Yves Mamou. Vider Gaza de sa population ?

Itamar Ben Gvir et Betsalel Smotrich. © Flash90

Est-ce bien raisonnable de parler d’épuration ethnique comme l’a fait Itamar Ben Gvir alors que la guerre n’est pas finie et que le monde entier s’apitoie sur le « pauvre palestinien », innocente victime de guerre.

Les condamnations n’en finissent plus de pleuvoir sur Itamar Ben Gvir, ministre sioniste religieux de la coalition Netanyahou. La France, les Etats Unis, la Grande Bretagne, la gauche israélienne et internationale lui tombent dessus à mots pas du tout raccourcis. 

Qu’a dit ce dingue de si moralement répréhensible ? Qu’Israël devait s’organiser avec les pays amis pour transférer hors de Gaza autant de Palestiniens qu’il est possible. « Encourager l’émigration de centaines de milliers de personnes de Gaza permettra aux résidents (israéliens) de rentrer chez eux (à la lisière de Gaza) et de vivre en sécurité tout en protégeant nos soldats », a écrit Itamar Ben Gvir sur le réseau social X.

Il a été rejoint dans ses propos par Bezalel Smotrich, autre ministre sioniste religieux, qui a déclaré: « Un petit pays comme le nôtre (Israel) ne peut se permettre une réalité où, à seulement quatre minutes de nos localités, il existe un foyer de haine et de terreur (Gaza), où deux millions de personnes se réveillent chaque matin avec le désir de détruire l’État d’Israël ».

Ce genre de propos pose deux types de problèmes : politiques et moraux. Politiques, car la guerre n’est pas achevée, ni la victoire militaire sur le Hamas totalement acquise. Evoquer un après-guerre aussi radical a pour seule conséquence de choquer sans faire avancer une quelconque solution. Rappelons d’autre part que le soutien militaire des Etats Unis – totalement vital – est conditionné aux efforts consentis par Israël pour épargner autant de vies qu’il est possible à Gaza. Israel doit faire la guerre en sacrifiant au mythe occidental que le Palestinien est « innocent »  des crimes des dirigeants qu’il s’est donné. Dans ces conditions, parler d’évacuer la population arabe de Gaza est au mieux, malavisé. Au pire, totalement contreproductif.

Les propos de Ben Gvir ont aussi une portée amorale. Il n’est pas admissible de transférer des populations pour s’accaparer leur territoire. Les différentes conventions de Genève interdisent formellement tout type d’épuration, surtout quand il s’agit d’une épuration ethnique. Ben Gvir et Smotrich ne devraient donc pas dire tout haut ce que pense la majorité des Israéliens tout bas, à savoir qu’après le 7 octobre, la cohabitation entre Juifs et Arabes n’est pas possible. Et comme les Juifs n’entendent pas céder du terrain, et qu’ils sont persuadés que leur retour sur la terre d’Israël est légitime, ce sont les Arabes qui doivent payer le prix de leur rejet des Juifs. Ils devront partir. Dire cela alors que la guerre n’est pas finie et que le wokisme règne en maître dans les chancelleries occidentales, apparait comme « raciste ». 

Donc Ben Gvir a eu tort d’ouvrir la bouche, un tort politique et un tort moral. 

L’épuration ethnique est-elle sioniste ?   

La question qui se pose à l’Etat d’Israel est aujourd’hui la suivante : si, 75 ans après la création de l’Etat Hébreu, le rejet arabe confine toujours au génocide, quelle peut être la solution ? Un peu d’histoire peut permettre d’élaborer une réflexion. 

© Bertrand Guay

Tout d’abord, il n’est pas inutile de rappeler que les propos de Ben Gvir ne sortent pas du cerveau politique d’un malade mental. Ils s’inscrivent en réalité dans une réflexion menée par Ben Gourion lui-même. Dans une interview accordée au journal Haaretz en 2004, l’historien Benny Morris, spécialiste de la guerre d’indépendance d’Israël, explique que Ben Gourion a mené une politique délibérée et systématique d’expulsion massive des populations arabes. 

« A partir d’avril 1948, Ben Gourion projette un message de transfert. Il n’y a pas d’ordre écrit explicite de sa part, il n’y a pas de politique globale ordonnée, mais il y a une atmosphère de transfert [de population]. L’idée de transfert est dans l’air. L’ensemble des dirigeants comprend que telle est l’idée. Le corps des officiers comprend ce qu’on attend d’eux. Sous Ben Gourion, un consensus sur le transfert est créé ».

« Ben Gourion était un transfériste », demande, stupéfait, le journaliste de « Haaretz » ?

« Bien sûr, répond Benny Morris. Ben Gourion était un transfériste. Il comprenait qu’il ne pouvait y avoir aucun Etat juif avec une minorité arabe importante et hostile en son sein. Un tel Etat n’existerait pas. Il ne pourrait pas exister ».

« Je ne vous entends pas le condamner », intervient à nouveau le journaliste de « Haaretz ».

« Ben Gourion avait raison », affirme Benny Morris. « S’il n’avait pas fait ce qu’il a fait, aucun État n’aurait vu le jour. Cela doit être clair. Il est impossible d’y échapper. Sans le déracinement des Palestiniens, un État juif ne pourrait pas exister ».

« Une société qui a pour but de vous tuer vous oblige à la détruire », poursuit Benny Morris. « Quand le choix est entre détruire ou être détruit, mieux vaut détruire. Certaines circonstances dans l’histoire justifient le nettoyage ethnique. Je sais que ce terme est complètement négatif dans le discours du 21ème siècle, mais quand le choix est entre le nettoyage ethnique et le génocide – l’annihilation de votre peuple – j’opte pour le nettoyage ethnique ». 

« Un État juif n’aurait pas pu être créé sans déraciner 700 000 Palestiniens. Par conséquent il était nécessaire de les déraciner. Il n’y avait pas d’autre choix que d’expulser cette population. […] Il était nécessaire de “nettoyer” l’arrière-pays, de “nettoyer” les zones frontalières et de “nettoyer” les routes principales. Il était nécessaire de nettoyer les villages d’où nos convois et nos colonies s’étaient fait tirer dessus. […] Je sais [que le terme “nettoyer” ne paraît pas sympathique mais c’est le terme qu’ils ont employé alors. Je l’ai tiré des documents de 1948 dans lesquels je me suis plongé ». 

« J’ai de la sympathie pour les Palestiniens, affirme Benny Morris, qui ont vraiment subi une tragédie très dure. J’ai de la sympathie pour les réfugiés eux-mêmes. Mais si le désir d’établir un État juif ici est légitime, il n’y avait aucun autre choix. Il était impossible de laisser une importante 5ème colonne dans le pays… »

Penser l’après-guerre ?

Cette longue citation des propos tenus par Benny Morris voila vingt ans montre que depuis soixante-quinze ans, l’Etat d’Israël est confronté à la même question : comment traiter le rejet arabe ? La solution imaginée par Ben Gvir est de déporter les populations dites palestiniennes. 

D’autres solutions sont sans doute possibles, comme tordre le bras des dirigeants égyptien et jordanien pour qu’ils récupèrent ces territoires et se coltinent eux-mêmes le problème terroriste qu’ils ont laissé proliférer.

Il faudrait lancer un concours d’idées, parce que la « solution à deux Etats » que les Etats Unis cherchent à imposer est totalement absurde. Gaza, Etat palestinien dirigé par le Hamas, en a apporté la preuve le 7 octobre.

© Yves Mamou

Suivez-nous et partagez

RSS
Twitter
Visit Us
Follow Me

1 Comment

  1. Un peu triste de lire tout cela sous votre plume M. Mamou, vous nous avez habitué à une réflexion plus fouillée et plus objective.
    Évoquer les conventions de Genève avec une telle insistance, revient à cautionner l’idéologie rédemptrice christique, qui est à l’opposé de la culture juive basée sur le fait de devoir supporter complètement les conséquences de ses propres actes.
    Quant au développement sur « sionisme et épuration ethnique », il est vraiment superflu.
    Enfin, vous manquez d’imagination quand vous voulez tordre le bras des égyptiens et jordaniens pour qu’ils récupèrent ces territoires ; il faudrait plutôt leur tordre le bras pour qu’ils récupèrent les habitants de ces territoires.
    Relisez le Mur de Fer de Jabotinsky et faites l’effort de ne pas vous auto-censurer au nom d’une morale occidentale, c’est-à-dire strictement chrétienne.
    Bonne route quand même !!

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*