
Tout en tant qu’individus, mais rien en tant que nation. Dans le principe fondateur de l’accès à la citoyenneté des Juifs de France énoncé par le comte de Clermont-Tonnerre en 1789, la seconde partie de la citation est souvent oubliée, alors qu’elle est tout aussi importante que la première : « pour qu’ils ne fassent dans l’Etat ni un corps politique ni un ordre et qu’ils soient individuellement citoyens ». Un siècle et demi après les bastions militaires protestants alliés de l’Angleterre en France, le refus de l’Etat dans l’Etat par Richelieu reste vivace dans l’esprit de Clermont-Tonnerre pour qui la seule communauté qui vaille est la communauté nationale. Au temps de la laïcité basée sur le « ni… ni… » et la neutralité de l’Etat vis-à-vis des religions, la Constitution a toujours garanti l’essentiel aux citoyens : la liberté individuelle de culte autant que celle de croire ou de ne pas croire, qui relevaient de la sphère privée. Depuis 1989 et l’affaire du foulard islamique, les pouvoirs publics ont fait le choix d’une laïcité « et…et…», c’est-à-dire d’un communautarisme qui ne disait pas son nom à l’époque, faisant droit aux revendications communautaires et communautaristes d’un islam dont le dogme est pourtant aux antipodes de la laïcité républicaine, en transigeant et en capitulant sur tous les sujets au nom d’une repentance injustifiée et mal placée et dans l’espoir aussi naïf qu’illusoire que les populations immigrées s’intègrent à la société française – on ne parlait déjà plus d’assimilation – ou pour acheter la paix sociale. Nous vivons depuis des années les résultats de cette politique de capitulation, la religion sortant ainsi de la sphère privée pour s’afficher ostensiblement oblige les responsables politiques à considérer les communautés pour, finalement, donner des gages aux uns et aux autres, et à installer le communautarisme dans l’espace public.
On observe depuis longtemps une ambiguïté des dirigeants du judaïsme français sur la question de la laïcité, à commencer par le Grand-Rabbin de France Haïm Korsia, le mot laïc dans le contexte juif étant devenu synonyme d’athée ou d’antireligieux et ne renvoyant plus à cette spécificité qu’est la laïcité à la française. En février 2021, je relevais déjà, dans une lettre ouverte au Grand-Rabbin de France, son déni sur cette question quand, dans une tribune, il s’affirmait très attaché à la laïcité alors que tout dans nos communautés et nos écoles prouve exactement le contraire. Je faisais de surcroit remarquer que les Juifs de France avaient, avec le communautarisme, troqué leur sécurité pour leur visibilité parce que la laïcité a toujours protégé les religions minoritaires qu’elle considérait à égalité, quand le communautarisme repose exclusivement sur la loi du nombre. A l’ère du communautarisme, tout geste de l’exécutif envers une religion, particulièrement du Président de la République, est mesuré au trébuchet, puisqu’il s’agit de donner des gages équivalents à chaque religion. L’exercice est en soi délicat, mais avec Emmanuel Macron, il ne s’agit plus seulement d’un exercice d’équilibre mais d’équilibriste.
C’est une double tartufferie qui a eu lieu jeudi soir dernier à l’Elysée où, à l’invitation du Président de la République, le Grand Rabbin de France a procédé à l’allumage de la première bougie de ‘Hanouca, la fête commémorant la victoire juive sur l’annihilation spirituelle programmée par la domination hégémonique grecque, au premier siècle avant l’ère commune. L’Elysée étant le lieu symbolique du pouvoir exécutif, chacun aura relevé à juste titre une violation de la laïcité républicaine – dont le Président de la République est normalement le garant – alors que cette cérémonie aurait pu avoir lieu à la Synagogue de la Victoire, où le Président de la République aurait été reçu avec tous les honneurs. Ce faisant, le Grand Rabbin de France qui n’avait certes pas apporté sa ‘Hanoukia mais qui connaissait le programme de la cérémonie, est sorti de l’ambiguïté : la laïcité en théorie pour ceux qui veulent bien le croire et le communautarisme en réalité. Emmanuel Macron qui a cru devoir faire un geste envers les Juifs de France après l’erreur funeste de son absence à la manifestation contre l’antisémitisme, s’est une nouvelle fois trompé, puisque dans sa vision communautariste – 5 minutes pour Yassine Bellatar et 5 minutes pour ‘Haim Korsia – il a, par ces deux actes politiques, fait le jeu des antisémites. Si on y ajoute après coup la justification bancale d’Emmanuel Macron sur le caractère non-religieux de la fête de ‘Hanouca – une déjudaïsation officielle de ‘Hanouca (2000 ans par la déjudaïsation entreprise par les Séleucides) accueillie comme d’habitude par le silence assourdissant des responsables « représentatifs » juifs – le tableau est complet : trois points à zéro pour les antisémites ! Première tartufferie donc !

La seconde tartufferie de cette soirée fut la remise du prix Harav Lord Jakobovits – un prix qui récompense les personnalités du monde politique ou religieux qui se sont distinguées par leur comportement vis-à-vis du peuple juif, du judaïsme ou d’Israël – à Emmanuel Macron pour sa lutte contre l’antisémitisme (sic). Sur la question de la lutte contre l’antisémitisme, les silences assourdissants et les compromissions des « représentants » du judaïsme français rejoignent très exactement les états de service du Président de la République qui sont en effet éloquents :
– L’entêtement macronien à rendre hommage au maréchal Pétain, pourtant frappé d’indignité nationale ;
– La promotion d’un révisionnisme d’Etat sur la réhabilitation de la dhimmitude, sur la présence française (et juive) en Algérie et sur les votes systématiquement en faveur des résolutions révisionnistes contre Israël à l’UNESCO et l’ONU ;
– L’impunité du meurtrier antisémite de Sarah Halimi qui se promène aujourd’hui en toute liberté sans jamais avoir été poursuivi ni jugé ;
– Le torpillage de la Commission d’enquête parlementaire sur l’affaire Sarah Halimi de manière partisane par le parti présidentiel (le Président Meyer Habib (UDI) refusant de signer le Rapport de la députée rapporteur LREM), un Rapport destiné à ne pas faire de vagues et à étouffer l’affaire ;
– Depuis 2017, les victimes de l’antisémitisme et leurs familles, comme celle de Mireille Knoll, vivent un parcours du combattant pour faire reconnaitre le caractère antisémite de leurs plainte face une justice politisée à l’extrême-gauche qui considère l’antisémitisme comme une maladie psychiatrique, et non comme un crime ;
– Un antisémitisme sévissant en toute impunité sur le service public de radiodiffusion (France Inter) qui, quand il n’est pas caché ou minoré par la dialectique abjecte de l’islamophobie, est devenu une opinion ou un sujet de plaisanterie sur France Inter, radio d’Etat où des idéologues fonctionnarisés qui se prennent pour des humoristes, gloussent et ricanent en nazifiant leurs opposants juifs de droite (la moustache de Zemmour et le prépuce de Netanyahou) ;
– Un triplement des actes antisémites de l’année 2022 depuis le 7 octobre dernier ;A ce passif déjà lourd, il convient d’ajouter le ratage jupitérien d’un président qui a voulu faire de l’antisémitisme une cause nationale. On se souviendra que le parti présidentiel présenta en décembre 2019 une résolution (non contraignante par définition) destinée à lutter contre l’antisémitisme et son faux-nez, l’antisionisme. Au Président du simulacre et au parti présidentiel des vœux pieux répondit la désertion de l’hémicycle par 53% des députés de la représentation nationale au moment du vote de la résolution n°2403. C’est en réalité une adoption par défaut qui eut lieu, puisqu’à peine plus d’un quart de la représentation nationale (26,7 % exactement) se prononça en faveur de ce texte (154 votes favorables, 72 votes contre, soit 226 suffrages exprimés pour 269 députés présents, et 308 députés partis à la pêche !). Dans la lutte contre l’antisémitisme, l’action d’Emmanuel Macron s’apparente à la corde qui soutient le pendu !
Remettre par conséquent un prix pour la lutte contre l’antisémitisme à un chef de l’état qui a un tel bilan n’était pas seulement une tartufferie, mais également une ignominie : c’est un peu comme si l’on remettait un prix à Bachar El Assad pour son action en faveur de la démocratie et des droits de l’Homme!
Le regretté Jacques Kupfer racontait volontiers l’histoire du jugement de Samson qui devrait être une leçon de philosophie et de sciences politiques (il était lui-même docteur en sciences politiques) et enseignée comme telle. Tirée de nos textes, reprise par Jabotinsky dans Samson le Nazir, cette histoire décrit une scène de la vie de Samson, juge en Israël, il y a plus de trois mille ans :
Deux frères se présentent devant Samson et racontent leur histoire : leur père est décédé et leur a légué un peu d’argent et un grand terrain. Le frère aîné prend l’argent et s’en va mener grand train dans la ville voisine. Le frère cadet mis devant le fait accompli, est resté sur le champ, s’est retroussé les manches et s’est mis au travail ; il a enlevé les mauvaises herbes, semé, arrosé et cultivé son champ. Au moment voulu, il a moissonné, récolté, frappé les épis, extrait les grains de blé, apporté ses grains au meunier pour en faire de la farine, la mettre en sacs et l’entasser dans sa grange. Au bout d’une année, ce travail effectué, le frère aîné revient à la maison paternelle et réclame tout ce qui s’y trouve. Et voici donc les deux frères devant Samson le juge qui demande au frère aîné :
– « Que réclames-tu ?
– C’est très simple, répond le frère aîné, je réclame tout : la maison, le champ, tout le blé et toute la farine
– Et toi qu’en dis-tu ?, demande Samson au frère cadet
– Et bien je dis que normalement il n’a droit à rien, mais après tout c’est mon frère et je suis prêt à lui donner la moitié ».
Samson statue sur ce cas et énonce son jugement : « Bon, dit-il aux deux frères, je vois que pour la première moitié, vous êtes d’accord, c’est parfait. Quant à la seconde moitié, on la partage en deux. Donc celui qui n’a rien fait reçoit les trois quarts et celui qui a travaillé n’aura qu’un quart. » Le frère cadet qui a fourni tout le travail se rebiffe :
– « Mais comment est-ce possible ? demande-t-il au juge
– Parce que, répond Samson, ton frère est méchant, mais toi tu es idiot ! »
Depuis des décennies, les responsables du judaïsme français sont systématiquement dans la position de l’idiot. Dans un pays au judaïsme affirmé mais fracturé, dont les grands maîtres sont déjà en Israël depuis longtemps, ayant laissé le Grand Rabbinat à des aumôniers, nos dirigeants, pris entre communautarisme et ultra-orthodoxie, sont devenus à la fois les spectateurs défaitistes et résignés de la montée incessante des actes antisémites et d’un antijudaïsme d’atmosphère, et les courtisans serviles de tous les pouvoirs qui les instrumentalisent sans vergogne. Pratiquant une gouvernance ayant peu évolué depuis le XIXè siècle, nos dirigeants, depuis longtemps en porte-à-faux avec leur base, sont devenus les promoteurs d’un judaïsme de dhimmis heureux en Galout, juste aptes à relayer les mêmes messages creux et pétris de bons sentiments à l’intention des fidèles qui acceptent de moins en moins les positions personnelles et partisanes de ces « représentants » qui ne défendent plus leurs intérêts collectifs.
© Jean-Marc Lévy pour Israël Is Forever Alsace
Jean-Marc Lévy est vice-Président d’Israël Is Forever Alsace