Joseph Osman – Anszel le sourd de la rue Mila

Bien qu’elle constitue un itinéraire possible pour se rendre au cimetière juif, il est bien difficile d’imaginer, face à la terne uniformité de son architecture collectiviste, que la rue Mila, comme Nalewski ou Leszno, fut une des rues emblématiques de la Varsovie juive, avant d’être associée à la révolte du ghetto. 

Il ne subsiste évidemment rien de la numerotation originelle: le tristement célèbre 18 de la rue est devenu un petit monticule recouvert d’une pelouse d’où émerge une plaque commémorative. Joseph Osman a trouvé auprès de son père Nathan une source inépuisable de souvenirs familiaux mais aussi une description précieuse de ce qu’ Aharon Appelfeld a dénommé l’agitation de la rue juive,face aux bouleversements historiques qui ont dramatiquement orienté son devenir. Les parents de Nathan, Anszl et Rosa, unis par un lien conjugal solide, sont les propriétaires d’un restaurant, lieu privilégié d’observation d’un brassage continu de destinées multiples, empreintes d strict respect de la tradition ou au contraire séduites par les promesses de la modernité,quand elles ne sont pas tout simplement préoccupées par le souci quotidien de se nourrir. 

Une veille de Kippour, un pavé lancé par un voyou dans la vitrine vient brutalement compromettre la stabilité de cette famille nombreuse. 

Anszel décide d’envoyer ses aînés en Allemangne auprès d’autres cousins et à Paris, afin de leur garantir un avenir moins hypothéqué par un antisémitisme virulent. 

S’opère ici le paradoxe qui traversera le destin de nombreuses familles juives: la séparation déchire mais protège, préserve et,plus tard dans des circonstances plus tragiques, sauve. 

Mais la montée en puissance de l’antisémitisme national- socialiste redistribue à nouveau les cartes Paris semble désormais une destination plus accueillante. Pour cette émigration d’entre-deux- guerres,c’est la capitale de l’Etat qui le premier aura accordé de pleins droits aux Juifs, leur permettant ainsi d’accéder à toutes les fonctions publiques. 

Resté à Varsovie, Nathan est le seul enfant à avoir fait son service militaire en Pologne, au sein de la prestigieuse cavalerie. 

Lorsque la guerre éclate le 1 er septembre 1939, Nathan participe aux combats tandis que le quartier juif est bombardé. 

Fait prisonnier par les Allemands, il parvient à s’échapper et rentre à pied à Varsovie. 

Il tente vainement de convaincre ses parents de fuir la capitale vers l’est. 

Mais son père refuse, craignant que son âge ne représente une charge dans cette entreprise. Emmenant sa jeune épouse, Nathan se réfugie à Bialystok.La police politique surveille les ressortissants polonais. 

Lorsque ceux-ci voudront retourner à l’ouest, ils seront accusés d’antisoviétisme contre- révolutionnaires, arrêtés et déportés au fin fond de la taiga sibérienne. 

Là, Nathan connaîtra ce que d’aucuns appelleront le fascisme rouge, les conditions effroyables d’un camp de travail et la sauvagerie des contremaîtres. 

C’est dans ce décor qu’en 1940 naît son fils Victor.Son épouse décède d’une septicémie, le laissant seul avec un jeune enfant. Libéré à la faveur de la rupture du pacte germano- soviétique, Nathan est libéré et poursit son périple en Ouzbekistan, dans les couleurs orientales de l’Asie Centrale,où il devient cordonnier. Il y rencontre sa seconde épouse qui se révèle très attachée à son fils. En décembre 1945, ils quittent l’Ouzbekistan pour revenir en Pologne, avec l’espoir de retrouver de la famille à Varsovie. A leur arrivée, la ville n’est plus que décombres. Apparaît l’ampleur du désastre qui a emporté la plu grande communauté juive d’Europe. 

Les événements de Kielce les décideront à quitter la Pologne pour gagner Paris, à travers la Tchécoslovaquie, l’Autriche et l’Allemagne. 

Deux enfants, dont l’auteur, naîtront durant ce parcours. 

A Paris, Nathan retrouve un frère qui, par son engagement dans la résistance communiste, a échappé aux déportations qui ont englouti les autres membres de la fratrie. Soucieux de ranimer par l’écrit un héritage pulvérisé par l’histoire, l’ouvrage est avant tout un hommage à la structure familiale, quand elle offre ce qui est essentiel, l’amour, la sécurité et l’exercice d’une autorité paternelle, si disqualifiée dans la société contemporaine, incapable de contrer les violents soubresauts d’une population sans repères qu’elle a elle-même générée. Enfin, il illustre les conditions d’intégration réalisée par l’émigration juive d’entre deux guerres, qui, loin de se retourner contre la société d’accueil par une rhétorique victimaire, a précisément été trahie par cette société lors de la mise en place de la législation antijuive d’octobre 1940. Aujourd’hui encore, les quartiers parisiens s’étendant de République à Bastille, le long des Boulevards Beaumarchais, des Filles du Calvaire, sans parler du Pletsel (avant qu’il ne devienne un exemple de << gentrification branchouille ) restent imperceptiblement associés à l’histoire du judaïsme polonais en France. 

Seules, les plaques commémoratives fixées sur certaines façades d’immeuble viennent rappeler, dans leur immobilité silencieuse, les multiples existences détruites avant même d’avoir pu déployer toutes les promesses d’avenir qu’elles contenaient. 

Joseph Osman – Anszel le sourd de la rue Mila. Ed. le Lys Bleu. 2022

Source: Maison de la Culture juive


Visio-conférence du Cercle de Généalogie Juive (CGJ) le 20 mars 2023

Joseph OSMAN nous parle de son livre « Anszel, le sourd de la rue Mila ». Ce livre retrace en trois parties l’histoire d’une famille juive de Varsovie. La première présente l’ambiance dans le restaurant d’Anszel ainsi que les principaux personnages et la vie quotidienne dans le quartier juif. La seconde évoque les départs successifs des fils et filles d’Anszel et Rosa pour l’Allemagne ou pour la France afin d’échapper à l’antisémitisme et aux discriminations. La troisième commence avec l’invasion, en septembre 1939, de la Pologne par les nazis.

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