“Disparaître ou lutter les armes à la main, les Israéliens ont-ils un autre choix ?”
ENTRETIEN – Le consensus national en faveur de la poursuite de la guerre montre que la lutte contre le Hamas revêt un enjeu existentiel pour la population israélienne, analyse l’historien.
LE FIGARO. – Le conflit entre Israël et le Hamas promet d’être une guerre longue qui a toutes les chances d’accroître la popularité du Hamas au sein de la population palestinienne, mais aussi de la plupart des nations musulmanes. Partagez-vous cette analyse ?
Georges BENSOUSSAN. – La popularité du Hamas au sein de la population palestinienne à Gaza m’apparaît sujette à caution quand plusieurs signes montrent d’abord une population terrorisée dont une partie murmure sa haine à l’instar de cette vieille femme qui déclare devant la caméra que “tout part dans les souterrains” (sic), volé par les gens du Hamas, ou de ce vieil homme qui cache à moitié son visage en murmurant que “Dieu maudisse le Hamas”.
Que le Hamas soit populaire ailleurs, là où la haine de l’État juif fait fonction d’aphrodisiaque (sic) comme le disait jadis un souverain marocain, c’est certain puisqu’il a mis Israël en échec le 7 octobre. Mais alors que devraient faire les Israéliens ? Ne pas réagir au risque de rendre le Hamas plus populaire encore alors qu’ils voient dans cette organisation une menace existentielle ? C’est ce que montre d’ailleurs l’article 18 de la charte du Hamas (2017) qui assure que “les éléments suivants sont considérés comme nuls et non avenus : la déclaration Balfour, le document du mandat britannique, la résolution des Nations unies sur la partition de la Palestine, et toutes les résolutions et les mesures qui en découlent ou s’y apparentent. La création d’’Israël’ est entièrement illégale et contrevient aux droits inaliénables du peuple palestinien et va contre sa volonté et la volonté de l’oumma”.
Aucune des guerres d’Israël n’avait duré aussi longtemps, ce qui signifie en premier lieu qu’il ne s’agit pas d’une guerre de dévastation aveugle, auquel cas une semaine aurait suffi, mais ciblée par l’aviation, l’infanterie et les blindés israéliens qui avancent pas à pas pour démonter une gigantesque infrastructure de tunnels qui aboutissent au cœur des écoles et des hôpitaux, mais aussi au cœur des maisons les plus anodines où tout est piégé, jusqu’au plus modeste canapé, afin de retarder la destruction de plus de 800 km de tunnels enterrés jusqu’à 60 mètres, une ville sous la ville, câblée, électrifiée, dotée d’un circuit de climatisation et pourvue d’immenses réserves d’armes et de vivres. Une machine de guerre construite depuis seize ans avec les milliards venus du Qatar, de l’UNRWA (ONU) et de nos impôts via l’Union européenne.
Vous êtes sur place. Existe-t-il une différence de perception du conflit entre les Israéliens et les Occidentaux ? Comment l’expliquez-vous ?
La différence de perception, frappante, tient en premier lieu à un filtrage de l’information au vu de présupposés cognitifs et idéologiques. C’est le cas, par exemple, quand certains médias publics français mettent en lumière des faits insignifiants dans la réalité israélienne, mais qui confortent leur vision souvent nourrie d’un schéma colonialiste européen qu’ils projettent sur des situations pourtant radicalement différentes. On entretiendra les auditeurs français du refus de servir de moins d’une dizaine de jeunes Israéliens (pour 350.000 mobilisés). À l’inverse, les milliers d’Israéliens revenus de l’étranger pour s’engager sans avoir été rappelés seront à peine mentionnés, alors qu’ils témoignent d’un consensus national seul à même de rendre compte de l’assentiment de la population à cette guerre longue.
On est frappé en deuxième lieu par une méconnaissance du passé juif en terre arabo-musulmane qui conduit à faire l’impasse sur le rôle central de la dhimma dans la pérennisation de ce conflit, comme le montre l’article 31 de la charte du Hamas, qui assure qu’à “l’ombre de l’islam, les disciples des trois religions, islamique, chrétienne et juive, peuvent coexister dans la sécurité et la confiance”. En termes clairs, un projet de renaissance de la dhimma.
La population israélienne continue à soutenir la guerre malgré les otages, les pertes militaires et les conséquences économiques. Comment expliquez-vous cette détermination ?
Parce que la population israélienne voit dans le Hamas une menace existentielle. Cette organisation n’a pas les moyens de détruire l’État juif, mais elle développe une rhétorique massacreuse qui s’est traduite le 7 octobre 2023 par un déchaînement de violence. De quoi raviver le spectre de l’extermination qu’alimente un “refus arabe” apparemment irréductible. Mais, sans recourir à la mémoire de la Shoah, les Israéliens savent d’expérience (à cet égard, le 7 octobre a sonné comme un retour au réel) ce que signifie cette volonté de les effacer de la surface de la Terre. Depuis la cruauté des tueries de 1929 et l’assassinat des civils juifs en 1948 dont témoignait Amos Oz dans “Une histoire d’amour et de ténèbres”: “Toutes les localités juives tombées entre les mains arabes au cours de la guerre d’indépendance furent sans exception rayées de la carte (…). Dans les territoires conquis, les Arabes procédèrent à une purification ethnique bien plus radicale que celle que les Juifs pratiquèrent au même moment. (…) Sur la rive occidentale du Jourdain et dans la bande de Gaza (…), il n’y avait plus un seul Juif. Leurs villages avaient été anéantis, les synagogues et les cimetières détruits”. Quand ils réduisent l’histoire longue du conflit à la seule tragédie de la Nakba, les Occidentaux ignorent cette conscience nationale israélienne.
L’objectif d’anéantir le Hamas vous semble-t-il crédible ? Peut-on éradiquer une idéologie ?
Les Israéliens n’ont jamais prétendu éradiquer l’idéologie du Hamas, ils entendent seulement briser une menace immédiate, conscients que cette idéologie survivra à la défaite militaire du Hamas. Mais ce n’est pas parce que l’on n’éradique pas une idéologie par les armes qu’il ne faut pas s’en défendre par les armes.
Faute de perspective de paix, comme le montre la mobilisation de « l’opinion arabo-musulmane » dès le 7 octobre alors que l’État juif venait d’encaisser les coups que l’on sait, sauf à prendre le parti de disparaître, quel choix reste-t-il aux Israéliens sinon celui de lutter les armes à la main. A fortiori parce qu’ils savent qu’au moindre signe d’affaiblissement, un nouveau 7 Octobre, de plus grande ampleur, cette fois peut-être à l’échelle du pays, pourrait les mettre à mort.
À long terme, ne faudra-t-il pas en passer par une solution politique ?
C’est l’évidence, à la condition de rappeler qu’il ne peut y avoir de solution politique si on dénie toute légitimité à l’une des deux parties, auquel cas il n’y a d’autre horizon que la guerre jusqu’à ce que l’ennemi décrété illégitime (“l’entité sioniste” pour reprendre la sémantique du Hamas) ait disparu de la surface de la Terre. C’est ainsi qu’à l’échelle du temps long, on est frappé par la permanence du refus “arabe” d’une solution à deux États : plutôt que d’accepter la légitimité de l’État juif, il n’y a pas eu d’État arabe de Palestine, comme le montrent les refus de 1937, de 1947, de 2000 (Camp David), de 2001 (Taba) et 2009 (plan Olmert).
Comme si la fin du conflit signifierait l’acceptation définitive du fait national israélien. C’est là la pierre d’achoppement qui rend ce conflit insoluble et qui nourrit en retour un messianisme juif qui, autiste à la réalité nationale palestinienne, menace la cohésion de la société israélienne comme la pérennité de l’État.
© Alexandre Devecchio © Georges Bensoussan
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