
Le mois de décembre a été rythmé par les affaires Depardieu et Vicherat. Deux hommes, deux univers. Un dont je choisis d’expliquer en quoi la femme que je suis doit beaucoup, un second dont les carcans idéologiques sont responsables des déboires de ce pays. Pour sauver Depardieu, il faut déboulonner les Vicherat.
La douce poésie des Valseuses
C’était en 2004. J’étais petite violoniste. Laurent Korcia sortait un album consacré au cinéma et déboulait sur tous les plateaux télé avec son allure et sa pâte sonore de gitan. Il interprétait une mélodie de Stéphane Grappelli en si mineur à la fois innocente et épurée. Julie Depardieu chialait en regardant Korcia jouer. Les actrices sont faites pour tout rendre romantique en chialant. Il y a dans cette mélodie, comme dans un trait de crayon, une esquisse franche de liberté, mais aussi de mesure dans ses envolées. Une sagesse, presque. On se croirait sur la route avec Kerouac. Je n’ai pas l’âge de voir le film dont est extrait ce thème, Les Valseuses, encore moins les deux scènes de sexe inouïes qu’il accompagne : le dépucelage d’Isabelle Huppert dans les champs, et surtout un plan à trois, la nuit, dans une berline volée à destination de nulle part. Depardieu est au volant. Miou-Miou et Dewaere à l’action.
Beaucoup de gens détestent Les Valseuses et cette même scène. Paradoxalement, je trouve que Grappelli en avait fait le summum du geste amoureux. On perd à tout jamais la capacité de juger d’un comportement par la décence commune et la moraline, en si mineur. Alors que le spectateur est happé par le visage de Miou-Miou en transe, Depardieu fixe la route. Il a dans l’œil qui brille une lueur folle, complice, amusée et stupéfaite. Des regards de pervers, d’hommes inhumains ravis de faire souffrir, d’imposer leur pouvoir et frustration, j’en ai vu. Ils ne ressemblent pas à celui-là. Ce regard-là, je ne sais même pas s’il sait ce qu’est un rapport de pouvoir. Il sait surtout ce qu’est une femme. Certes, il s’agit d’un film, mais aussi d’une époque, dont on appuie en ce moment trop sur les abus sans plus se souvenir de l’essentiel de ce qu’elle a été. On peut gloser sur les excès de mai 68 sans fin: si c’est pour mieux cacher les abus de pouvoir de l’époque délirante que nous vivons, quel intérêt ? Être occidental et ne pas aimer la beauté de 70’s, ne plus se rattacher au christianisme, ne rien connaître au judaïsme, n’avoir aucun modèle tel Depardieu ou Carmen, c’est se détester soi-même.
Le sexe des anges
Suis-je une femme si étrange pour avoir vu dans Les Valseuses et Gérard Depardieu un symbole essentiel de ma propre liberté? Ou sommes-nous dans une époque assez folle pour croire que le sexe n’est qu’une affaire d’homme forcément libidineux ? Je n’ai jamais vraiment compris en quoi la sexualisation allait forcément de pair avec l’humiliation. Je n’ai donc pas compris une grande partie du « Complément d’enquête ». Il faut une volonté et une intention pour humilier quelqu’un. Tout ce qui est graveleux ne dénigre pas autrui. A vrai dire, souvent les hommes sont graveleux par principe sans forcément avoir d’arrières pensées, par franche rigolade ou camaraderie. Demandez par exemple à un jazzman d’arrêter les jeux de mots salaces sous prétexte qu’il est sur un lieu de travail, ou à un ténor homosexuel de raconter une de ses soirées entre deux répétitions est contreproductif. Sans doute que les journalistes de « Complément d’enquête » n’ont pas assez vécu dans des milieux normaux pour se rendre compte qu’ils voient le mal où il n’est pas.
Une blague de cul détend parfois mieux l’atmosphère que toutes les formalités du monde. Ça n’a jamais empêché la considération d’autrui. Le sexe n’est pas une affaire de pouvoir, sauf chez les intégristes barbus, quelques bourgeois fatigants de bêtise et les néo féministes. Il faut soi-même projeter beaucoup de choses sur les femmes et le sexe pour en arriver à rattacher la sexualisation et le désir à une souillure… Et avoir un rapport très étrange à son corps.
Que voulez-vous : il existe des milieux sociaux où les hommes ressemblent à des chapons de Noël condamnés à se farcir des dindes. Ça ne doit pas être facile tous les jours.
Que par ennui certains malheureux dans ce cas en viennent à ouvrir les missels foucaldiens en ânonnant que l’intime est politique est pathétique pour eux. Qu’ils s’en prennent à Depardieu pour qui le sexe est poly-trique est symptomatique de notre époque qui confond l’habit et le moine. On peut ressembler à un ogre par provocation sans l’être le moins du monde. Je me méfie en tant que femme bien plus du malingre que de l’ogre. L’homme malingre veut souvent faire expier aux femmes tous les kirie du monde.
Et le contenu alors ?
Le seul témoignage me causant un vrai doute est celui de Charlotte Arnould, Depardieu ayant lui-même dit face caméra avoir violé des femmes dans son adolescence. Réalité ou provocation ? Tous les artistes se leurrent pour construire certains de leurs rôles dans le but d’être le plus crédible possible. Mais ce jeu avec soi n’est possible que dans un monde qui refuse de contraindre l’identité des individus à quelques déclarations en l’air, et dans des fonctions sociales qui les défont de toutes responsabilités vis-à-vis de tiers.
Pour les autres femmes, le milieu du cinéma me semble bien plus à accabler que Depardieu lui-même. Les milieux artistiques blacklistent facilement les femmes qui ne se laissent pas faire. Se prendre une main au cul n’a jamais tué personne, encore faut-il évoluer dans un milieu où il est possible de dire non ou répliquer sans risquer gros. Les mêmes qui accusaient les actrices d’être « »compliquées à gérer » demandent aujourd’hui à ce que les films où Depardieu a joué ne soient plus diffusés. D’une tartufferie l’autre, en quoi cela aidera-t-il les victimes de violences sexuelles dans ce pays ?
Vous trouvez Depardieu grossier ? Eh bien je trouve tout ce monde vulgaire
Je ne me sens pas humiliée en tant que femme par la grossièreté de Depardieu. Choquée, amusée, libre de lui répondre sur le même ton, oui. Libérée tout court de ce qu’il y a de pire dans les milieux artistiques, le conformisme et la courtisanerie, oui. D’entrer dans son jeu, oui. De le sermonner, aussi. Car dans sa manière d’être, je sens en tant qu’artiste non pas « le manque d’empathie » comme le veut désormais la formule consacrée, mais la volonté d’un homme d’emmener son partenaire de travail dans son énergie. On ne fait pas de l’art comme on boit du thé à 17 heures entre pseudo intellectuels au Flore. On ne donne pas une réplique comme on rédigerait un guide de bonnes pratiques des relations hommes-femmes chez nous toutes.
Comme le disait Jean Yanne à Jacques François dans « Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil » : « Dire merde, ou mon cul, c’est grossier, maintenant, voyons donc tout ce qui est vulgaire… Faire des émissions sur les vieux, sur la faim, le cancer. Enfin, jouer sur les bons sentiments, afin de mieux fourguer les désodorisants, tout cela c’est vulgaire, ça pue, ça intoxique… »
François, directeur de la station radio « Plus près de Dieu » est un idiot marketing à la recherche d’audimat. Yanne veut être plus près de la vérité quoi qu’il en coûte. Qu’est-ce que la vérité dans un monde où Depardieu est instrumentalisé par des néo féministes et en même temps par Emmanuel Macron pour faire diversion face à son humiliation politique récente sur la loi relative à l’immigration ? Il y a eu des cas MeToo assez indéniables. Celui-ci mélange, il me semble, beaucoup de choses. Tout cela est avant tout vulgaire pour la vérité. Mais d’ailleurs où est-elle passée, celle-là ?
L’ogre français, et le petit marquis anglo-saxon
La même semaine que le « Complément d’enquête », « Le Figaro » m’apprenait qu’un avocat avait été viré de l’école de droit de Sciences Po pour propos sexiste et Vicherat, directeur de Sciences Po Paris, suspendu pour s’être battu avec sa compagne.
Pour défendre Depardieu il ne faut avoir aucune pitié pour ces hommes-là. La France doit idéologiquement à leur univers une judiciarisation accrue de la société favorisant la défiance. Un rejet total de l’admiration de ce qui est admirable. Elle leur doit aussi la formation de générations entières selon ce principe : « La réalité n’existe pas », « Il faut agencer les faits pour que ce que vous disiez soit crédible »…
Vous entendez ? Il existe dans ce pays des universitaires payés pour apprendre à des cerveaux vides comment manipuler des faits. Qu’ils paient les conséquences de leur discours. J’ai peut-être une vision éthérée de la réalité de Depardieu parce que je l’admire. Mais rien ne m’apparait plus sale que leur monde d’apparatchiks aseptisé.
© Laurine Martinez