Le journaliste israélien Gideon Levy est l’un des critiques les plus virulents, peut-être le plus virulent, de la politique d’Israel. Il s’est déplacé chaque semaine depuis 35 ans dans les territoires palestiniens et a publié dans Haaretz des témoignages présentant l’occupation israélienne et de façon plus générale les Israéliens eux-mêmes- sous l’aspect le plus sombre.
Ses détracteurs ont souligné que Gideon Levy n’enquêtait pas sur la véracité des épisodes qui lui étaient rapportés, et il a rétorqué que le plus important était d’être le porte parole auprès des Israéliens des Palestiniens opprimés. On a remarqué qu’il ignorait l’arabe et qu’il était à la merci des manipulations de ses correspondants, on a été choqué par ses exagérations, comme quand en 2003, il a raconté que les soldats de Tsahal avaient tiré sur le taxi où il se trouvait, comme ils le faisaient tous les jours sur des taxis palestiniens. Il avait dû faire amende honorable quand on a prouvé que cela était rarissime, mais le mal était fait et des milliers de lecteurs anglophones ont lu que les soldats israéliens tirent sur des Palestiniens innocents, juste pour passer le temps.
Cela n’a pas empêché la ville de Tel Aviv de décerner en 2021 à Gideon Levy le prestigieux Prix Nahum Sokolov du journalisme, un témoignage, pour le moins, de l’ouverture d’esprit de la société israélienne. Gideon Levy reconnait qu’il fait son travail en toute liberté, mais par un retournement argumentaire très typique, en conclut qu’Israël n’est une démocratie que pour les Juifs.
Les distorsions des faits auxquelles s’est livré Gideon Levy ont été en particulier pointées par le journaliste Ben Dror Yemini, issu de la gauche israélienne modérée, qui est en fait l’ennemi majeur de Gideon Levy.
Dans le monde anglo saxon, en Angleterre particulièrement, Gideon Levy est une star. Il a soutenu Jeremy Corbin et il vient d’écrire une lettre ouverte affectueuse à Roger Waters, de Pink Floyd, où en toute amitié il lui demande d’admettre que les meurtres du 7 octobre ont été barbares, et que ce ne sont pas des Israéliens qui les ont commis. J’ai cru alors qu’il avait ouvert les yeux. Ce n’était pas le cas et ayant écouté une longue interview de lui par un site britannique musulman modéré, j’ai trouvé qu’il y aurait peut-être un bon usage à faire des déclarations de Gideon Levy, car elles représentaient une synthèse de l’argumentation anti-israélienne actuelle: le poids des images, la dichotomie oppresseurs/opprimés, fort/faible, les ressorts émotionnels immédiats et les arguments d’autorité sont bien plus efficaces aujourd’hui que les discussions érudites sur les subtilités linguistiques de la résolution 242 du Conseil de Sécurité de l’ONU ou sur le régime foncier de l’Empire turc.
Gideon Levy parle du caractère barbare des événements du 7 octobre et qu’il comprend même qu’Israël ait voulu se venger. Mais, et le mais vient très vite, il ne s’appesantit pas sur ces massacres et contrairement à la plupart de ses amis de la gauche radicale, qui l’ont beaucoup déçu en cela, il n’y voit pas de raison de modifier sa grille de lecture du conflit.
Ces actes barbares- il n’utilise pas le terme « terroristes »- sont pour lui la réaction naturelle d’un peuple mis en cage, à qui on ne peut pas demander de se conduire avec élégance. Ce que d’autres appellent le « contexte » …
La préméditation, la diffusion video et son recueil enthousiaste par la population, le fait que plusieurs des victimes avaient été engagées dans le soutien aux Palestiniens, tout cela ne l’intéresse pas. Son postulat est que les Israéliens ont déshumanisé les Palestiniens et que cela a entrainé en retour une déshumanisation des Palestiniens envers les Israéliens. Pour Gideon Levy, le conflit est par ailleurs politique et territorial et un caractère religieux, dont il dit qu’il touche de la même façon les Israéliens et les Palestiniens, s’y est greffé récemment. Il n’a peut-être pas lu la Charte du Hamas et il ne sait pas que la création des Frères Musulmans, la maison mère du Hamas, date de près de 100 ans…..
En retirant les Israéliens de Gaza et en mettant en cage ses habitants dans une prison où les geôliers sont à l’extérieur, Sharon aurait eu pour objectif de faciliter les implantations israéliennes en Cisjordanie, en aggravant la division entre les Palestiniens. À aucun moment, Gideon Levy ne signale que le coup de force du Hamas, qui a suivi le départ des Israéliens, a été particulièrement sanglant pour le Fatah.
La description qu’il fait de cette « mise en cage » est d’ailleurs bien peu convaincante: les individus ne peuvent pas entrer et sortir, rencontrer leur famille en Cisjordanie, le commerce extérieur est contrôlé par les Israéliens et finalement la jeunesse est déprimée devant l’absence de perspectives. Gideon Levy a décidé que le siège de Gaza était particulièrement inhumain, mais il ferait bien aujourd’hui de s’intéresser à ce que peut ressentir un Ouïgour, un Tibétain, un Coréen du Nord ou une Afghane. A aucun moment il n’évoque l’emprise impitoyable du Hamas, les dizaines de milliers de permis de travail et les transferts d’énergie accordés par Israël, ni l’argent qui a circulé en masse et qui, dans cette prison soi-disant dénuée de tout, a permis de bâtir de belles résidences pour les chefs, de construire des centaines de kilomètres de réseaux souterrains et de développer une fabrication d’armes frénétique.
La guerre de Gaza et les destructions qu’elle entraine sont aujourd’hui la cause essentielle à l’hostilité envers Israël, y compris chez des gens qui n’étaient pas jusque-là des israélophobes patentés. Il ne suffit pas de rappeler, ce qui est vrai, que le nombre de victimes civiles est toujours élevé dans des conflits en zone urbaine, qu’Israël essaie de limiter les morts civiles et encore moins de prétendre qu’il n’existe pas de Gazaouis innocents. Non; cette guerre est une tragédie humaine. Ce n’est pas la seule et je ne sais pas si les critiques sont particulièrement virulentes parce que des Juifs y sont mêlés. Mais ce qui est sûr, c’est que le premier responsable de cette guerre est le Hamas.
C’est le Hamas qui l’a voulue le 7 octobre et qui n’a jamais caché son but de faire disparaitre Israël. C’est le Hamas qui a exposé ses civils pour que leur mort serve sa propagande, c’est le Hamas qui a caché ses forces de telle sorte que les bâtiments sont des entrées de tunnels, ne laissant aux Israéliens que le choix du bombardement, sauf à accepter que leurs propres soldats soient canardés dans les dédales des immeubles, ce qu’aucune armée au monde n’aurait accepté. Pour Israël, il s’agit d’une guerre existentielle. Mais mettre le Hamas hors d’état de nuire, c’est aussi contenir en Europe la troisième poussée islamique de l’histoire, après celle des Arabes au 7e siècle et cuelle des Turcs au 15e.
Tout cela, Gideon Levy refuse de le voir. Il accepte les chiffres fournis par le Hamas, même s’il admet qu’ils puissent être exagérés. Ces 18 000, 20 000 ou 22 000 morts, qu’importe, sont tous pour lui des victimes civiles, il a oublié qu’il existe aussi des combattants du Hamas. Il prétend que 8000 enfants ont été tués, que presque tous sont de très jeunes enfants, dont 160 bébés tués en une seule journée. On ne sait pas d’où il tire ces informations.
Dans cette situation moralement insupportable, il appelle la communauté internationale à sévir très fortement contre Israël. Cette posture lui vaut évidemment un label humaniste et lui attire les compliments des internautes qui le qualifient de sage et de prophète. Quand il s’agit de dénoncer sans tirer les conséquences de ces dénonciations, à savoir la victoire du Hamas, comme il est confortable de jouer au moraliste! Aurait-il eu le loisir de vanter sa morale humaniste laïque dans un pays dominé par les Frères Musulmans?
Gideon Levy prétend que jamais les Palestiniens, dont il admet qu’ils ont peut-être eu tort de refuser le plan de partage de 1947, n’ont reçu de proposition de paix honnête. Ni celle de Clinton à Camp David rejetée par Arafat, ni celle de Olmert rejetée par Mahmoud Abbas en 2008 ne l’étaient, en particulier parce qu’il il n’y a aucune raison pour que l’Etat palestinien soit démilitarisé si l’Etat d’Israël ne l’est pas. Gideon Levy vit dans un monde de bisounours palestiniens.
Je pense qu’il s’est commis, qu’il se commet encore, des exactions à l’égard des Palestiniens et que ces exactions devraient être punies sans faiblesse. Je pense aussi que certains Israéliens ont développé ce sentiment de supériorité que les Grecs appelaient « hubris » qui a joué une rôle dans les négligences qui ont mené au 7 octobre. Cela justifie l’alerte, mais pas la généralisation.
Gideon Levy fait en outre trois déclarations particulièrement inacceptables..
Il dit que les Juifs israéliens ont été élevés à se penser comme le peuple élu, comme les victimes éternelles de l’histoire et enfin à considérer les Palestiniens comme des êtres humains d’une catégorie inférieure, envers qui les Israéliens auraient le droit de tout faire sans s’encombrer de considérations morales
J’ignore quelle éducation M. Gideon Levy a reçue, mais ces trois assertions essentialisantes sont non seulement fausses, mais abjectes. Un non-juif qui les proférerait serait qualifié, à juste titre, d’antisémite de la pire espèce.
Israël a connu un lanceur d’alerte controversé, qui a mis en garde contre les ravages spirituels de la colonisation, c’était Yeshayahu Leibowitz, qu’on a surnommé le « prophète de la colère ». Sa pratique religieuse stricte contrastait avec celle de Gideon Levy et son domaine était celui de la philosophie. Pour un journaliste, la première obligation est celle de la vérité documentaire. Là-dessus, Levy a trop souvent failli, il s’est livré à trop de contorsions interprétatives et de généralisations scandaleuses, en particulier son obsession à retrouver les aspects du nazisme dans le comportement des Israéliens, pour qu’on accorde une crédibilité à ses thèses.
Elles font des Palestiniens des victimes permanentes et des Israéliens des oppresseurs par nature: elles ont évidemment tout pour plaire au wokisme ambiant.
En revanche, la dissection critique du discours de Gideon Levy peut être utile à la défense d’Israël…
© Richard Prasquier
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