
Le Contexte
Ce que les médias bien-pensants hésitent à aborder dans le conflit actuel: l’Ukraine peut-elle ne pas gagner la guerre ? Ses divers soutiens politiques avaient répondu par avance à la question. L’Ukraine gagnera et aucun n’a voulu envisager une autre issue. Pourtant, tout le monde sait bien que les conflits se terminent tous par des négociations, ou des cessez le feu, certains temporaires et d’autres qui durent. La guerre de Corée a donné naissance à deux Corée. Le conflit entre l’Inde et le Pakistan couve depuis 75 ans dans la région frontière du Cachemire. L’Arménie et l’Azerbaïdjan s’affrontent depuis des décennies mais concluent des accords. Au Yémen rebelles et gouvernement s’affrontent. Israël et Liban observent depuis des lustres un paix précaire, beaucoup moins actuellement, Hezbollah oblige.
La fameuse offensive de printemps longtemps annoncée tant par l’Ukraine que par ses alliés, américain et européens, n’a pas eu lieu. Le front actuel entre les belligérants est gelé au propre comme au figuré. Sur le terrain, la Russie a consolidé ses avantages, tandis que les troupes de Kiev s’efforcent d’obtenir quelques avancées plus psychologiques que stratégiques. C’est la guerre des tranchées et de la désinformation.
En réalité, en 2024 la situation a changé. Les alliés sont fatigués, les États-Unis entrent dans une année électorale incertaine quant au résultat.
La promesse faite au président Zelensky d’ouvrir la négociation en vue de son entrée dans l’Union Européenne ne doit tromper personne. Cela ne signifie pas que l’Ukraine siègera demain à Bruxelles. Il s’agit d’abord d’un effet d’annonce destiné à redonner le moral aux Ukrainiens qui en ont bien besoin. Le pays subit depuis plus de deux ans une destruction systématique et massive qui ne veut pas dire son nom. Le gouvernement évite de publier les chiffres des victimes, des blessés ou mutilés de retour du front, les hôpitaux sont débordés.
Parallèlement l’Ukraine pensait pouvoir rejoindre l’Otan. Ce qui n’est pas possible en temps de guerre. De plus, ce qui entrainerait la totalité des européens dans une vraie guerre conformément à l’article V du traité. Pour l’instant dans un environnement complexe, les Européens n’y sont pas vraiment prêts : inflation, immigration invasive, conflit du Moyen Orient, course nucléaire iranienne, déficit budgétaire important, élection européenne de juin, américaine en novembre, élections régionales allemandes également.
Ce qui pose immédiatement la question majeure : qui veut mourir pour l’Ukraine ? (Ce qui nous rappelle le « Qui veut mourir pour Dantzig » de la deuxième guerre mondiale). La participation financière qui n’a cessé d’augmenter. Elle atteint les fameux 2% du PIB de chaque pays, réclamé par l’Amérique dans le budget de l’Otan. De plus l’UE participe de façon massive au financement de la guerre. Ce qui en fait pour finir le premier contributeur.
Les avantages de l’Ukraine face à la Russie
Le pays a une profondeur stratégique qui réduit raisonnablement la portée de attaques aériennes russes sans l’éviter en totalité. Ses frontières terrestres avec quatre membres de l’Otan (Pologne, Slovaquie, Roumanie et Hongrie) facilitent les problèmes logistiques. La Russie hésitera avant de frapper un pays membre de l’Otan. Le soutien bulgare et roumain en mer noire a permis à l’Ukraine de chasser des navires russes. Dans l’immédiat, il a été décidé de renforcer les bases existantes et de positionner des troupes supplémentaires. L’Allemagne doit envoyer 5.000 hommes en Lituanie. Elle est en pointe tant pour le financement qu’elle veut doubler en 2024 que pour l’élargissement des fournitures militaires. Ce qui ne règle pas tout. Pour véritablement renverser la situation, cela impliquerait une très importante mise à nouveau et un saut technologique massif que les États Unis ou l’Europe n’ont pas décidé dans l’immédiat.
Berlin qui est déjà le plus grand fournisseur d’armes après Washington veut doubler la mise et a promis de livrer des armements pour 17 milliards d’Euros.
Ce sont les producteurs d’armes allemands qui en bénéficient largement. De très importantes commandes ont été passées pour des centaines de milliers d’obus de mortier, des grenades, plusieurs systèmes de défense anti aérienne IRIS-T. Berlin vient aussi de donner son accord pour la livraison d’avions de combat F16.
Les handicaps de Kiev
En revanche sa frontière de près de 1.000 kms avec la Russie l’expose très largement aux attaques des missiles russes.
Les fameux chars Leopard n’ont pas tenu leur promesse. Ils ont facilement été neutralisés par les Russes. Le G7, l’Otan ont réalisé que les bonnes intentions, voire les financements massifs comme celui de 50 milliards de dollars retardés fin 2023 à Washington, ne permettent pas aux alliés de fournir des garanties suffisantes de sécurité à l’Ukraine. Ce que la Russie a parfaitement intégré à l’heure actuelle. Cette question demeure un nœud qui n’a pas été tranché, car tôt ou tard, elle entrainerait une présence militaire – quelle que soit son importance – sur le territoire ukrainien. C’est un pas que les stratèges de la Maison blanche ou ceux de l’Europe n’ont pas décidé de franchir.
Le président Zelensky a déclaré avoir déjà établi un plan en vue de lancer une « offensive au printemps 2024 ». Cette annonce est contredite par le chef d’état-major ukrainien Valery Zalushny qui fait référence à la situation de la première guerre mondiale, la guerre des tranchées qui fit 4 millions de victimes. Pour lui son armée ne peut pas vaincre la Russie. Washington est de plus en plus sceptique sur la capacité militaire de l’Ukraine à remporter même des gains importants face au dispositif de Moscou.
Les perspectives du conflit, poursuite ou fin du conflit
Dans une situation mondiale et européenne extrêmement volatile et dangereuse, on ne voit pas un pays européen se déclarer en guerre avec la Russie et appeler ses citoyens à combattre sur le front face à la Russie. Le souvenir de l’échec de Napoléon reste dans toutes les mémoires.
En réalité, il n’y a réellement que deux options qui s’offrent :
Admettre que l’Ukraine ne peut pas gagner cette guerre et entamer des négociations notamment par les États-Unis et l’UE ou se lancer dans un assaut massif face à la Russie avec le risque d’y laisser ses dernières forces et de ne plus pouvoir négocier quoi que ce soit. L’Ukraine avec ses 40 millions d’habitants a déjà payé un lourd tribut sans vouloir l’avouer. Ses forces vives, sa jeunesse en paient le prix au quotidien, la population soufre de plus en plus devant les envois quotidiens de missiles russes. Les occidentaux ont suggéré au président ukrainien de négocier avant de subir un effondrement total du pays.
Dans une éventuelle négociation, il apparaît que les États-Unis ont un intérêt à rétablir une situation très compromise par les sanctions imposées à Moscou. Il en va de même pour l’UE. D’ailleurs on retire des différentes phases actuelles que l’Amérique ne croit plus à une victoire totale sur la Russie, ni qu’elle la veuille vraiment. Elle rechercherait plutôt un nouvel accord qui rétablirait une forme actualisée du statut antérieur. On ne peut imaginer que l’UE et les États-Unis au-delà puissent continuer à ignorer la Russie et à ne plus avoir de relations avec ce pays grand producteur de pétrole et de gaz, grand client de l’Europe par ailleurs.
Mais il est vrai, c’était « avant ». Ce serait pour l’UE la première occasion de jouer un rôle important dans un nouvel équilibre indispensable en Europe, si ses membres sont capables de s’entendre sur cet objectif. Car jusqu’à maintenant la politique étrangère de l’Union présente un bilan très peu convaincant en raison de la multiplicité des positions adoptées par ses principaux membres et les déclarations de son Haut représentant prompt à faire des déclarations sans portée réelle. La prochaine élection du 9 juin sera peut-être cette opportunité, si les Européens deviennent plus réalistes et volontaires et cessent à tour de rôle de vouloir se différencier à chaque occasion.
© Francis Moritz
Francis Moritz a longtemps écrit sous le pseudonyme « Bazak », en raison d’activités qui nécessitaient une grande discrétion. Ancien cadre supérieur et directeur de sociétés au sein de grands groupes français et étrangers, Francis Moritz a eu plusieurs vies professionnelles depuis l’âge de 17 ans, qui l’ont amené à parcourir et connaître en profondeur de nombreux pays, avec à la clef la pratique de plusieurs langues, au contact des populations d’Europe de l’Est, d’Allemagne, d’Italie, d’Afrique et d’Asie. Il en a tiré des enseignements précieux qui lui donnent une certaine légitimité et une connaissance politique fine.
Fils d’immigrés juifs, il a su très tôt le sens à donner aux expressions exil, adaptation et intégration. © Temps & Contretemps