La Colonne de Judith Bat-Or. Journal d’une Invisible -52-

Judith Bat-Or

Il y a quelques jours, je me suis déclarée ici contre l’accord de trêve concocté par nos ennemis avec notre complicité et celle de nos amis. Je l’ai dit et je le pensais. Je n’avais qu’une chose en tête, la paix. La paix dont nous, les Juifs, rêvons depuis deux mille ans. C’est-à-dire le droit d’être soi, libre, digne, souverain, sans avoir à se justifier simplement d’exister. Je me trompais. Comme se sont trompés les pères et mères de l’État d’Israël, lorsqu’ils croyaient pouvoir fonder un pays comme les autres. Eux qui se sont réjouis du premier prisonnier de droit commun israélien et de la première prostituée. 

J’ai longtemps imaginé que notre impossibilité à être un peuple « comme les autres » venait de l’extérieur, de la haine qu’on nous voue et des standards qu’on nous impose. Des derniers événements, je crois comprendre aujourd’hui que cette impossibilité vient en partie aussi de nous. Malgré nous. Ce n’est pas un hasard si nous avons servi, aux quatre coins du monde durant des siècles et des siècles, de victimes expiatoires. 

Pour survivre, les « grandes » nations se sont montrées féroces. Elles ont conquis, détruit, maté et massacré, sans états d’âme. La fin justifiant les moyens, et la victoire, tout sacrifice. Toujours.

Mais pour le peuple d’Israël, la victoire compte moins que la vie. C’est ainsi qu’en 2011, ses dirigeants ont libéré plus de mille meurtriers en échange d’un soldat, prisonnier du Hamas. Ainsi encore qu’ils ont cessé, il y a près d’une semaine, leur avancée victorieuse contre les hordes de barbares qui ont assassiné, mutilé, violé en riant, et consenti à relâcher, aux portes de Jérusalem, des dizaines de terroristes, trois pour chacun de ces enfants, de ces femmes et ces hommes, arrachés à leur famille, à leur foyer, un jour de fête.

Depuis samedi, où a eu lieu la première « transaction », tout Israël, moi comprise, est scotché devant les écrans dès l’heure fixée par l’accord pour le passage des otages des mains des tortionnaires à celles de la Croix-Rouge. Le pays entier subit, aussi furieux qu’impuissant, le cirque que lui infligent les monstres du Hamas, qui aiment à se jouer de nous, avec leurs faux « problèmes techniques », causes prétendues des retards, avec les sourires forcés des victimes à leurs bourreaux, avec les foules menaçantes, huant ces êtres à leur merci, hurlant en chœur « Allah Akbar », avec leur air triomphant et leurs V de la victoire. Car pour eux, un mort juif, même un seul, est déjà une victoire, même s’il leur a coûté la vie de plus de 10 000 des leurs, selon leurs propres chiffres.

Comme tous les Israéliens, malgré quelque amertume, je me suis réjouie de la libération de nos frères et nos sœurs, attendrie à la vue surtout de ces pauvres enfants jetés trop tôt dans le grand bain de sang. Comme tous, j’ai eu envie de les accueillir dans mes bras. De les serrer. De les bénir. 

Et enfin, aujourd’hui, après des jours et des nuits où j’ai cru perdre la raison, des jours et des nuits de doute, d’angoisse, de désespoir, j’ai enfin réalisé que refuser cet accord aurait trahi notre nature et nos valeurs premières. Que refuser cet accord aurait signifié la paix, peut-être, pour Israël, mais la fin du judaïsme.

Beaucoup le disent, et c’est vrai. Juste pas comme on l’entend. Le combat est inégal entre nous et nos ennemis. Car face à la perversion et à la cruauté, nous serons toujours démunis. Toujours perdants. Aussi, peut-on prédire, sans trop s’aventurer, que ni nous ni nos enfants ne connaîtrons la paix. Nous devrons apprendre à l’attendre, comme nous attendons le messie, un petit sourire ironique et triste au coin des lèvres. Et continuer à célébrer chaque instant de la vie. Mais sans plus baisser notre garde. Plus jamais.

© Judith Bat-Or

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