C’était il y a cent ans ? C’était il y a combien de siècles ? Ce temps a-t-il seulement existé ? Alexandre Arcady nous raconte ce moment où sur une même terre, des Français, des juifs, des arabes cohabitaient, les uns à côté des autres. Sous le soleil d’Alger, le malheur de certains jours devenait supportable. Bien sûr le cadre de cette harmonie des apparences était loin d’être parfait. La colonisation organisait tout cela, mais dans la vie de tous les jours l’illusion de l’insouciance autorisait ce que aujourd’hui on nommerait le « vivre ensemble ».
Désormais cette expression est, hélas, vidée de son sens par une actualité mortifère. Dans les années 50 il existait en Algérie, française à l’époque, comme une parenthèse harmonieuse, à la fois tendre et violente, douce et amère. Arcady nous en raconte un épisode, celui de son enfance, et sa nostalgie pour ce temps béni est bouleversante.
Car cette Algérie c’était à la fois du Pagnol avec l’accent pied-noir, ou les moments rapportés par le récit de ses « Jeunes saisons » d’ Emmanuel Robles.
Les moments sombres qui allaient advenir, Arcady les dessine en toile de fond, ils en constituent la trame ou l’arrière-plan sans que cela ôte à son film sa fréquente part de drôlerie propre à la truculence méditerranéenne.
Il y a le charme du cinéma italien des années 60 dans ses films. Ettore Scola ou Dino Risi ne sont pas loin dans ce film.
© Jacques Tarnero
Arcady est un cinéaste à part car il a su initier un cinéma qu’on pourrait qualifier d’ethnographique en dressant de film en film, le portrait du peuple Pied Noir celui des européens d’Algérie. Personnages au langage savoureux, charmants, exaspérants, grandes gueules, exotiques, truands ou gens bien, ils sont les héros perdants de l’histoire mais possédants une étonnante capacité de résilience face aux vents contraires. De son enfance, de ce qui l’avait conduit vers le cinéma, Alexandre ne l’avait pas encore évoqué à travers un film. C’est chose faite à travers ce film lumineux et parfois bouleversant. Nous n’en raconterons pas ici l’histoire. Ce monde perdu, Arcady le dessine à travers ses personnages familiaux. Tout sonne vrai, sans effets outranciers, sans folklore. Les frères, la mère (interprétée avec la justesse qu’il faut par Marie Gillain) racontent ce temps révolu, autant nourri de tendresse que de craintes pour l’avenir. C’est tout le talent de l’auteur du Coup de siroco que de lui donner vie.
Dépourvu de tout pathos, ce film renseigne, en creux, sur le moment présent en France. Il dit que le pire n’est pas certain, il dit que les blessures de l’histoire ne se transmettent pas de génération en génération malgré les épreuves subies. Si chacun porte son héritage personne n’est obligé d’en transmettre la lourdeur. Les Juifs sont des experts en résilience, ils savent ce que se reconstruire veut dire et ce Petit blond de la casbah nous peint ce qui lui a permis d’être au monde. Dans l’effrayant moment présent ce film dessine un pont entre les deux rives de la Méditerranée, entre présent et passé, entre des peuples proches et différents, entre des mots, des langues qui se ressemblent. Sera-t-il vu en Algérie ? Plutôt que de s’acharner à effacer sa part française et juive, le pouvoir algérien actuel serait bien inspiré à diffuser cette œuvre généreuse. En est-il capable ?
Merci à Alexandre Arcady qui sait tirer le meilleur des différences humaines.
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