La guerre à Gaza est loin d’être terminée. Plutôt que d’attaquer l’armée pour son enquête interne, le gouvernement devrait établir sans délai une commission d’enquête d’État
Opinion de TAL SCHNEIDER – Times of Israel
La décision du chef d’état-major de Tsahal, Herzi Halevi, de constituer une commission chargée d’enquêter sur les échecs militaires qui ont conduit à l’assaut dévastateur du Hamas le 7 octobre aurait dû être prise il y a longtemps – et certainement pas trois mois après le début des hostilités.
L’équipe rassemblée par Halevi est à la hauteur de la tâche. L’ancien chef d’état-major de Tsahal, Shaul Mofaz, est en effet bien placé pour évaluer les performances de son successeur, Halevi. L’ancien chef du Directorat des Renseignements militaires, Aharon Ze’evi-Farkash, l’ancien chef du Commandement du Sud, Sami Turgeman, et l’ancien chef du Directorat des Opérations, Yoav Har-Even, qui ont également été nommés dans l’équipe chargée de l’enquête, ont également l’expérience nécessaire pour mener à bien cette tâche.
Aucun ancien chef d’état-major de Tsahal autre que Mofaz n’aurait pu remplir cette fonction, étant donné que les autres – Ehud Barak, Moshe Yaalon, Gabi Ashkenazi, Dan Halutz, Benny Gantz, Gadi Eisenkot et Aviv Kohavi – sont inéligibles à ce poste : Barak, Halutz et Yaalon comptent parmi les plus farouches opposants au gouvernement du premier ministre Benjamin Netanyahu ; Gantz et Eisenkot font partie de l’actuel cabinet de guerre, et Kohavi est exclu par défaut, puisqu’il était chef d’état-major de Tsahal jusqu’à il y a environ un an. Il ne reste donc que Gabi Ashkenazi et Mofaz. Ashkenazi était un membre éminent de l’ancien parti de Gantz, Kakhol lavan, jusqu’à il y a environ un an et demi.
Les critiques formulées à l’encontre de Mofaz par les ministres de droite lors de la réunion du cabinet de sécurité de jeudi sont absurdes : ils estiment que, en sa qualité de chef de Tsahal à l’époque et ayant participé au désengagement de Gaza en 2005, Mofaz est par conséquent mal placé pour enquêter sur les échecs du 7 octobre.
Or, Netanyahu a également été impliqué dans le processus de désengagement. Il a apporté son soutien au désengagement dans une série de votes avant de démissionner de son poste de ministre des Finances du gouvernement d’Ariel Sharon peu de temps avant celui-ci. Est-ce que cela le disqualifierait pour la prise de décision ?
Mofaz a pris ses distances avec la politique il y a de nombreuses années et n’apparaît que rarement dans les médias depuis lors. Il est connu du grand public comme une personne digne de confiance et bienveillante. Il n’a participé à aucune campagne de diffamation contre le Premier ministre dans les médias.
Le problème principal de la commission d’enquête annoncée par Halevi, si tant est qu’il y en ait un, est que jusqu’à présent, elle n’est composée que d’hommes.
En Israël, une loi[lien en hébreu] sur l’égalité des droits entre les genres préconise [lien en anglais] « une représentation adéquate au sein de toute commission gouvernementale d’inspection, d’enquête ou publique, ainsi qu’au sein de l’équipe chargée de l’élaboration de la politique nationale ».
Bien que le libellé de la loi ne précise pas de manière explicite que l’obligation d’inclure des femmes dans les commissions au sein de Tsahal s’applique dans ce cas, compte tenu du climat actuel, le chef d’état-major de Tsahal aurait dû comprendre qu’il était inapproprié de constituer cette équipe sans la moindre femme à des postes de responsabilité. L’équipe est composée de quatre personnes ; n’y aurait-il aucune femme au sein de l’establishment de la Défense qui possède les qualifications nécessaires ?
Au lieu de passer la réunion du cabinet de jeudi à discuter de l’impératif et des avantages d’une enquête immédiate, les ministres ont perdu un temps précieux à attaquer le chef d’état-major de Tsahal. L’enquête interne de Tsahal est essentielle à l’opération militaire en cours à Gaza ; comme indiqué, elle aurait dû être lancée il y a plusieurs semaines.
Alors que certains ministres ont attaqué Halevi pour avoir mis en place cette commission alors que la guerre contre le Hamas est en cours, le contrôleur de l’État Matanyahu Englman a déjà lancé une gigantesque enquête sur les nombreuses lacunes qui ont été constatées avant, pendant et après le massacre perpétré par le groupe terroriste du Hamas, le 7 octobre dernier. L’enquête couvrira les activités à tous les niveaux – politique, militaire et civil.
L’enquête interne de Tsahal, qui n’a que trop tardé, est essentielle pour réactualiser les perceptions et les évaluations de l’armée. Les enquêtes sont plus utiles et plus fiables lorsqu’elles sont menées rapidement.
Il n’est certainement pas évident d’enquêter sur des officiers en temps de guerre, mais la commission d’enquête peut – au minimum – déjà établir l’infrastructure de l’enquête, en examinant les documents et en commençant à interroger toutes les personnes qui sont actuellement disponibles.
Une commission d’enquête nationale
En plus de l’enquête opérationnelle interne de Tsahal, Israël devra bientôt mener une véritable enquête nationale.
Depuis le premier mois du conflit, Netanyahu répète qu’une commission d’enquête nationale sera mise en place à la fin de la guerre et que tout sera examiné à ce moment-là. Quand cela se terminera-t-il ? Personne ne le sait. Après tout, la guerre à Gaza entraînera presque certainement une guerre dans le nord avec le groupe terroriste chiite libanais du Hezbollah.
Par ailleurs, la guerre à Gaza ne semble pas près de s’achever non plus. La réduction actuelle des troupes terrestres est loin de signifier que le Hamas a été démantelé. Tsahal continuera donc à mener des missions ciblées, que ce soit sur le terrain ou depuis les airs.
À en juger par le rythme des enquêtes en cours – l’une sur l’affaire du sous-marin et l’autre sur le désastre de Meron – les résultats prendront au moins cinq ans. D’une manière ou d’une autre, cette commission d’enquête, présidée par un haut magistrat, doit donc être mise en place immédiatement.
Le temps passe et la mémoire se brouille. La portée de l’enquête d’État sera énorme – le rôle joué par les équipes de protection civile dans les communautés envahies le 7 octobre, l’absence de forces militaires substantielles, les échecs des services de renseignement, la facilité avec laquelle la barrière frontalière a été franchie, les années de versements au Hamas, son armement continu et le renforcement de son régime terroriste – tout cela, et bien d’autres choses encore, devra être pris en compte. Trois mois se sont écoulés. C’est déjà trop long.
Netanyahu fera tout ce qui est en son pouvoir pour éviter de nommer un juge de la Cour suprême à la tête de la commission d’État et tentera même de suivre les traces de l’ancien Premier ministre Ehud Olmert, en créant une commission d’enquête de la Knesset moins puissante, dirigée par un juge à la retraite (pas nécessairement de la Cour suprême). Il se souviendra certainement de la commission Winograd sur les échecs de la deuxième guerre du Liban en 2006, un organe qui avait le même mandat qu’une commission d’État et qu’il a utilisé pour attaquer Olmert dans un discours lors de la séance plénière de la Knesset en mai 2007 :
« Nous pensions avoir aux commandes quelqu’un en qui nous pouvions avoir confiance, mais il n’y avait pas de leadership… le leadership a échoué deux fois : il a échoué dans l’exécution et il a échoué dans sa perception erronée de la réalité – et cela, bien avant le début de la guerre.
Le temps est venu de rectifier le tir, de retrouver notre force et notre pouvoir de dissuasion ; plus l’échec est cuisant, plus la nécessité d’une véritable réparation s’impose. Mais ceux qui ont échoué sont incapables d’y remédier… Le rapport a révélé de graves lacunes auxquelles nous devons remédier immédiatement, et avant tout nous devons remédier à la principale d’entre elles : l’absence de leadership. »
Netanyahu ne prononcera certainement pas à son encontre les critiques qu’il a formulées (à juste titre) à l’encontre d’Olmert. Il devra néanmoins procéder à la mise en place du même type de commission d’enquête puissante, dirigée par un juge de la Cour suprême à la retraite.
Plusieurs candidats sont en lice pour ce poste, en plus de l’ancien président de la Cour suprême Asher Grunis, qui est probablement impliqué jusqu’au cou dans l’enquête sur l’affaire des sous-marins. Notons au passage que cette enquête fêtera son deuxième anniversaire à la fin du mois, sans que les médias n’aient reçu la moindre information sur ses conclusions, ni de mise à jour écrite, ni de rapport intérimaire, ni même de date prévue de fin d’enquête.
© Michel Jefroykin © Tal Schneider
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