Il y a quelques semaines, au moins une éternité, avant le 7 octobre et la nouvelle réalité que cette journée maudite a imposée à nos vies, je préparais un article sur l’importance du doute et le danger des certitudes, dont voici le début : « Et si l’on mettait un petit point d’interrogation à nos grandes certitudes ? L’homme a besoin de certitudes, face au mystère de l’après. Et pas seulement de l’après nous, mais du demain, du tout à l’heure, de tout ce qu’on ne contrôle pas, de la suite de notre destin qui – n’en déplaise aux gourous de la pensée positive et du « rêver son avenir, c’est déjà l’accomplir » – n’est pas vraiment entre nos mains. La vie est si pleine d’inconnues, elle dépend tellement du hasard, ce Dieu d’Einstein, souvent injuste, qui torture, qui s’acharne, reprend quand bon lui semble, sans que nous, ici-bas, n’y puissions rien comprendre, que nous avons besoin de nous accrocher à du dur, du solide, de l’indéfectible, comme les liens du sang, d’amitié – je ne dis pas d’amour, car l’animal est capricieux. Mais rien ne nous rassure autant que nos certitudes. Et c’est là que ça se corse. Car pour nous protéger, pour ne pas basculer, perdre pied, nous sommes prêts à nous battre contre quiconque prétend les éprouver, les ébranler. » Je finissais ainsi : « Prônons le doute, pour notre bien. Parce que, au fond, qui sait ? »
Depuis ces quelques lignes, il y a eu le 7 octobre, les tirs de mortier, les roquettes, les familles décimées et les corps suppliciés. Plus rien ne ressemble à avant. Le socle de ma vie ne s’est pas seulement fissuré, il m’a explosé au visage. Je réalise que moi aussi je me suis aveuglément reposée sur une certitude. Que j’y ai puisé ma force, ma faim et ma joie de vivre. En effet, je croyais que désormais nous, les Juifs, les voûtés, les soumis, nous, les raseurs de murs, n’avions plus à redouter que des bourreaux haineux nous écharpent au creux du lit, que des assassins féroces nous tirent comme des lapins, se délectant de notre sang et de notre terreur. Je croyais qu’Israël était et resterait. Je croyais qu’arrivée ici, je pouvais poser mes valises, m’installer comme on dit. Que j’avais enfin un chez moi.
Mais maintenant, je doute. Tous les matins, je découvre les noms des derniers soldats tombés, si jeunes, pour le pays, pour moi, pour mon avenir. Combien de fois pourrais-je donner ma vie contre la leur ? Ma misérable vie d’invisible qui a bien vécu. Je rêve parfois de ne plus être. De ne plus voir. Ne plus savoir. J’en arrive même à envier mes chers disparus avant, à temps. J’erre d’une humeur à l’autre, au gré des mauvaises nouvelles qui ne manquent pas de tomber.
Face à la complexité des défis que nous affrontons, face à l’incompréhension, face à l’hostilité, face au mensonge, d’une question à l’autre, je me noie dans le doute. Pour aboutir, toujours aux mêmes interrogations. Qu’en sera-t-il de notre peuple ? Notre destin est-il de vivre à nouveau dispersés ? À nouveau têtes baissées ? De simplement disparaître ? Du fond du doute, je n’aspire plus qu’à un peu de certitude.
© Judith Bat-Or
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