Elie Sasson. Le sexe en maison de retraite

Me voici à Budapest à moins de deux heures de vol de Paris, le temps, à bord d’un avion d’Air France, d’avaler un mini sandwich de pain viennois garni d’une très fine tranche de gruyère. Succinct mais pas mauvais.

Pour mes vieux jours qui approchent à grands pas, puisqu’à force d’être jeune on finit par être vieux, j’envisage, à moins que Zemmour ne soit élu en 2027, de me poser en Hongrie.

Forcément, un tel changement de vie, une émigration vers un pays à la langue qui ne ressemble à aucune autre et qu’à moins d’un miracle je n’ai pas la moindre chance de maîtriser un jour, cela se prépare longtemps à l’avance. J’aimerais une maison tout confort, suffisamment grande pour accueillir ma tribu, au calme mais pas trop, parce que les gens m’emmerdent mais que je les aime aussi, parfois, du moins certains qui ne sont ni woke ni antisemites, les deux allant souvent de pair.

L’idéal serait de trouver un terrain. Pas loin de Budapest, mais pas trop près non plus pour rester abordable. Mauvaise surprise, les prix des terrains sont sensiblement équivalents à ceux de la région parisienne. Pour mille mètres carrés, il faut compter entre 250 000 et 500 000 euros ! Mazette, je ne m’attendais pas à de tels prix, d’autant qu’il faut ensuite construire. Je dois revoir ma copie et peut-être me rabattre sur la Roumanie toujours abordable.

Mais sait-on jamais ? L’héritage d’un oncle lointain sans descendance ? Un ticket de loto gagnant ? Peut-être trouverais-je un terrain à un bon prix et pourrais-je le conserver une dizaine d’années pour ne démarrer la construction de la maison de mes rêves qu’à l’approche de ma retraite ?

Manque de bol, Orban a tout prévu. Les spéculateurs sont dans sa ligne de mire. La taxe foncière pour un terrain nu est de l’ordre de 5000 euros par an ! Tandis qu’elle s’effondre à moins de 200 euros dès qu’une maison y est édifiée. Deux cents euros pour l’ensemble « maison et terrain ». Plutôt logique lorsqu’il s’agit de lutter contre la spéculation foncière. Cela a du sens mais n’arrange pas mes affaires.

Pour autant, je ne baisse pas les bras. Il faut dire que Budapest a de nombreux atouts. Le premier qui saute au yeux, c’est le sentiment de sécurité lorsqu’on y déambule à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit. À un point tel que les portes de nombreux appartements sont aussi fragiles que des portes de chambres à coucher.

Encore faudrait-il qu’elles soient fermées à clé, car elles le sont rarement. Ce fut d’ailleurs pour moi la cause d’une mésaventure. En effet, en me rendant hier chez des amis, leur porte étant généralement ouverte, je me suis mépris à la dernière seconde et j’ai ouvert la mauvaise porte. Elle non plus n’était pas verrouillée. Très vite, je me retrouvai au beau milieu du salon d’un parfait inconnu qui lisait son journal. Le brave homme se leva brusquement pour marcher dans ma direction en baragouinant avec une fermeté teintée d’inquiétude des mots dont je ne comprenais pas le sens et dont je discernais mal l’intention. Je n’étais pas encore certain de m’être trompé d’appartement, songeant que le Hongrois qui me faisait face était peut-être un parent de mes amis, mais en voyant les sourcils froncés et les poings serrés du brave homme, je n’eus plus aucun doute. Par chance, il parlait anglais. Il se radoucit en comprenant la situation et m’orienta vers la bonne porte.

Très vite, je me retrouvai en bonne compagnie, entouré de visages familiers. On me servit des biscuits et une tisane. Il était un peu tôt pour la Palinka. Et l’on causa. Je leur détaillai mon projet immobilier. Ils m’indiquèrent les quartiers encore abordables et bien desservis, en particulier le district II, côté Buda. Je fis part de mon hésitation à investir peut-être sur les rives du lac Balaton, plutôt qu’à Budapest. On m’expliqua qu’à moins de très bien connaître Orban, il me serait impossible d’acquérir un terrain ou une maison en première ligne sur le bord du lac. En Hongrie, la corruption et l’inégalité devant la loi, selon que vous soyez faible ou puissant, ne sont pas des mythes. Mais après tout, est-ce si différent en France? Le plus étrange était que mes amis semblaient en sourire, l’air de dire « ça marche comme ça ici et on s’y fait ».

Nous changeâmes de sujet. Je racontai à mes amis que j’avais croisé deux femmes voilées en visitant le quartier du Château, sur les hauteurs de la ville. Ils furent surpris et m’affirmèrent qu’elles ne pouvaient pas être hongroises. À leurs yeux, il s’agissait à l’évidence de touristes, probablement françaises. C’est ce qu’on appelle un coup bas.

Ils ajoutèrent qu’en Hongrie il y a très peu de musulmans, moins de quarante mille, et qu’ils sont parfaitement assimilés. Le nombre, encore le nombre, toujours le nombre.

J’en viens au sujet racoleur de ce post qui vous a fait tenir jusque-là.

Passant d’un thème à l’autre, nous abordâmes celui de l’état de santé de nos affaires respectives. Je déclarai sans surprise que les dents de mes patients vieillissaient avec moi, ce qui forcément entraînait une surcharge de travail.

Quant à mon hôtesse qui possède une maison de retraite médicalisée, elle commença à détailler les difficultés auxquelles elle doit faire face au quotidien. La première d’entre elles : la sexualité des vieux. Sans le savoir, j’étais sur le point d’en apprendre de belles. Elle me parla d’une de ses pensionnaires qui réclame avec violence sa toilette quotidienne en insistant pour qu’elle soit complète et minutieuse, vraiment complète et vraiment minutieuse, bien plus que de raison. Mais aussi que sa toilette soit effectuée par un homme. Cette dame, sourde par ailleurs, a exigé un abonnement à une chaîne pour adulte qu’elle visionne tous les jours, le volume sonore à fond. Malheur à l’aide soignant qui viendrait baisser le son ! Et puis il y a les nombreux autres pensionnaires qui affectionnent d’exhiber leur nudité, dans leur chambre ou dans les couloirs, et qu’il faut contraindre à davantage de pudeur. Pour résumer son propos, mon hôtesse me dit qu’elle a pris conscience du réel besoin de sensualité de ses pensionnaires, tous sexes confondus. Ceux qui ont toute leur tête le répriment. Les autres, complètement désinhibés, sont incontrôlables et doivent être sans cesse rappelés à la raison.

Bien sûr ces propos me firent sourire. Cependant, j’hésitai entre deux sentiments contraires. D’un côté, je trouvai rassurant d’apprendre que le besoin de sensualité nous accompagne toute la vie. De l’autre, je trouvai désolant qu’il devienne par la force des choses une source supplémentaire de frustration.

© Elie Sasson

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