Nahum Barnea: “Le 7 octobre aura des effets encore inimaginables”. Par Guillaume de Dieuleveult

ENTRETIEN – Avec l’attaque du Hamas, Israël a subi un choc dont il n’est toujours pas remis.

Commentateur politique au quotidien Yediot Aharonot, grand journal israélien de tendance centriste, Nahum Barnea, 79 ans, observe la société israélienne depuis plus d’un demi-siècle.

Nahum Barnea.  © Ynetnews / Avigail Uzi

LE FIGARO. – L’attaque terroriste du 7 octobre a résonné comme un coup de tonnerre dans la société israélienne. Israël est engagé dans la guerre la plus longue de son histoire. Peut-on déjà mesurer son impact sur la société?

NAHUM BARNEA. – Ce qui est arrivé le 7 octobre est probablement l’événement le plus dévastateur qu’Israël ait subi en soixante-quinze ans d’existence. Il est de plus grande ampleur que la guerre du Kippour (en 1973), parce que cette fois nous n’affrontons pas un autre État ni une autre armée mais une organisation terroriste à la capacité militaire limitée. Nous ne sommes pas confrontés à une menace existentielle. Pourtant, l’attaque du Hamas aura des effets encore inimaginables sur notre société.

Dans un de mes éditoriaux, je l’ai comparée à une pièce remplie de dominos. Il a suffi que le Hamas pousse un seul de ces dominos pour qu’en une poignée de secondes toutes les pièces s’écroulent. Nous, Israéliens, sommes encore dans le choc du 7 octobre. Mais au-delà du choc et de ses conséquences militaires, économiques, il y a une dimension morale. Le 7 octobre pose à Israël la question suivante: quelle est sa place sous le soleil? Et par le même effet de dominos, cette question se pose aussi aux Juifs du monde entier.

Quand la guerre sera terminée, comment la société israélienne se relèvera-t-elle?

Pour l’instant, il y a plus de points d’interrogation que de réponses. Israël a subi un choc dont il n’est toujours pas remis. Mais je sais déjà une chose. Dans la tradition juive, la mort d’un proche est suivie par un deuil de sept jours, une période que l’on appelle Shiva. Une des grandeurs de ce rituel est qu’il prévoit une date limite. Vous ne pouvez pas porter le deuil éternellement. Le huitième jour, vous devez vous lever et vivre à nouveau. Au bout de deux mois, Israël est toujours plongé dans un long Shiva dont il n’est pas encore sorti. Les Israéliens vivent leur vie, ils peuvent faire des blagues, ils vont au travail. Mais au fond d’eux-mêmes, ils portent le deuil.

Ce sentiment est présent au fond des âmes de la plupart des gens ici: cela vient du fait que nous sommes une petite société. Nous connaissons tous quelqu’un qui est mort le 7 octobre, ou qui a été kidnappé, ou bien quelqu’un qui est au front, en train de se battre et de risquer sa vie à Gaza. Personne, en Israël, ne peut ignorer la situation. Mais je sais que cette période de deuil prendra fin et que la société israélienne se relèvera. On ne peut pas démissionner ni partir ailleurs: nous devrons trouver des solutions pour l’avenir.

Nous devons réfléchir sérieusement à la question du jour “d’après le jour d’après”Nahum Barnea

Malgré tout, Israéliens et Palestiniens sont condamnés à partager cette terre. Après tant de violence, comment y parviendront-ils?

Le 7 octobre a engendré une méfiance absolue, il a fait naître chez la plupart des Israéliens le sentiment qu’on ne peut faire confiance à aucun Arabe, qu’ils sont tous des ennemis. C’est une réaction immédiate, émotionnelle. Mais il y a un paradoxe car le Hamas nous force à réfléchir à la façon dont nous pourrons éviter un nouveau 7 octobre. Politiquement, militairement, nous devrons trouver une solution pour arrondir les angles du conflit. Et pour cela, nous aurons besoin d’un pouvoir palestinien capable de gouverner Gaza sans chercher à attaquer Israël. C’est pourquoi, dès maintenant, nous devons réfléchir sérieusement à la question du jour “d’après le jour d’après”. Après la guerre et l’occupation militaire, ce sont les Palestiniens qui devront se gouverner eux-mêmes. Et puisque ce ne peut pas être le Hamas, il faudra que ce soit une Autorité palestinienne plus solide, plus efficace.

Au bout du compte, la seule solution est celle d’une Autorité palestinienne gouvernant la bande de Gaza, que personne n’est prêt à envisager aujourd’hui. Nahum Barnea

Le scénario d’un retour d’une Autorité palestinienne dans la bande de Gaza est-il acceptable du point de vue des Israéliens?

Les Israéliens sont dans une situation paradoxale. Pour l’instant, ils ne veulent entendre parler d’aucune présence politique palestinienne dans la bande de Gaza. Mais ils ne veulent pas non plus d’une occupation militaire israélienne sans fin. Au bout du compte, la seule solution est donc celle d’une Autorité palestinienne gouvernant la bande de Gaza, que personne n’est prêt à envisager aujourd’hui. C’est un dilemme qui devra être réglé.

Les événements du 7 octobre sont souvent comparés, par des Israéliens, avec la Seconde Guerre mondiale: ils ravivent la mémoire de l’Holocauste. Ces deux traumatismes sont-ils de même envergure?

La mémoire de l’Holocauste est inscrite dans notre ADN, c’est pourquoi elle remonte à la surface face à un tel événement. Je me suis rendu dans un kibboutz 24 heures après le 7 octobre et j’ai immédiatement pensé à la Seconde Guerre mondiale. Mais on ne peut pas comparer la Shoah avec ce qui s’est passé le 7 octobre. Ce jour-là, on parle d’exactions commises par 3000 membres de mouvements terroristes. Cela n’a rien à voir avec la volonté de l’Allemagne nazie d’éradiquer systématiquement les Juifs: le meurtre de 6 millions de Juifs ne peut pas être comparé avec le massacre de 1200 à 1300 Israéliens.

© Guillaume de Dieuleveult

https://www.lefigaro.fr/international/nahum-barnea-le-7-octobre-aura-des-effets-encore-inimaginables-20231207

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2 Comments

  1. Pardon mais sur le plan idéologique la volonté du Hamas ou ses partisans (y compris en Europe) et celle de l’Allemagne nazie est exactement et strictement la même. La seule différence c’est le nombre de soldats (de barbares) dont ils disposent. Mais l’idéologie est exactement la même.

  2. Assez d’accord avec Joseph29 ci-dessus.
    A condition de préciser. Le Hamas, le 7 octobre, a clarifié la nature du conflit, pour ceux qui avaient tendance à l’oublier ou de se faire des illusions.
    Il ne s’agit pas d’un conflit territorial. Il s’agit d’une guerre d’extermination de nature religieuse.
    Si les Juifs sont en Israël pour des raisons que l’on est obligés de considérer comme religieuses (car comment expliquer le choix de ce pays et pas d’un autre sinon par la « promesse divine » ?).
    L’Islam interdit l’existence d’une entité indépendante non-musulmane en « Dar el Islam » (« la demeure de l’Islam »).
    La différence entre le Hamas et ladite « Autorité palestinienne » est donc illusoire. La Hamas, organisation islamiste issue des « Frères Musulmans », est simplement plus honnête.
    En vérité, la notion « palestinienne » est une invention destinée à donner un habillage « laïc », l’apparence d’une aspiration à un « Etat Nation », facilement acceptable en Occident, à une interdiction purement religieuse.
    Inutile donc de chercher une solution « politique » ou « étatique ».

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