Match retour à domicile.
Le restaurant « La Boule Rouge », faubourg Montmartre. Haut lieu de la gastronomie juive tunisienne.
Mon père venait y jouer au poker avec ses amis dans les années 70.
…
Je rappelle que lors du match aller, mes potes séfarades m’avaient suivi tel le joueur de flûte de Hamelin, chez « Boubalé », le nouveau resto israélo-ashkénaze.
Ils avaient été séduits par le foie haché et les kneidleh. Un peu moins par le raifort, une version pâle de notre harissa, avaient-ils jugé avec un haussement d’épaules hautain.
« C’est sympa ton yiddish, Dani, mais ça ne nourrit pas son homme ! Le prochain resto c’est chez nous »!
…
À la porte de « La Boule Rouge », une mezuzah.
Pour se donner du courage, le seul ashkénaze de notre groupe, Simon, l’a effleuré avec une prière muette.
Car il faut le dire, le challenge ce soir était de déguster un plat de « Akoud ».
Akoud désigne l’attribut viril en judéo-arabe… la verge… la bite quoi.
Il s’agit du pénis du taureau coupé en rondelles mariné dans une sauce rouge à base de cumin, d’ail et d’harissa. Pas de légumes, des tripes l’accompagnent.
Il est conseillé de ne pas doser son cholestérol après un tel repas.
C’est un met de choix, pour connaisseurs, rare sur les cartes. Nous avions fait une commande spéciale au patron de La Boule Rouge.
La plupart d’entre nous n’en avait pas mangé depuis au moins 10 ans.
Simon, lui, n’avait jamais été confronté à un tel plat. Il était en terre inconnue.
Nous étions très émus. Tant de souvenirs de notre enfance en Tunisie refluaient.
Simon était également ému et se demandait si il avait bien fait de venir.
Nous avons été servis par une serveuse accorte, à la poitrine généreuse. Les portions étaient également généreuses.
Au dernier moment, Simon s’est rétracté.
J’ai tenté de le convaincre d’au moins goûter.
J’ai argumenté sur la symbolique de ce plat pour le peuple circoncis.
Il m’a répondu : « Oy vey ! » et a préféré commander une sole.
J’ai trouvé son choix désolant, je ne vois aucune symbolique dans ce poisson plat.
…
La boukha ( eau de vie de figues ) aidant, l’ambiance a été joyeuse et bruyante.
Nous avons parlé des enfants et des petits-enfants, évoqué cette parenthèse enchantée en Tunisie quand nos voisins arabes venaient trinquer avec nous.
Nous nous sommes disputés sur la façon dont il fallait manger la brick à l’œuf, avec les doigts ou avec fourchette et couteau.
Et puis…
Quelqu’un, ou peut-être tous en même temps, a prononcé cette date maudite.
Le 7 octobre.
Et soudain tout a eu un goût de cendres.
© Daniel Sarfati
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