Dans une de ces nuits-là, des hommes, des femmes et des enfants sont sortis de chez eux. Ils ont marché dans ma rue pour rejoindre l’appartement d’Ethan et Eliakim, prisonniers à Gaza. Colocataires, amis d’enfance, ils ont été enlevés après avoir sauvé des vies au festival Tribe of Nova. Le samedi 7 octobre. Ils étaient retournés sur les lieux du massacre en cours pour mettre à l’abri les corps de deux femmes assassinées, pour les protéger de ces monstres qui, forts de leur immense courage, s’en prennent même aux dépouilles.
Ethan et Eliakim ont été enlevés. Ensemble aussi dans cette épreuve. Deux parmi 239.
Depuis plus d’un mois, sans nouvelles, leurs parents, leurs amis, leurs voisins, leurs collègues ne peuvent qu’imaginer leur calvaire en captivité. Peut-on vraiment l’imaginer ? Ni Croix ni Croissant rouges ne se mêlent de les secourir. Ne s’inquiètent de leur sort. Outrés de cette indignité, on ne s’en étonne pas. Il y a des antécédents…
Pourtant à Jérusalem, on ne perd pas espoir. Parce que l’espoir est si juif qu’Israël en a fait son hymne. Aussi, le père d’Ethan apportera ce soir dans la maison des deux otages un rouleau de la Torah. La prière, le sacré, première et ultime ressource.
Le cortège désordonné, car le désordre aussi est juif, avançait lentement, les gens discutant à voix basse. Aux premières notes de musique, qui ont traversé le silence, je me suis redressée. Surprise. Presque choquée. « Ben quoi, on porte un Sefer Torah, on l’accueille dans la joie », m’explique un inconnu. Il a raison. Je me raisonne. La joie, oui. La joie n’est jamais mauvaise. Mais je me rappelle les récits des survivants du pogrom. Les rires de ceux qui tuaient. Leur joie. Mauvaise… Heureusement, les chants me détournent de ces pensées.
Sur le trottoir, devant l’appartement d’Ethan et Eliakim, un buffet improvisé propose des réconforts, salés, sucrés. Une dame âgée se penche au-dessus de la table. Elle hésite avant de choisir une barre chocolatée. Puis elle s’éloigne. Elle reviendra. Autour, les gens chantent, les gens dansent, pour encourager ce père, pour soutenir sa foi, au cas où elle fléchirait. Israël réuni dans toute sa diversité crie à la face du monde son obstination à jouir, à profiter de la vie, à croire en son avenir, en l’amour, la beauté et la miséricorde. À mesure que les gens affluent, les chants enflent de leurs voix, réveillant le quartier, le remplissant d’une couleur que je croyais perdue. Face à tant de vigueur, de chaleur, de fraternité, ma tristesse va se rhabiller.
Et moi qui, il y a peu, avais cédé à la détresse, je rentre chez moi forte. Et aussi résolue à vivre que je l’étais alors à me laisser mourir.
© Judith Bat-Or
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