Les textes de cette suite ont été relus par Hannah, une amie de Jérusalem. J’ai reporté ses remarques, entre parenthèses et en italique.
Des moments de l’histoire juive – 2/20
L’attitude des Israélites en Canaan semble avoir été variée. Certains Israélites (peu nombreux) auraient oublié Yahvé pour les baals et les Astartés. Ce qui a dû être beaucoup moins rare et même la règle dans les débuts de l’installation, c’est le culte simultané de Yahvé et des baals. Le dieu du Sinaï restait le guide du peuple mais on rendait hommage aux baals des diverses régions par prudence, considérant que c’était la manière la plus efficace de garantir des récoltes aussi abondantes que possible.
Autre supposition : les Israélites sédentarisés auraient rendu alternativement un culte à Yahvé (au cours des périodes de guerre) et en priorité aux baals protecteurs des champs (au cours des périodes de paix). Cette attitude somme toute naturelle ne prédominera pas et Yahvé se substituera aux divinités locales en commençant par les absorber, un processus qui s’est fait presque sans à-coup.
Le mélange des anciens cultes cananéens avec la religion des arrivants israélites s’est fait d’une manière particulière. Tandis que chez les Philistins les divinités indigènes semblent avoir fini par absorber les dieux des nouveaux venus, en Israël c’est la religion des nouveaux venus qui a la part prépondérante dans cet amalgame. Le sentiment national très marqué chez les Hébreux et leur relative cohésion face à l’émiettement des Cananéens expliquent probablement et en partie ce phénomène ; mais il s’explique plus encore par le fait que Moïse avait déjà formulé et réussi à inculquer que Yahvé devait être le seul Élohim d’Israël.
L’absorption des baals par Yahvé ne semble pas avoir amoindri et corrompu de yahvisme, il semble même en être sorti grandi et enrichi. Yahvé est essentiellement un dieu national qui entretient avec son peuple des rapports d’ordre moral. Il ne devient pas ce que sont les baals dont la vie se confond avec celle de la nature. Les réformateurs religieux finissent par dénoncer comme autant d’emprunts néfastes aux Cananéens les pratiques fétichistes, magiques ou barbares, des pratiques qui avaient été celles des tribus hébraïques nomades à l’époque de la naissance du yahvisme et aux époques antérieures. De même, la prostitution sacrée est combattue et extirpée car en totale contradiction avec la religion des Israélites.
L’absorption d’influences cananéennes ne porte pas préjudice à l’influence du yahvisme et contribue à asseoir le pouvoir de Yahvé qui se substitue peu à peu aux baals ; et la vie agricole ne relève bientôt plus que de Yahvé seul, ce qui confirme Israël dans sa confiance en lui. Les Hébreux sédentarisés gardent une nostalgie plus ou moins marquée des temps nomades. Les prophètes du VIIIème et du VIIème siècles présenteront comme un fait admis de tous que le séjour au désert avait été l’âge d’or des relations entre Yahvé et Israël. L’idéal nomade persistera donc et sera même un ferment qui conduira au mouvement prophétique, une réaction contre la civilisation cananéenne. Hâtons-nous de préciser que ce mouvement prophétique a poursuivi et réalisé bien autre chose que la simple restauration du passé.
La royauté nationale est saluée lors de sa fondation comme une institution non seulement préparée par Yahvé mais suggérée par lui, ce qui n’a rien d’étonnant dans la mesure où en assurant l’indépendance et l’unification des tribus et en donnant géographiquement corps à Israël ces premiers souverains achèvent l’œuvre de Moïse dans sa version politique. Certains déplorent une perte de pureté du culte national, une pureté qui évoque le désert et l’existence nomade. Les rois d’Israël achèvent d’incorporer les Cananéens afin de conforter la solidité politique du pays. Ils multiplient les liens avec les autres cours, ils concluent des alliances et des unions matrimoniales et favorisent même des accommodements avec des cultes étrangers. Ils cherchent à introduire chez eux le faste des souverains des nations.
Certes, la monarchie a largement contribué à introduire en Israël un esprit profane, mais son influence sur la religion des pères n’a pas été que négative. En favorisant la culture générale, une littérature s’est constituée et a profité au yahvisme. L’œuvre centralisatrice des souverains annexe les traditions locales à une tradition nationale systématisée – tradition patriarcale. Des souverains font disparaître des usages que les fidèles tiennent pour des altérations de la religion des pères. Et c’est dans l’idéologie monarchique qu’il faut chercher certaines sources de l’espérance messianique. L’attente messianique c’est aussi la nostalgie de la grandeur de ces premiers rois d’Israël.
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Dans les premiers siècles de leur existence, les royaumes israélites n’ont à lutter que contre des ennemis à leur taille. Il va en être tout autrement avec l’Assyrie, un État militarisé, une organisation de combat. Au VIIIème siècle, les Assyriens sont au faîte de leur puissance. Ils réorientent leurs méthodes de conquête. Ils comprennent que la terreur peut être contre-productive et c’est probablement sous Tiglat Pilèser III qu’est ordonnée la déportation vers une autre région de son royaume de toute l’élite de la nation vaincue et son remplacement par les membres d’une autre nation à mâter. Ce traitement se révèle très efficace, bien plus efficace que la répression brutale employée jusqu’alors. On notera en passant qu’en brassant de la sorte les populations d’Asie et en gommant les frontières, les Assyriens ont facilité malgré eux la fondation des empires babylonien, perse, grec et romain.
Avant la fin du VIIIème siècle, les Israélites avaient eu des contacts avec ces redoutables voisins, des contacts sans suite. Mais la situation s’aggrave sous Tiglat Pilèser III alors que le royaume d’Israël est déchu au point qu’Achaz, fils de Jotam, roi de Juda, appelle à son secours ce souverain assyrien en lui envoyant toutes les richesses du Temple et du palais royal, un appel auquel ce dernier répond probablement en 734. La situation des deux États israélites est dès 732 à peu près désespérée. Tiglat Pilèser III meurt en 727. Lui succède son fils Salmanazar V qui est tué au cours du siège de la cité phénicienne de Tyr. Lui succède en 722 un usurpateur, Sargon II qui déporte 27 290 habitants de Samarie, soit l’élite de la population, et installe à leur place des populations rebelles venues de diverses régions, une politique que poursuivront Assarhaddon puis Assourbanipal.
Les nouveaux venus reçoivent des terres et des demeures ainsi que des privilèges afin qu’ils brident les populations indigènes ; mais ils ne tardent pas à se fondre en elles et à adopter le culte de Yahvé. Mais qu’advient-il des Israélites déportés en Mésopotamie et en Médie ? L’imagination tant savante que populaire a cherché dans les régions les plus diverses (y compris sur le continent américain) la trace des descendants des dix tribus perdues. Ce qui paraît certain : jusqu’au VIIème siècle, il reste encore un bon nombre d’Hébreux dans la région de Mésopotamie où ils avaient été déportés. Il subsistera assez longtemps quelques groupes de descendants de ces déportés autour de Nisibe ; mais la majorité d’entre eux s’était probablement assimilée car sinon comment expliquer que les exilés du royaume du nord n’aient pas sollicité et obtenu de Cyrus l’autorisation de rentrer dans leur ancienne patrie comme les exilés de Juda ou ceux de Goutioum ? (En fait, bien que nous soyons parfois étourdis, nous n’avons pas perdu dix tribus : celles de Juda et de Benjamin se sont réunies en une seule sous la bannière de Juda et celle des Levi était dispersée dans tout le peuple, les Juifs originaires d’Éthiopie descendent de la tribu de Dan, et ceux originaires du Mizoram de la tribu de Manassé.)
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Depuis la guerre de 734 au cours de laquelle Achaz s’était placé sous la protection de Tiglat Pilèser III, le royaume de Juda restait sous la suzeraineté (effective puis nominale) de l’Assyrie. Tandis que les mesures d’annexion touchaient les uns après les autres tous les États voisins, le royaume de Juda accepta sa situation d’humilié et devint le centre de la vie juive. Le déclin de l’Assyrie jusqu’à son anéantissement (soit une période d’une quarantaine d’années) permit à Josias en 622 une proclamation d’indépendance en faisant sortir du Temple pour les détruire tous les emblèmes des cultes astraux de l’Assyrie que Manassé en fidèle vassal y avait déposés. Le rétablissement du Dieu d’Israël dans ses droits exclusifs est le signal d’une restauration nationale. Cette période d’expansion et de liberté pour le royaume de Juda sous le règne de Josias est de courte durée. Dès 609, les désastres vont une fois encore se succéder jusqu’à la ruine totale du dernier État israélite.
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C’est au cours d’une intervention militaire égyptienne destinée à soutenir l’Assyrie à l’agonie, en 609, que Josias trouve la mort (dans des circonstances non éclaircies). Lui succède son second fils, Joachaz, probablement parce qu’il partage les idées politiques de son père. Mais il est vite déposé par le pharaon qui l’exile en Égypte et désigne pour lui succéder le fils aîné de Josias, Élyaqim auquel le pharaon impose un changement de nom (Yoyaqim) afin de mieux souligner son emprise sur lui. La lutte se poursuit sur le territoire de l’Assyrie agonisante (sur les bords de l’Euphrate) entre les Assyro-Égyptiens et les coalisés, Babyloniens et Mèdes. En 605, les Égyptiens sont écrasés par Nabuchodonosor. L’Empire néo-babylonien (ou chaldéen) est fondé. Nabuchodonosor arrive à Jérusalem entre 604 et 600 et trouve sur le trône le fils de Yoyaqim, le vassal rebelle qui se rend aussitôt. Il est exilé en Babylonie avec sa mère, sa cour, les grands du pays, l’armée, les artisans. C’est la première déportation de Juda. En fait partie le prêtre-prophète Ézéchiel. Nabuchodonosor qui a laissé au pays son autonomie pense que cette leçon lui servira. Mais l’effervescence patriotique reprend de plus belle. Des prophètes en nombre annoncent la fin du joug de Babylone et Jérusalem multiplie les négociations à la recherche d’alliés en vue d’une révolte générale. Le parti de la guerre finit par l’emporter parmi les grands du royaume de Juda et en janvier 587 les Chaldéens entreprennent le siège de Jérusalem qui connaît une terrible famine ; en juillet 586, la ville tombe ; le mois suivant, le Temple ainsi que le palais et les belles demeures sont incendiés après avoir été pillés, les murs de la ville sont rasés, quatre-vingt notables dont les principaux prêtres sont exécutés, les habitants rejoignent les déportés de 597. Nombre d’habitants du royaume de Juda passent en Égypte et grossissent les colonies judéennes installées dans le Delta du Nil et jusque dans la Haute-Égypte.
© Olivier Ypsilantis
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