Kamel Daoud. Quand on crie qu’il « faut se voiler et prier assidûment pour libérer la Palestine », on risque la marche vers le califat

Algerian writer and journalist Kamel Daoud poses during a photo session in Paris on February 20, 2017. (Photo by JOEL SAGET / AFP)

La guerre Hamas-Israël embrase la « rue » et les réseaux sociaux dans le monde dit « arabe ». Une aubaine pour les islamistes.

« Comment voulez-vous libérer la Palestine si vous n’êtes pas assidues à la prière dans les mosquées  ? Comment pensez-vous libérer la Palestine si vous n’êtes pas voilées  ? Si vous manifestez presque nues! » tempête l’imam pour son prêche du vendredi. La vidéo et son argumentaire sont devenus viraux et le lien ancestral entre le « péché » et la « défaite » est aujourd’hui lourdement exploité par les propagandes islamistes pour recruter en temps de guerre.

La Palestine reste en effet un affect majeur et ces islamistes, actuellement, dans le monde dit « arabe », excellent dans l’art de transformer les indignations ou les sympathies en fidélités à leur courant de fond. Entre Al Jazeera, une véritable « machine à tuer », les prêches et les réseaux sociaux, le raisonnement occidental sur le droit à l’existence de l’État d’Israël et son idéologie sécuritaire, la paix ou les deux États, ne percole, n' »imprime » pas. Et les autres courants « arabes » deviennent invisibles.

Murailles de désinformation

Les médias dans le monde dit « arabe », aujourd’hui presque tous sous monopole islamiste, font barrage et érigent des murailles de désinformation. Macron en Israël et en Cisjordanie ? « C’est pour appeler Netanyahou à rester encore plus impitoyable », titre un journal islamiste algérien. Les efforts internationaux de paix ? Un quitus pour Tsahal. Les otages israéliens ? Ils remercient le Hamas pour son traitement humain. Les voix « arabes » contre les judéophobies ? Des traîtres interdits de se défendre. Tout apparaît bon pour la « guerre sainte » en mode imaginaire et pour le recrutement en mode réel.

Cela, les régimes autochtones l’ont saisi tout de suite, dans la semaine du 7 octobre. Et si, par souci d’obnubiler les foules, la propagande « Sud » focalise sur les interdictions de manifestations opposées aux propalestiniens en France ou en Allemagne, on ne dit mot sur leur interdiction en Algérie, par exemple.

C’est que, sur place, le risque de voir la fameuse « rue arabe » servir les rangs des islamistes s’avère réel et il fut très vite perçu. Pour Alger, la question fut : comment faire pour  canaliser les « colères » sans favoriser la résurrection politique de l’ex-parti islamiste algérien, le Front islamique du salut (le FIS, coauteur de la guerre civile algérienne des années 1990) ?

Comment contenir ces manifestations ? La réponse fut habile : après une semaine d’interdiction, le défilé propalestinien a été autorisé, mais avec un maillage associatif contrôlé et le parrainage des organisations de masse (syndicats et étudiants) encore sous la coupe d’Alger.

Par prudence, on permit la manifestation un jeudi matin, avant l’heure de la première prière à 13 heures. Et surtout avant le vendredi, jour férié, « sacré », et toujours jour de préférence pour les islamistes, qui excellent à interpeller les fidèles à la sortie de la prière hebdomadaire.

La manif eut lieu, sans intensité, sans débordements et surtout sans risques politiques. Auparavant, toutes les réunions de foule, comme les matchs ou les festivals, furent suspendues. Par « solidarité ». Et le scénario fut presque le même dans les pays voisins.

Cela n’empêche pas la machine islamiste de continuer à miser gros sur ce qui se passe à Gaza et à emboîter le pas à l’énorme machine d’Al Jazeera et sa force de frappe « frériste » installée à Doha. Le calcul islamiste joue sur la durée et l’équilibre reste précaire sinon illusoire pour les régimes arabes. Il faut surveiller cette course aux « pouvoirs » en marge de « la cause ».

« Les régimes arabes ne possèdent plus aucun argument à opposer à l’ascension des islamistes ».

Car il est difficile d’expliquer à un démocrate occidental la tendance des régimes panarabes à donner du crédit, de l' »espace vital » à l’islamisme sociétal et culturel, tout en croyant brider la visée politique de ce dernier et le gérer par le recours à la « matraque » ou les interdictions de manifester. Le monopole de la répression qui semble faire illusion risque de s’effriter avec les crises de légitimité, et la vigueur des propagandes islamistes risque d’inverser le rapport de force à la longue.

Aujourd’hui, « Libérer la Palestine » est un slogan en concurrence, qui libère surtout les islamistes dans leurs ambitions locales, isole les voix étouffées et lucides qui croient à la paix sans les bains de sang, et ghettoïse les régimes arabes. Car, si l’on excepte les armes, ces derniers ne possèdent plus aucun argument à opposer à l’ascension des islamistes et leur mainmise tant sur les médias que sur les esprits. Quand on crie qu’il « faut se voiler et prier assidûment pour libérer la Palestine », on ne libère pas la Palestine, mais on risque la marche vers le califat.

La concurrence est féroce qui interdit ce cri aux voix de paix dans le monde dit « arabe ».

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