Décolonial, pyromane, communautariste… Plongée dans la galaxie Yassine Belattar

Habitué des polémiques, Yassine Belattar fait encore parler de lui. En cause, sa proximité avec l’Élysée et ses accointances avec les mouvements décoloniaux.
Crédit : ISA HARSIN/SIPA.

Edouard Roux pour « Valeurs actuelles » a enquêté sur l’humoriste sulfureux, le « conseiller banlieues » qui murmure à l’oreille du président. Immersion dans l’univers Yassine Belattar.

Les hélices du Moulin-Rouge sont rouillées, les scooters garés sur les pistes cyclables ; les touristes se font alpaguer par de vieilles rabatteuses, l’ex-actrice porno Clara Morgane a ouvert un magasin de lingerie au coin de la rue. Au milieu de ce fatras, les bobos se baladent, rient, pédalent.

« Je n’ai pas le poids qui a été revendiqué »: Yassine Belattar revient sur sa rencontre avec des conseillers d’Emmanuel Macron

Du lundi au vendredi, pas loin des Abbesses, deux heures durant, Yassine Belattar crache sa bile contre tous ceux qui le critiquent. L ’endroit est glauque : un bar poussiéreux et, dans le fond, comme planquée, une petite salle. L ’impression d’une arrière-boutique aux allures de panoptique. Il garde un œil sur chacun, scrute les moindres faits et gestes. Il est du genre parano. À l’excès.

C’est là que l’humoriste et son « frère de toujours » Thomas Barbazan enregistrent leurs podcasts les Trente Glorieuses, leur dose de « rires » quotidienne : 2 200 fidèles selon « Spotify », plus de 3 500 d’après les deux compères.

« Vous êtes de la police ? » À quelques minutes de la mise en boîte du podcast, Barbazan nous apostrophe. Puis nous scanne, méticuleusement, de la tête aux pieds : « Parce que vous avez le look de deux flics ». Ce coup de semonce inaugural fait figure de rappel salutaire : avec notre style propret, nous, journalistes de « Valeurs actuelles » en mission « infiltration », rentrons dans la catégorie des suspects et sommes proches d’être décrétés persona non grata.

Tout de même, nous hésitons fugacement à dévoiler notre identité. Que risque-t-on ? Des huées. Des récriminations. Une potentielle exclusion. La raison l’emporte : on se souvient du sort réservé à Jordan Florentin, alors journaliste à « Livre noir », séquestré durant une heure au théâtre de Dix-Heures, il y a deux ans, du simple fait de son CV trop droitier. Soixante longues minutes où les intimidations avaient succédé aux menaces, physiques et verbales.

Chez Belattar, les « fachos » n’ont pas droit de cité. Alors, pour notre sécurité, le temps d’une soirée, nous devenons Grégoire et Arnaud. L’un a 23 ans et est inscrit dans une école de commerce parisienne – « de seconde zone, parce [qu’il a] rien foutu en prépa » -, l’autre a fêté son quart de siècle il y a quelques jours et travaille dans un cabinet d’audit. « Non, on n’est pas flics, on vient écouter le podcast », répond Arnaud, qui se fond dans sa nouvelle identité.

Racisme d’État, antisionisme, islamophobie, tout y passe…

« Ah ouais ? Mais vous êtes nouveaux ? Votre tête me dit rien », s’enquiert Barbazan.

« – Oui, c’est la première fois qu’on va assister à l’émission. Ça commence à 19 heures, c’est ça ? »

« – Oui, mais on a un peu de retard. Vous voulez quoi à boire ? »

« – Un pastis et un « Jager », ça ira ».

– Jager ? C’est quoi ça ? J’ai pas ». « Le Jager , c’est une boisson pour les ados en boîte, ça », se moque gentiment une habituée, quelques mètres plus loin.

Yassine Belattar, sweat à capuche noir et regard sombre, apparaît, soudain, dans les entrailles du bar. Il « check » et tutoie tout le monde, s’inquiète de la santé d’un régulier. Il est chez lui, devant un parterre d’ouailles prêtes à écouter son sermon.

Racisme d’État, antisionisme, islamophobie, appel au boycott des « fachos », de McDonald’s et SFR (propriété de Patrick Drahi), communautarisme, « Gaulois de souche », le prêchi-prêcha politicard supplante sans cesse l’humour.

« Carte d’identité, carte de séjour ! Bonjour ! » Sur fond de « Move on Up », le tube entêtant de Curtis Mayfield, un public composé principalement de propalestiniens acclame les deux « stars ».

L’humoriste se rêve subversif. Il n’en est rien. Car celui qui n’est « ni Charlie, ni Nice », autrefois très proche du CCIF -(Collectif contre l’islamophobie en France, depuis dissous par Gérald Darmanin pour ses accents fréristes)- et « conseiller banlieues » d’Emmanuel Macron (il fut membre du Conseil présidentiel des villes jusqu’en octobre 2019) ne fait pas rire.

De la repartie, des formules qui font mouche et laissent échapper un sourire, certes, mais le rire, non. Les médias, qu’il fustige sans cesse, le taxent de « petite frappe », de « délinquant », mais aussi de « thermomètre » des banlieues. Pour rappel, il a été condamné en septembre dernier à quatre mois de prison avec sursis pour menaces de mort.

Mégalo, il rêve des « pages glacées de Paris Match » tout en traitant « l’intégralité des médias [de] pourritures ». Belattar sait qu’il doit avoir un coup d’avance et échafaude un écosystème sûr, préservé de toute pensée dissidente : « On rencontre des chercheurs, des philosophes, on rencontre plein de gens en ce moment, des gens que vous ne connaissez pas ». Son « ami » Sanjay Mirabeau, l’ex-avocat de Dieudonné, aujourd’hui défenseur du rappeur Freeze Corleone, qui se vantait en 2018, dans son titre « Bat on rouge » d’être « déterminé comme Adolf dans les années 30 « , ferait partie de ce cercle de privilégiés.

L’imam Chalghoumi dans son panthéon de la haine

Pour l’heure, ses podcasts constituent sa soupape de décompression, son exutoire, le seul safe space sur lequel l’Arcom n’a aucune prise. Ça tombe bien : les termes « juif » et « feuj » sont répétés à l’envi, jusqu’à la nausée. Les cibles sont inlassablement les mêmes. Toutes françaises. Très souvent à consonances juives. Meyer Habib, « José Garcia dans la Vérité si je mens », le jeune rabbin Émile Ackermann, le journaliste Frédéric Haziza, l’essayiste Rachel Khan, le comédien Michel Boujenah ou encore l’animateur Arthur.

Le producteur de Mouloud Achour ? Un « feuj de talent ». Belattar se remémore l’assassinat antisémite d’Ilan Halimi en 2006, séquestré pendant vingt-quatre jours à Bagneux avant d’être abandonné agonisant par le « gang des barbares ». Et va jusqu’à dire à l’égard des bourreaux : « Le pire, c’ est la précarité dans laquelle ils ont commis l’ acte antisémite ».

Un ancien membre du cabinet du patron du Sénat Gérard Larcher, présent dans le public un autre soir, y va de sa blagounette. Comme il le dit en préambule : « Maintenant que je suis entouré d’ antisémites, je peux ! »

Un jour, donc, alors que le grand rabbin de France, Haïm Korsia, a rendez-vous avec Larcher, il demande à ce chargé de com s’il peut prendre « Le Figaro ». Puis « Le Monde ». « Je te jure, il m’a fait t oute la presse. Le mec est le premier feuj de France, il m’a fait le pire cliché ! », se gausse le fonctionnaire. La salle est hilare. Belattar fait une pirouette : « Attends, j’ai un texto de Dieudo ! »

L ’imam Hassen Chalghoumi, qu’il appelait à « venir chercher » – soi-disant sur le ton de l’humour -, en 2020, fait aussi partie de son panthéon de la haine.

Le religieux se confie auprès de « Valeurs actuelles » : « Pour moi, il est plus dangereux que Dieudonné, car il émet des fatwas contre ses adversaires », puis poursuit : « C’est un homme violent physiquement et verbalement. Par sa propagande, il diabolise ses ennemis, empoisonne la jeunesse ».

« Belattar se sert du pouvoir pour avoir du pouvoir »

Nous l’avons vite compris : dans l’univers de Belattar, la paranoïa règne en maître. L’humoriste se pense perpétuellement surveillé, espionné, épié. Par l’extrême droite. Il la voit partout, tout le temps. Tapie dans l’ombre, elle progresserait de jour en jour, d’heure en heure. Il va même jusqu’à dire, très sérieusement, redouter que « les fachos mettent un cadavre dans [s]on lit, pour que la police [l] ’embarque » ou encore que, s’il « reste en France, ils vont [lui] tirer une balle dans la tête ».

Depuis sa visite nocturne à l’Élysée début novembre, quelques jours avant la marche nationale contre l’antisémitisme, l’ex-animateur de « Radio Nova » cristallise l’attention. L ’humoriste ricane et confie au public que ses nuits sont plutôt « très très longues et très très blanches » et souvent occupées à « gagner la Ligue des champions sur Football Manager ».

Or, l’actu est son baroud d’honneur cathodique. Quelques jours auparavant, Benjamin Duhamel l’a reçu sur BFM TV pour le cuisiner après la polémique. Yassine Belattar l’a tutoyé – parce qu’ »il est plus jeune que [lui] » – avant de l’inviter à son spectacle. « Ça les fait paniquer là-haut, que je sois venu à l’Élysée », se vante-t-il.

Au gouvernement, c’est un autre refrain : « Belattar se sert du pouvoir pour avoir du pouvoir. À mes yeux, il n’est pas séparatiste, il trouve plutôt ses modèles de l’autre côté de l’Atlantique, chez les candidats démocrates communautaristes », analyse un fin connaisseur de la Macronie. Il ajoute que l’humoriste « rêverait d’ avoir sa chronique dans le ‘Washington Post’ comme Rokhaya Diallo, ou de devenir une égérie antiraciste comme Omar Sy’.

Un ancien ministre attaque à son tour : ‘C’ st un humoriste de troisième zone. Un courtisan. Un bouffon du roi. Macron est son imprésario. Il est porte-parole de rien du tout et ne représente que lui-même ». Des anciens du gouvernement se remémorent également le « plan banlieues » de Jean-Louis Borloo. Belattar a été imposé par l’Élysée dans le déroulé pour participer à l’évènement.

Sur l’ex-ministre, dont il aura rendu le plan caduc, il ne tarit étonnamment pas d’éloges. Les deux hommes seraient restés proches. Borloo l’appellerait même pour lui donner les questions posées par « une journaliste » qui a le malheur d’enquêter sur lui. L ’humoriste révèle ainsi dans un podcast : « Un ami à moi m’a appelé. Il s’appelle Jean-Louis Borloo. […] Tout à l’heure il m’a appelé, il m’a dit : ‘Faut que je te raconte les journalistes’. Il me dit : « Ce sont des questions fermées ».

Contacté, Jean-Louis Borloo n’a pas donné suite à nos sollicitations.

Plus que la caricature islamiste décrite ou sous-entendue dans de nombreux articles de presse, Yassine Belattar est, en réalité, un compagnon de route des mouvements décoloniaux américains. Ses modèles ? James Baldwin – écrivain afro-américain du XXe siècle – ou Maboula Soumahoro, maître de conférences en civilisation américaine à l’université de Tours et passée par l’université Columbia, aux États-Unis.

Son amie universitaire a, notamment, été nommée par l’ancien Premier ministre Jean-Marc Ayrault, en 2013, au Comité national pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage. Elle s’est également fait remarquer, en 2016, pour avoir participé à un camp d’été décolonial « interdit aux Blancs ». Quant à son écrivain préféré, l’humoriste oublie de dire que ce dernier a vécu une grande partie de sa vie en France afin de fuir le racisme états-unien et vivre son homosexualité tranquillement. Mince alors…

Le quadragénaire n’est pas qu’humoriste. Trop redondant, trop répétitif, trop tout, il s’est, avec le temps, diversifié. D’après les informations de « Valeurs actuelle », il serait propriétaire, à hauteur de 30 %, de « Madame Diva », une entreprise ayant pour activité principale « la création, l’acquisition et l’exploitation directe ou non de toute entreprise de restaurant, comédie club et l’organisation d’ évènements culturels ».

D’abord associé unique, il cède, le 21 juillet 2023, 70 % de ses parts à une société privée et procède à une refonte intégrale des statuts de la société. Mais alors quelles prestations offre-t-il ? Nous ne le saurons pas. Belattar, croisé par hasard dans le quartier, se contentera de nous pointer un bar (à strip-tease, notamment) au nom étrangement proche : « La Diva ». Et déclare : « Je travaille là ».

La devanture est vilaine : une femme allongée, en Bikini, entourée d’étoiles, aguiche les passants. Les néons violets, rouges, jaunes sont épuisés ; ils scintillent par intermittence, abîment les yeux. « Théâtre ». « Spectacle international ». « Table dance ». Des promesses enflammées, torrides. Un grand sentiment de malaise, surtout. Une ambiance houellebecquienne.

Une ombre angoissante qui plane sur le XVIIIe

C’est là que réside le « paradoxe Belattar ». La théorie fumeuse laisse place au réel des choses, les grands discours s’évaporent devant l’appât du gain. Car toute cette mascarade est mise en scène, en partie, par un homme qui défendait le port de l’abaya dans les écoles il y a deux mois. Un homme qui, sous l’ère Blanquer, justifiait ainsi, dans une lettre ouverte au président de la République, publiée dans « Libération », sa démission du Conseil présidentiel des villes : « Je suis déçu que certains ministres que vous avez choisis ne supportent même pas l’idée de voir une femme voilée sur le territoire ».

Yassine Belattar a disparu. Sans répondre à nos interrogations. Son ombre, elle, plane toujours au-dessus du XVIIIe . Dans ces rues remplies de poubelles éventrées, de vieillards toussoteux, de bistrots petits-bourgeois. Les Vélib’ grincent, les trottinettes ralentissent les voitures, le carrousel des Abbesses s’est arrêté de tourner.

Une question persiste : comment est-il possible qu’un communautariste, aux relents antisémites, menaçant, hypocrite avec ses fans de surcroît, puisse toquer à la porte de l’Élysée ? Et qu’on lui ouvre.

© Edouard Roux

Source: Valeurs actuelles

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3 Comments

  1. « Comment est-il possible ?… »
    Mais tout simplement parce que
    c’est la nature même du macronisme qui veut cela.
    On vous avait prévenu : la peste melenchoniste et le choléra macroniste sont indissociables.

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