Le scandale s’est tenu en deux temps. Premièrement, à la suite des manifestations pro-Hamas dans les universités américaines, la présidente de Harvard, Claudine Gay, a été convoquée devant le Congrès. Elise Stefanik, une républicaine favorable à Trump, a demandé à Gay si elle pensait qu’appeler au génocide des Juifs violait la politique de Harvard en matière de discours. Gay a tenté d’esquiver la question en disant que cela dépendait du contexte. Deuxièmement, des journalistes d’investigation ont découvert que des passages des écrits publiés par Gay étaient copiés à partir des travaux d’autres chercheurs qui n’étaient pas cités.
Les partisans progressistes de Gay estiment qu’elle a été injustement jugée sur ces deux points. Ils ont raison. La question posée à Gay devant le Congrès était une question piège. Personne n’appelait spécifiquement au génocide des Juifs à Harvard. En gros, Stefanik offrait à Gay l’alternative de se déclarer soit ennemie des Juifs, soit ennemie de la liberté d’expression. Le plagiat était indéniable, mais sans conséquence, car Gay est une savante aux connaissances négligeables, dans un domaine d’intérêt intellectuel marginal. Elle a publié moins d’une douzaine d’articles au cours de sa carrière, tous concernant la représentation politique des minorités.
Mais c’est justement le problème : comment une chercheuse aussi médiocre est-elle parvenue au poste universitaire le plus prestigieux et le plus puissant de la planète ?
La réponse est que, au cours de la dernière génération, ses alliés ont procédé à une purge idéologique des universités américaines, qui est désormais achevée. L’un de ses prédécesseurs à la présidence de Harvard, l’ancien secrétaire au Trésor Larry Summers, a été licencié en 2005 après s’être interrogé sur les raisons pour lesquelles les femmes réussissent si rarement dans les sciences dures. Si un démocrate de haut rang et un universitaire de renom ne pouvaient pas s’exprimer librement à Harvard, qui le pouvait?
Comme beaucoup de gens qui sont allés à Harvard, je suis attristé et embarrassé. Mais les Américains qui ne sont pas allés à Harvard ont une réaction différente. Ils sont furieux. Chaque jour qui passe, le pays est de plus en plus convaincu que la réputation d’intégrité intellectuelle de Harvard a été abusée et que les centaines de millions de dollars des contribuables qu’il reçoit chaque année de Washington ne sont pas méritées. C’est pourquoi les dirigeants de Harvard ont agi. C’est une année électorale. La survie de l’institution pourrait à terme être en jeu.
De nombreuses personnalités pointent du doigt le système DEI (diversité, équité, inclusion) qui existe au sein des universités américaines. Pouvez-vous expliquer d’où vient ce système et en quoi il consiste ?
Il s’agit essentiellement d’une militarisation des possibilités d’application inhérentes aux lois sur les droits civiques, en particulier le Civil Rights Act de 1964. Le problème de la ségrégation raciale dans le sud des États-Unis, qui a duré un siècle après la guerre de Sécession, était qu’elle était maintenue par des institutions démocratiques. Les gens avaient voté pour. Pour l’annuler, il fallait donner au gouvernement fédéral des pouvoirs extraordinaires – des pouvoirs d’urgence. Ce processus est passé par trois étapes.
La première fut l’ère de « l’intégration ». À partir des années 1960, le gouvernement fédéral a eu la possibilité, par exemple, de menacer de supprimer le financement d’un district scolaire qui entretiendrait des écoles séparées pour les Blancs et les Noirs.
Sous l’Administration Obama en particulier, des régulateurs et des avocats militants ont commencé à imposer la restructuration des entreprises et des universités afin qu’elles deviennent culturellement antiracistes
Deuxième étape : l’ère du « politiquement correct ». Dans les années 1990, les régulateurs et les juges ont utilisé de manière agressive les lois sur les droits civiques pour faire progresser les droits des femmes, des immigrants, des non-anglophones, des gays et des lesbiennes, etc.
Et les preuves d’actes répréhensibles se sont élargies à tout ce qui pourrait créer un « environnement hostile » aux minorités : un cadre dirigeant qui utiliserait un langage humiliant à l’égard des femmes, par exemple. Vous n’aimez sans doute pas ça. C’est mon cas. Mais, tout à coup, on a basculé dans autre chose : la régulation des pensées des gens.
La troisième étape est l’ère du DEI, ou ce qu’on a appelé wokisme.
Sous l’Administration Obama en particulier, des régulateurs et des avocats militants ont commencé à imposer la restructuration des entreprises et des universités afin qu’elles deviennent culturellement antiracistes. Les dirigeants craignaient qu’on leur demande de prouver devant un tribunal qu’ils faisaient tout ce qu’ils pouvaient pour embaucher, promouvoir et encourager les minorités. Ils ont donc créé des « départements des ressources humaines » qui ont fini par jouer le même rôle que les commissaires en Union soviétique. Chaque employé d’une entreprise avait un responsable idéologique qui surveillait par-dessus son épaule.
Cela a été un frein considérable pour l’économie américaine et pour la liberté de pensée. À l’ère du DEI, il est dangereux pour une université d’avoir un président aussi curieux intellectuellement que Lawrence Summers. Avoir une présidente comme Claudine Gay était un choix plus sûr. Jusqu’à présent.
La Cour suprême américaine a en quelque sorte aboli la discrimination positive l’été dernier. Cela a-t-il eu un impact sur DEI ?
Vous avez raison de dire « en quelque sorte ». Je ne suis pas sûr que la Cour suprême ait réellement aboli la discrimination positive. Rappelez-vous, l’un des deux cas concernait Harvard. On a présenté au tribunal la preuve qu’un candidat noir appartenant au 30e centile des candidats avait de meilleures chances d’être admis à Harvard qu’un candidat asiatique du même groupe.
L’enthousiasme actuel pour la « diversité » n’est pas le produit d’un changement culturel, mais le fruit d’une coercition gouvernementale, même si elle est bien cachée
La Cour a donc jugé le programme d’admission de Harvard injustifiablement discriminatoire – raciste, pour utiliser un terme démodé. Mais cela ne remet pas en question la philosophie de la « diversité » que l’école utilise pour justifier ce programme. L’affaire n’a donc pas touché le DEI. Comme je l’ai dit, le DEI n’est pas un corps de droit public en vertu duquel les entreprises doivent travailler : c’est l’infiltration d’organisations par des forces de l’ordre idéologiques.
Dans votre livre « The Age of Entitlement », vous montrez que les lois sur les droits civiques ont été utilisées à mauvais escient pour mettre en œuvre une véritable Constitution parallèle. Est-ce la fin de cette époque ? Assiste-t-on aujourd’hui à un retour de pendule ?
Oui et non. Un point de mon livre était de dire que l’enthousiasme actuel pour la « diversité » n’est pas le produit d’un changement culturel, mais le fruit d’une coercition gouvernementale, même si elle est bien cachée.
Le DEI est un système de pouvoir avec un ensemble d’intérêts, déguisé en système de valeurs avec un ensemble de principes. Le système intellectuel s’effondre, mais les pouvoirs d’application des lois sur les droits civiques sont toujours là. Comme dans le cas du communisme soviétique, un système peut perdre toute crédibilité intellectuelle bien avant de perdre sa capacité de coercition et de tyrannisation. Le réfuter ne suffira pas à l’éradiquer. C’est pourquoi la lutte idéologique autour de Claudine Gay a parfois été si brutale.
© Eugénie Bastié
Christopher Caldwell est un journaliste américain, éditeur à la Claremont Review of Books, contributeur au New York Times et membre du comité de rédaction de la revue Commentaire. Il a notamment publié « The Age of Entitlement : America Since the Sixties » (Ed. Simon and Schuster, 2020).
« Poste universitaire le plus prestigieux de la planète » ?…Euh’ non…Redescendez de votre petit nuage aux senteurs de cannabis. Les Universités américaines sont depuis longtemps devenues des Temples de la Haine et de l’obscurantisme. Aux mains des suprémacistes Afro-américains, comme d’ailleurs Hollywood, équivalents « racisés » du KKK. Les universités anglo-saxonnes et Françaises n’ont hélas plus rien de prestigieux depuis longtemps, hormis dans les domaines des sciences dures c’est-à-dire des sciences tout court (physique, mathématiques…) (*) Et même dans ces domaines, les universités des grandes puissances émergentes sont en train de devenir au moins aussi performantes.
Les USA modernes sont un pays complètement obscurantiste.
(*) Et encore d’après certains scientifiques de renom, même les sciences dures sont menacées par l’entrisme des talibans wokistes’en milieu universitaire. Cela mériterait une enquête’approfonfie.