La dimension génocidaire, angle mort des massacres du 7 octobre. Par Renée Fregosi

Le 28 décembre 2023, le New York Times révélait la substance d’une enquête menée pendant deux mois auprès de plus de 150 témoins parmi les anciens otages, les rescapés et les militaires, les médecins et les légistes intervenus sur les lieux des massacres perpétrés dans le sud d’Israël par le Hamas le 7 octobre 2023. Les journalistes y rendent compte de « la façon dont le Hamas a usé de la violence sexuelle comme arme[1] ». Le viol accompagné d’actes de barbarie comme arme de guerre est en effet hélas désormais bien documenté à travers le monde. Ainsi, en RDC en 2013 où déjà plus de 40 000 femmes avaient subi des violences génitales extrêmes, Denis Mukwege (le chirurgien admirable qui a « réparé » des centaines de rescapées) déclarait à propos de ces viols que cela n’a « rien à voir avec des agissements individuels, ou un fait culturel congolais ! Les viols sont planifiés, organisés, mis en scène. Ils correspondent à une stratégie visant à traumatiser les familles et détruire les communautés, provoquer l’exode des populations vers les villes et permettre à d’autres de s’approprier les ressources naturelles du pays ».[2] 

Les crimes de masse de ce type, commis sur les femmes israéliennes lors du « mégapogrome[3] » perpétré par le Hamas le 7 octobre, et dont on avait eu quelques images vidéo épouvantables dès les jours suivants, ont fait réagir (un mois plus tard) certaines féministes qui les ont définis dans une tribune, comme constituant « un féminicide de masse ». Certes, « les femmes n’ont pas été tuées de la même façon que les autres[4] » victimes civiles. Mais comme l’a souligné Liliane Kandel, « cette tentative de « féminiser » le cauchemar du 7 octobre [est] pour le moins ambiguë[5]« .  Car si parmi les femmes exterminées par le Hamas ce jour-là, un grand nombre d’entre elles a été violé et violenté de façon spécifique, c’est évidemment parce qu’elles étaient des femmes, avec un sexe et un utérus de femme, mais c’est d’abord parce qu’elles étaient juives, qu’elles étaient à la fois des membres et des génitrices de ce peuple honni qu’il s’agirait de chasser « du fleuve jusqu’à la mer[6]« .

Comme le dit parfaitement Liliane Kandel, « nous savons tous qu’aucune des victimes de ce pogrom sauvage n’a été assassinée « parce que » enfant ou bébé, « parce que » vieillard ou adolescent, « parce que » hétéro ou homo, « parce que » trans ou cis, « parce que » filiforme ou obèse, « parce que » homme ou femme. Ils ont tous été, sans distinction d’âge, de genre, de nationalité, d’orientation sexuelle, de corpulence ou de goûts musicaux, massacrés, torturés, éventrés et émasculés, décapités, brûlés vifs simplement et uniquement parce que juifs.« [7] 

De tels crimes de masse présentent ainsi un caractère génocidaire d’après la définition du droit international[8] puisqu’ils s’inscrivent dans un « plan coordonné de différentes actions [dont on estime qu’il vise] à la destruction des fondements essentiels de la vie d’un groupe national dans le but de détruire ce groupe lui-même au moyen de l’un quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel : a) meurtre de membres du groupe ; b) atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ; c) soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ; d) mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe; e) transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe ».[9]

Pourtant, sinistre ironie de la longue histoire de l’antisémitisme, c’est Israël qui se retrouve accusé de pratiquer un génocide à Gaza. Hala Abou Hassira, « ambassadrice de Palestine » estime dans L’Humanité que « le mot génocide n’est pas démesuré, c’est la réalité de Gaza qui l’est[10]« , Francesca Albanese, rapporteur spécial des Nations unies pour « les territoires palestiniens occupés », estime que « à Gaza, le risque de génocide se matérialise de plus en plus[11]« , et le 29 décembre, au lendemain de l’article choc du New York Times, l’Afrique du Sud portait une requête auprès de la Cour internationale de justice accusant Israël de se livrer à des « actes de génocide contre le peuple palestinien à Gaza [12]« . Depuis le jour même de l’attaque du Hamas contre Israël, c’est en effet l’État hébreu qui est présenté comme l’agresseur.

Avant même que Tsahal ne commence à bombarder la bande de Gaza (et aide à en évacuer des populations « civiles » que les miliciens du Hamas empêchaient de fuir du nord vers le sud du territoire), les Israéliens étaient conspués par « la rue arabe » qui se réjouissait de l’attaque du Hamas[13], et les actes anti-Juifs se multipliaient de façon exponentielle dans les pays occidentaux[14]. L’attaque contre la population civile israélienne n’aurait en effet été que méritée puisqu’elle aurait fait suite à une « intensification de la politique d’occupation israélienne à Gaza, en Cisjordanie et à Jérusalem Est[15]« . Alors, pas question de condamner les violences sexuelles extrêmes subies par les femmes israéliennes et encore moins de les considérer comme ressortissant de pratiques génocidaires.

Certes le viol de masse n’accompagne pas systématiquement le génocide comme on a pu le constater lors de la Shoah ; dans ce cas, il ne s’agissait pas d’exhiber les massacres pour terroriser, bien au contraire, le camouflage était la règle. « La destruction des juifs d’Europe[16] » a constitué une entreprise meurtrière absolument spécifique par son échelle et sa visée d’anéantissement total, mais aussi précisément par son mode opératoire appliquant des procédures normales, routinières, à une situation monstrueusement anormale, suivant un plan exécuté avec calme et méthode.

En revanche, lorsque le génocide a une visée principalement territoriale comme ce fut le cas en ex-Yougoslavie ou au Rwanda en 1994, comme c’est encore le cas au Congo, l’exhibition du viol de masse et le massacre des femmes et des enfants, qui constitue une partie substantielle de l’anéantissement de l’ennemi, revêtent également une dimension symbolique : d’une part, l’appareil reproducteur, la matrice du peuple est atteinte à travers les femmes, d’autre part, la descendance, l’avenir du peuple est dénié à travers les enfants.

L’usage du viol de masse présente en effet une dimension « rationnelle », de même que « la perpétration délibérée d’atrocités est un moyen sûr de provoquer un traumatisme durable chez les victimes, mais aussi chez les témoins et, au-delà, chez tous les membres de leur groupe communautaire. [De plus,] en rendant impossible toute perspective de réconciliation pour au moins plusieurs générations, elles servent donc parfaitement le projet politique de la partition et du « nettoyage ethnique »[17] » Mais « la rationalité première, décelée dans l’action de massacrer, tend à ‘déraper’ et à créer de l’irrationnel[18]« , du pulsionnel.

Ainsi, une certaine haine des femmes préside forcément à l’accomplissement de tels actes de barbarie sur leur sexe, leurs vagins, leur ventre, leurs seins, lacérés, déchirés, découpés, criblés de balles, brûlés. Cette détestation fermente dans de nombreuses sociétés patriarcales mais en l’occurrence, elle se développe tout particulièrement à travers la fascination/répulsion symptomatique de la relation schizophrénique aux femmes, inculquée aux hommes par l’islam. La psychanalyste d’origine tunisienne Sonya Zadig en a fait le constat dans sa propre enfance et chez nombre de ses patients et patientes : « comment rendre compte de cette criminalisation du corps ? Comment comprendre son voilement sinon par une certaine obsessionalité qui fait du corps de la femme un ensemble d’objets partiels ? Même les mains deviennent objets de désir puisqu’elles se doivent d’être gantées pour empêcher les pulsions sexuelles des hommes de s’y fixer. Le corps est donc suspect, mais le paradis promis aux croyants est peuplé de femmes, rempli de houris lascives et vierges. La femme ici-bas est potentiellement dangereuse mais elle est promise dans l’au-delà à qui sait attendre ».[19]  

« À la base des diktats islamistes, il y a aussi une forte frustration sexuelle que l’on cherche à exorciser en imposant la ségrégation des femmes et en sublimant les interdits dans la religion. Ceci mène aussi à un contrôle obsessif de la sexualité de la femme et de sa capacité reproductive. Tout ce qui est lié à la féminité et au corps devient tabou ».[20]  D’un côté donc, les femmes appartiennent nécessairement à l’humanité, sinon le rapport sexuel avec elles serait de la bestialité rigoureusement réprouvée, et la procréation serait une monstruosité. Mais en même temps, les femmes sont estimées impures comme le sont certains animaux, et leur commerce serait dangereux pour les hommes.

Or « il n’est pas facile de concevoir comment on peut s’y prendre pour refuser satisfaction a un instinct. Cela ne va nullement sans danger ; si on ne compense pas ce refus d’une manière économique, il faut s’attendre à de graves désordres ».[21]  La contradiction se résout alors en effet par la violence. Violence de l’exclusion des femmes par le voilement, l’enfermement, la relégation dans des lieux séparés, mais violence bien sûr aussi des châtiments corporels licites[22], du viol et même de l’assassinat. On l’a vu avec les massacres de masse de femmes kurdes par Daesh[23], lorsque les captives se révélaient impossibles à soumettre en esclavage[24]. Et la théologie du viol[25] permet d’articuler la prière et le sexe dans une structure propre à hystériser au maximum les combattants par la conjonction du Bien et du Mal.

Mais lors des massacres du 7 octobre, au-delà du viol, la volonté de profaner les corps qui s’est manifestée également par les blessures au visage notamment, les mutilations, les dépeçages, les crémations pratiqués ante et post mortem sur les femmes comme sur les hommes (dont certains ont été violés d’ailleurs), signe le projet de déshumanisation et d’extermination de tout un peuple. La volonté de destruction des juifs d’Israël s’est en effet ici encore, faite frénésie, précipitant, comme l’écrivait si bien Jacques Sémelin, « le bourreau dans le gouffre sans fond de la cruauté. Cette spirale de la destructivité des corps [s’est même poursuivi] après la mort. Bien que dépourvu de vie, les corps peuvent encore ressembler à ceux des vivants. Aussi s’agit-il encore de les scalper, de les ratatiner, de les écrabouiller, pour qu’ils ne ressemblent plus à rien. À moins qu’on ne les dispose dans des positions grotesques, toutes plus abjectes les unes que les autres, qu’on découpe les cadavres en morceaux, pour en faire des déchets sinon des ordures ».[26]  C’est ainsi que l’on a retrouvé les corps de jeunes femmes par dizaines, jetés à terre, souillées de sang et de sperme, leurs sous-vêtements abaissés jusqu’aux genoux ou les jambes écartées, lacérées ou percées de clous, ouvertes sur des sexes violés et mutilés. C’est ainsi que des corps innombrables et souvent indiscernables dans leur enchevêtrement, ont été brûlés, calcinés jusqu’à devenir méconnaissables. Et pourtant…

Pourtant, bien peu en Europe et notamment en France, acceptent de reconnaître la volonté génocidaire du Hamas, tant le soutien à Israël dans sa riposte vitale est considéré comme illégitime et suspect « d’islamophobie ». Dans une partie de la gauche radicale, le soutien à l’islamisme y compris au Hamas, comme incarnation suprême de la résistance à l’Occident honni et au « privilège blanc », conduit tout naturellement pourrait-on dire, à la détestation d’Israël érigée en archétype du « dominant[27]« . Aucune surprise donc à constater qu’avant même le début des bombardements israéliens sur la bande de Gaza, cette mouvance se soit mobilisée en faveur du « peuple palestinien », aux cris de « Israël assassin[28] » et du sinistre « Allahu akbar[29]« , « annulant » les victimes juives des massacres du Hamas, dans l’esprit de la cancel culture.

Mais parmi ceux qui ont commencé à comprendre qu’au-delà des attentats terroristes à travers le monde, le frérisme est un projet qui se diffuse autant par l’influence et l’infiltration que par l’intimidation et la violence, nombreux encore sont ceux qui n’ont pas intégré une donnée essentielle de l’islamisme : la haine foncière à l’égard des juifs. L’antijudaïsme religieux en effet n’a pas fait l’objet d’une révision explicite par les plus hautes autorités musulmanes comme la mosquée Al-Azhar au Caire, contrairement à l’Église catholique romaine qui avec Vatican II a fait son aggiornamento également sur son rapport aux juifs. La propagande islamiste s’appuie ainsi sur des versets du Coran comme ceux que signale Ephraïm Herrera[30] : « Il vous a fait hériter leurs terres, leurs habitations, leurs biens et une terre que leurs pieds n’ont point foulée. Allah sur toute chose est omnipotent » (33,27), « la plupart sont pervers… Ceux qu’Allah a maudits, contre qui Il s’est courroucé, dont Il a fait des singes et des porcs » (5, 64-65/59-60). Dans les hadiths on peut trouver également des passages comme : « Vous combattrez les juifs », ou encore « Périssent les juifs et les chrétiens. Il n’y aura pas deux religions en Arabie », « voilà un juif derrière moi, tue-le ! » (Livre Bukhari LXXXII-803).  

Mais peu d’Occidentaux connaissent les textes de la tradition musulmane notamment ceux relatifs aux juifs. Également par ignorance des termes du conflit et des refus répétés des leaders arabes puis palestiniens de la création d’un État palestinien[31], on adopte une position que l’on croit « équilibrée » en accusant Israël d’empêcher « la solution à deux États ». Par angélisme quant aux conditions de la paix, par lâcheté aussi sans doute face à « la rue arabe » devenue un acteur jusque dans les pays occidentaux, on réclame le « cessez-le-feu » aux Israéliens, sans rien demander en échange aux Palestiniens, pas même l’arrêt des roquettes et des missiles tirés par le Hamas, ni la restitution immédiate de tous les otages.

Or l’attaque du 7 octobre est bien un « processus de destruction-éradication, de nature identitaire, [qui] peut être également associé à la guerre de conquête. (…) Là encore, le procédé du massacre, associé au pillage et au viol, est le moyen de se faire bien comprendre, pour hâter le départ de cet Autre jugé indésirable. Ainsi la destruction partielle du groupe et l’effet de terreur qui en résulte sont-ils de nature à provoquer et accélérer les départs ».[32]

Tant que cela ne sera pas compris, on s’interdira de qualifier les massacres du Hamas, leur dimension génocidaire restera un angle mort de la vision du conflit, et celui-ci ne pourra pas trouver de résolution durable.

© Renée Fregosi

Source:

https://www.telos-eu.com/fr/la-dimension-genocidaire-angle-mort-des-massacres-.html

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